D’abord, combattre une fausse idée reçue. En réalité, par rapport aux États-Unis, nous sommes compétitifs dans l’Union européenne. L’agressivité tarifaire de Donald Trump à cet égard le prouve : les voitures allemandes, les yoghourts français, les vaccins belges, les costumes italiens et les appareils électriques suédois se vendent très bien de l’autre côté de l’Atlantique. En 2024, les Européens affichaient une balance commerciale excédentaire de 50 milliards d’euros avec les États-Unis si l’on tient compte des biens et des services.
Mais par rapport au capitalisme d’État chinois où il devient toujours plus difficile de distinguer le public du privé, les subventions de l’innovation, l’Europe a des carences importantes notamment dans le digital, l’intelligence artificielle et l’automobile électrique. La Chine a réussi en vingt-cinq ans à développer une chaîne de valeur industrielle efficace, des matières premières à l’assemblage en passant par les procédés de fabrication et un know-how impressionnant.
L’ambition industrielle, angle mort de l’accord d’été
Pour prendre un exemple : Installer une capacité d’1 GW de nucléaire électrique en Chine coûte environ 2 milliards de dollars contre plus du double en Europe et aux États-Unis. Ce n’est pas seulement une question de technologie et de coût de personnel mais aussi de filière industrielle, d’ingénierie, de fournisseurs, d’infrastructures et de savoir-faire opérationnel sur le terrain. Comment bien couler un béton de plus de 100 cm d’épaisseur ou exécuter des soudures complexes d’acier aux parois de 4 cm d’épaisseur alors que les derniers chefs de chantier et ouvriers spécialisés ont construits leur dernier réacteur en 1985 (Tihange 3 et Doel 4).
Pour une industrie de pointe, qu’il s’agisse du nucléaire, du spatial ou de l’aéronautique, il faut un système techno-économique de haute qualité. Des universités et hautes écoles d’ingénieurs mais aussi un substrat de techniciens et de qualifications qui permettent la manufacture, la ‘fabrication à la main’. Comme pour les constructeurs des cathédrales médiévales, il fallait un Maître et des compagnons, il faut aujourd’hui un passage de flambeau de l’Ingénieur en chef, au Chef de chantier et aux ouvriers qualifiés. Au vu des retards et des dépassements astronomiques des budgets pour la plupart des grandes réalisations récentes de génie civil, c’est ici que le bât blesse en Europe. De la centrale nucléaire de Flamanville à l’aéroport de Berlin-Brandebourg en passant par la gare de Mons, il semble que la mise en œuvre soit chancelante.
La part de l’industrie dans le PIB de l’Europe est passé de 35% en 1975 à 22% aujourd’hui. En un demi-siècle, nous avons perdu des pans entiers de notre production. Les services se taillent la part du lion dans le PIB européen et de la plupart des économies développées. Mais dans un contexte géopolitique tendu, d’incertitudes économiques et de politiques protectionnistes, ne faut-il pas donner à nouveau ses lettres de noblesse au secteur manufacturier afin aussi de garantir la sécurité économique de l’UE ?
Voici le plan de la Commission pour sauver l’industrie européenne
Quelques utiles initiatives européennes en la matière méritent d’être mentionnées :
En premier lieu, le Règlement européen qui renforce l’écosystème de la fabrication de produits de technologie « zéro net », mieux connu sous son acronyme anglais NZIA (Net Zero Industry Act). Le NZIA fixe un objectif de capacité de production des 19 technologies « zéro net » en Europe. Qu’il s’agisse du solaire, du nucléaire, des batteries ou des pompes à chaleur, 40 % des besoins européens annuels de ces technologies devront être fabriqués dans l’UE d’ici 2030. C’est de bon augure mais ambitieux quand aujourd’hui, plus de 9 panneaux photovoltaïques sur 10 installés dans l’UE sont Made in China.
Dans le cadre du NZIA, un point important est la passation de marchés « hors prix ». Cela signifie qu’au lieu d’attribuer les contrats uniquement sur la base de l’offre la moins chère, les acheteurs publics (gouvernements, régions, villes,…) de ces 19 technologies vont devoir pondérer plusieurs critères qualitatifs dans leurs décisions : le risque de dépendance à un fournisseur externe unique (résilience), la priorité donnée à des chaînes d’approvisionnement diversifiées et basées dans l’UE, la durabilité environnementale sur tout le cycle de vie, la cybersécurité et les aspects sociaux y compris l’emploi local et le développement des compétences.
Bref, ces règles visent à transformer la commande publique en un outil stratégique qui récompense la production manufacturière durable, de qualité et sécurisée, et qui, in fine, soutient la fabrication en Europe. Un appel à ces projets industriels a été lancé et ceux-ci bénéficieront de l’application des marchés publics « hors prix » ainsi que des procédures de permis accéléré et des soutiens aux investissements ciblés.
Ensuite, dans sa proposition de cadre financier pluriannuel 2028-2034, la Commission s’engage pour la compétitivité, la décarbonation et l’innovation technologique avec un Fonds européen pour la compétitivité (ECF en anglais) doté d’une enveloppe de 409 milliards d’euros. Cet ECF doit faciliter l’accès au financement, en particulier pour les petites entreprises, et accélérer la mise en œuvre des projets. Il vise aussi à ce que les priorités nationales et régionales soient mieux intégrées aux objectifs de l’UE. L’Union s’attache à réduire les dépendances de pays tiers et à renforcer les secteurs critiques y compris grâce à la recherche et l’innovation dont le budget du prochain programme Horizon Europe a été multiplié par deux passant de quelques 10 à 20 milliards d’euros par an dans le prochain cadre financier européen. En outre, le prochain Horizon Europe soutiendra, pour la première fois, les applications à double usage, tant civil que militaire. Le masque est tombé et la dure réalité prend le dessus.
La Commission prévoit aussi un corpus réglementaire unique, des procédures accélérées et des obligations de déclaration réduites qui devraient faciliter la vie de l’industrie. La priorité est aussi mise sur la garantie de prix de l’énergie abordable notamment pour les grands consommateurs d’énergie (cf. chimie, verre, acier) pour qui le facteur coût de l’énergie est aussi important que le coût du travail ou du capital.
Enfin, il faudra préserver le délicat équilibre entre l’autonomie stratégique européenne (réduction des dépendances dans les secteurs critiques) et le maintien du marché unique ouvert et compétitif. Bref, une claire volonté de renforcement de la base industrielle de l’UE sans toutefois compromettre les engagements commerciaux internationaux.