D’après les dernières données officielles, seulement 1557 entreprises éditoriales étaient véritablement actives en Allemagne en 2023. Autrement dit, une bonne moitié des entités recensées n’existe que sur le papier, ou n’est qu’une marque sans structure propre, indique le Boersenverein (PDF).
Et parmi ces éditeurs en activité, la quasi-totalité sont de toutes petites structures : plus de 1 200 publient avec moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires annuel, pour à peine 75 maisons au-delà de 10 millions.
Une concentration inexorable du marché
Cette fragmentation apparente du paysage ne doit pas tromper. En réalité, le cœur du marché est accaparé par une poignée de grands groupes. De fait, en 2023, les 33 éditeurs dépassant 25 millions d’euros de ventes annuelles ont concentré près de 68 % des revenus du secteur. Autant dire que quelques acteurs dominants se taillent la part du lion, laissant des miettes à des centaines de petites maisons indépendantes.
Parmi ces géants, on compte Penguin Random House (groupe Bertelsmann), ainsi que les groupes Holtzbrinck et Bonnier, qui possèdent chacun plusieurs maisons figurant parmi les dix premières.
Ces mastodontes raflent l’essentiel des ventes de best-sellers. À l’inverse, les catalogues plus pointus peinent à toucher un large public sans le soutien logistique et promotionnel dont disposent les majors.
Les petits éditeurs en première ligne
En contrepartie de cette concentration, des centaines de petits éditeurs se retrouvent sur la corde raide. Ces structures indépendantes peinent à boucler leurs fins de mois. En effet, les chocs récents ont aggravé la situation. La pandémie de Covid-19 a accentué leur manque de visibilité (salons annulés, ventes perdues) et l’envol des coûts du papier, de l’impression ou de l’énergie a grevé leurs budgets.
Beaucoup de petites maisons se retrouvent désormais au bord du gouffre. En 2020, l’éditeur Andreas Köglowitz (Unsichtbar Verlag) annonçait ainsi renoncer à publier, expliquant que ses livres de niche ne « couvraient plus leurs frais ».
Son cri du cœur, relayé sur le site du Börsenblatt, a trouvé un large écho : de nombreux autres petits éditeurs s’y sont reconnus : la concentration de la distribution du livre rend l’accès au marché difficile pour les petits éditeurs.
Les nouveautés des groupes dominants saturent les rayons, reléguant les ouvrages confidentiels à une quasi-invisibilité. « La vitrine des petits éditeurs rétrécit de plus en plus », résume Britta Jürgs, présidente de la Kurt Wolff Stiftung. Sans l’appui de diffuseurs puissants, un catalogue indépendant peine à se frayer un chemin jusqu’au lecteur — même lorsque la qualité littéraire est au rendez-vous.
Fusions, disparitions et solidarités
Face à ces épreuves, le paysage éditorial allemand est en pleine mutation. D’un côté, les consolidations se poursuivent : les grands groupes n’hésitent pas à racheter les maisons plus modestes dès que l’occasion se présente. Ces dernières années, plusieurs éditeurs indépendants ont ainsi mis la clé sous la porte, à l’instar d’A1 Verlag ou de Stroemfeld. Chaque fermeture ou rachat est un maillon de diversité en moins.
D’un autre côté, la résistance s’organise parmi les éditeurs qui refusent de capituler. La coopération devient un maître-mot pour survivre dans l’ombre des géants. En 2022, trois maisons littéraires indépendantes (Kampa, Schöffling & Co., Jung & Jung) ont créé l’alliance LIBERTÉ afin de mutualiser leur diffusion et de peser davantage ensemble.
Concrètement, elles mutualisent les envois de nouveautés et coordonnent leurs calendriers de parution — ce qui facilite les commandes des libraires et réduit les coûts.
Quelle diversité pour demain ?
Combien d’éditeurs survivront dans les années à venir, et qu’adviendra-t-il de la bibliodiversité en Allemagne ? Derrière les dizaines de milliers de nouveautés publiées chaque année se profile le spectre d’un paysage appauvri, dominé par quelques conglomérats. « Il faut une forme de soutien structurel pour que nous puissions continuer à faire les livres qui comptent, et pas seulement ceux qui se vendent bien », plaide Britta Jürgs.
Préserver un écosystème éditorial diversifié, où les petites maisons continuent d’éclairer la culture aux côtés des grands acteurs, est essentiel. Faute de mesures, le paysage littéraire allemand risque de s’appauvrir au profit d’une offre standardisée.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
(merci aux lecteurs qui ont aidé – fortement – à la traduction des articles allemands)
Par Nicolas Gary
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