Les « freinages fantômes » ne relèvent plus de simples anecdotes : ils touchent désormais de nombreux modèles récents, tous équipés d’aides à la conduite de dernière génération. Le phénomène met en lumière les limites du freinage d’urgence automatique et soulève de sérieux doutes sur la stratégie technologique de l’industrie automobile.

« Freinages fantômes » : le talon d’Achille des systèmes AEB

Depuis l’été 2025, les témoignages de conducteurs se multiplient sur le territoire français. Des véhicules, parfois neufs, freineraient brutalement à 110 ou 130 km/h sans aucune action du conducteur. Si le gouvernement a ouvert une enquête via le SSMVM, les spécialistes de la sécurité y voient déjà le signe d’une faille de conception dans l’intégration des systèmes électroniques de détection et de freinage.

Le « freinage fantôme » s’inscrit dans un contexte très précis : l’AEB (Automatic Emergency Braking), rendu obligatoire sur toutes les voitures neuves depuis 2022. Ce dispositif repose sur un réseau de capteurs radars et de caméras, complété par un calculateur qui doit identifier la présence d’un obstacle et déclencher un freinage d’urgence si le conducteur ne réagit pas.

Or, comme l’explique Christophe Theuil, vice-président de la Fédération française de l’expertise automobile, interrogé par Le Point, « les capteurs peuvent détecter des choses qui n’existent pas ». Un reflet sur la chaussée, une variation lumineuse ou un panneau mal interprété peuvent suffire à tromper l’algorithme. Résultat : un freinage à pleine puissance, totalement imprévisible.

Ce problème était connu en laboratoire, mais la multiplication des cas réels en circulation interroge. Joanna Peyrache, victime d’un accident sur l’A40 en avril 2025, témoignait dans Le Point : « La voiture a freiné très fortement jusqu’à quasiment l’arrêt ». Dans un autre cas dramatique, une conductrice sur l’A7 a vu sa passagère perdre la vie après un freinage brutal alors qu’elle roulait à 130 km/h.

Des témoignages qui se chiffrent par centaines

Les données disponibles surprennent par leur ampleur. L’appel à témoignages lancé par Joanna Peyrache a recueilli environ 250 réponses en quelques semaines. Il y avait même de plus de 400 cas au 15 août 2025. Le quotidien anglophone The Connexion souligne qu’« environ 300 conducteurs » ont confirmé avoir vécu une situation similaire.

Au-delà des chiffres, la nature des récits interpelle : les conducteurs décrivent des arrêts complets en pleine voie rapide, parfois sans aucun obstacle devant eux. Pour certains, ni alerte sonore ni voyant n’ont accompagné le déclenchement, ce qui renforce l’impression de perte de contrôle totale.

Ces incidents, bien que minoritaires face au nombre total de véhicules circulant, suffisent à générer une peur diffuse chez les automobilistes. Comme le résume un conducteur cité par Caradisiac : « Je n’ai pas compris pourquoi la voiture a freiné d’un coup. Il n’y avait aucun obstacle, ni voiture, même pas une ombre ».

Les constructeurs sous surveillance

Pour l’heure, aucun constructeur n’a été publiquement désigné comme responsable. Néanmoins, les regards se tournent vers Stellantis, dont plusieurs modèles Peugeot et Citroën figurent dans les témoignages. Le groupe a fait savoir être « prêt à expertiser les véhicules concernés si le ministère en fait la demande ».

Le SSMVM coordonne l’enquête et échange directement avec les industriels. Des tests dynamiques sont prévus pour reproduire les conditions de déclenchement intempestif. Mais la difficulté réside dans l’intermittence du phénomène : un bug logiciel, une interférence capteur ou un mauvais calibrage sont difficiles à isoler sans un volume massif de données.

Le spectre d’un rappel plane néanmoins. Si l’origine commune d’une défaillance était prouvée, plusieurs centaines de milliers de véhicules pourraient être concernés en France. Les coûts de rappel se chiffreraient en centaines de millions d’euros, avec un impact lourd sur les marges déjà fragilisées par l’électrification.

Un enjeu économique et technologique majeur

Pour les constructeurs, l’affaire des freinages fantômes est un test grandeur nature de la crédibilité des systèmes d’aide à la conduite. Ces technologies, vendues comme gages de sécurité, deviennent soudain synonymes d’angoisse et de méfiance.

Les assureurs observent déjà une hausse des déclarations liées à des freinages inexpliqués. Si la tendance se confirme, des ajustements tarifaires pourraient viser spécifiquement les véhicules dotés de certains systèmes AEB. Cette évolution renchérirait encore le coût de possession pour les particuliers, déjà frappés par une baisse de 5% des immatriculations neuves en France sur le premier semestre 2025.

Pour les constructeurs automobiles, l’enjeu n’est pas seulement financier mais aussi stratégique. Les constructeurs misent sur l’automatisation progressive de la conduite, avec le freinage d’urgence comme brique fondatrice. Un défaut généralisé pourrait freiner l’adoption des futures fonctions de conduite autonome et compromettre des années d’investissements en recherche et développement.