Quand le sénateur républicain John Kennedy, de Louisiane, a lu à voix haute un passage cru du livre All Boys Aren’t Blue: A Memoir-Manifesto lors d’une audience du comité judiciaire du Sénat en 2023 — en déroulant les phrases sur le lubrifiant et le sexe avec son accent du Sud, oscillant entre le théâtre et le mépris — il croyait peut-être humilier George M. Johnson. Mais Johnson, auteur·e de l’un des livres les plus censurés d’Amérique, y a vu tout autre chose, nous apprend une entrevue publié dans la plus récente édition du magazine LGBTQ+ The Advocate.

Publié en 2020, All Boys Aren’t Blue se voulait dès le départ plus qu’un simple mémoire. C’était, comme le dit son sous-titre, un manifeste. « Je savais que c’était un livre spécial », raconte Johnson au journaliste de The Advocate. « Mais je n’aurais jamais pu prédire qu’il deviendrait le centre d’une conversation nationale sur la censure, l’éducation et l’effacement des vérités queer noires. »

Johnson reconnaît que cette mise en spectacle les a affecté·e. « Mais ça a aussi permis au livre d’atteindre des publics qu’il n’aurait jamais rejoints autrement. Quelqu’un, quelque part, a vu cet extrait, a commandé le livre et a découvert une histoire dont iel ignorait avoir besoin. »

Résister par la mémoire et l’histoire

La réaction a été immédiate et féroce. Mais Johnson n’a pas reculé. En septembre dernier, iel publiait Flamboyants, une célébration vibrante des figures noires queer de l’histoire, trop souvent réduites à une facette d’elles-mêmes — voire effacées complètement. « C’était excitant, parce que j’ai pu me trouver mes propres héros », explique Johnson dans cette entrevue. « Des personnes dont je n’avais jamais entendu parler en grandissant, parce que leur identité queer avait été effacée. »

Flamboyants s’enracine dans l’héritage riche et radical de la Harlem Renaissance, une période que les manuels scolaires ont aplatie et dépouillée de son éclat queer. « Les personnes noires queer ont façonné la Harlem Renaissance », insiste Johnson. « Elles étaient dans la musique, dans la mode, dans la littérature, mais l’histoire a gommé cet aspect. »

De Josephine Baker à Gladys Bentley, de Langston Hughes à Jimmy Daniels, Flamboyants honore ce que Johnson appelle « nos Avengers » — une lignée de lumières noires queer trop puissantes pour être ignorées. Daniels, artiste de cabaret et acteur de la scène culturelle du Harlem, a particulièrement marqué Johnson.

Du Harlem Renaissance au Met Gala

Voir certains de ces héritages réimaginés récemment, au Met Gala de mai dernier placé sous le thème Superfine: Tailoring Black Style — des détails comme le smoking de Bentley ou les boucles de Baker — a été un moment de confirmation. « C’était comme un cercle qui se refermait », dit Johnson. « Et j’ai le privilège d’aider les gens à comprendre ce qu’ils regardent. »

Ce sentiment de filiation, de mémoire retrouvée et de futurs réinventés, est au cœur du travail de Johnson. « Ça ne sert à rien de raconter le passé si on ne peut pas le relier au présent », souligne-t-iel. « Et ça ne sert pas non plus de parler d’aujourd’hui si on n’offre pas une vision pour la suite. »

Transformer le désespoir en moteur

Johnson n’est pas naïf·ve face au moment que nous traversons. En tant qu’auteur·e non binaire, iel a vu en direct l’administration Trump et ses alliés tenter d’effacer toute reconnaissance des personnes non binaires et transgenres. Mais pour Johnson, le désespoir n’est pas une fin : c’est un carburant. « L’espoir peut être passif. Le désespoir force l’action », affirme-t-iel. « Stonewall n’est pas arrivé parce que les gens espéraient que ça s’améliore. C’est arrivé parce qu’ils savaient que ça ne s’améliorerait pas — à moins qu’ils ne fassent quelque chose. »

Avec cette philosophie, Johnson continue d’écrire. Pour se souvenir. Pour revendiquer. Pour réparer. Parce que peu importe combien de législateurs tentent de les faire taire, iel n’ira nulle part.
« Ils peuvent interdire le livre », conclut Johnson. « Mais ils ne peuvent pas interdire l’histoire. Et ils ne peuvent certainement pas nous interdire, nous. »