C’est un geste symbolique, mais il fait son chemin. Depuis le mois de juin, les communes du bassin de l’Isle sont invitées à délibérer pour faire de la rivière… une « citoyenne d’honneur ». Une manière originale, presque poétique, de redonner de la place à ce cours d’eau discret, souvent éclipsé par la Dordogne voisine, mais qui traverse plus de 170 communes entre le Périgord et le Libournais. Une quinzaine d’entre elles a déjà voté, d’autres devraient suivre à la rentrée.
À l’origine de l’initiative, deux syndicats de rivière – le Syndicat mixte interdépartemental de la vallée de l’Isle (Smivi) en amont et le Syndicat mixte du bassin de l’Isle (SMBI) en aval – épaulés par le collectif Trois tiers. Ensemble, ils ont adressé un courrier type à chaque commune du bassin de l’Isle, en Dordogne et en Gironde, pour leur proposer cette démarche inédite. « L’idée, c’est de faire rentrer la rivière dans les délibérations municipales, alors qu’elle est généralement absente de ces espaces de décision », explique David Redon, maire de Porchères et président du Smivi. « On passe dessus, on l’ignore, alors qu’elle structure le territoire. »
« Un bien commun, vital »
Le geste peut paraître anodin. Il ne l’est pas, selon l’élu. « C’est évidemment symbolique, mais cela dit quelque chose de notre rapport à l’environnement. Une rivière, ce n’est pas juste un décor. C’est un bien commun, vital. Faire de l’Isle une citoyenne d’honneur, c’est dire qu’on la reconnaît comme un acteur à part entière. » Un message reçu cinq sur cinq du côté de Montagne, où la délibération a été adoptée sans hésitation. « On a trouvé que c’était une très bonne idée », confie la maire, Catherine Henry. « On a la chance d’avoir des ruisseaux, des rivières. Il faut en prendre soin. Je suis toujours sur la notion de soin : aux gens, aux choses, aux monuments, à la nature. Cette démarche y participe. »
« C’est évidemment symbolique, mais cela dit quelque chose de notre rapport à l’environnement. Une rivière, ce n’est pas juste un décor »
À Puisseguin, l’édile Jean-Michel Pasquon avoue avoir été « un peu surpris » par l’idée de faire d’une rivière une citoyenne d’honneur. « On a voté, mais ce n’est pas ce que je trouve le plus important aujourd’hui. La santé, la conjoncture économique, il y a d’autres priorités. » Pour lui, « ce n’est pas une mauvaise initiative », mais elle gagnerait à être mieux expliquée : « Il faut aller au-delà du symbole. Si c’est pour rappeler qu’il faut préserver la ressource en eau, alors oui, ça a du sens. Mais encore faut-il que les gens le comprennent. »
Pédagogie
Sur ce point, David Redon acquiesce. Le geste n’a d’intérêt que s’il est accompagné d’une pédagogie. « On ne va pas faire voter la rivière, on n’en est pas là, sourit-il. Mais on veut rappeler que si demain il n’y a plus d’eau, plus d’arbres, on ne vit plus. Or, ce sont ces éléments fondamentaux qui sont les grands oubliés de nos politiques locales. »
La proposition s’inscrit dans un ensemble plus large d’actions autour de l’Isle. Elle vient compléter le plan pluriannuel de gestion environnementale – un document stratégique voté cette année pour les dix prochaines années, avec 17 millions d’euros d’investissements –, mais aussi d’autres actions portées localement : sensibilisation des scolaires, suivis scientifiques de la faune aquatique, projets de restauration des berges ou d’ouverture de continuités écologiques, notamment autour des écluses et seuils.
Un petit trophée
À terme, les communes ayant voté la délibération recevront un petit trophée, peut-être une sculpture en bois ou en pierre, à installer dans leur mairie. « C’est modeste, mais visible. Un rappel physique que la rivière existe, qu’elle traverse leur quotidien, poursuit l’élu. On ne veut pas qu’elle reste dans l’angle mort. »
À partir de septembre, de nombreuses autres localités se pencheront à leur tour sur le sujet. « On espère atteindre la trentaine, voire la cinquantaine de délibérations d’ici la fin de l’année », glisse David Redon. Et si le symbole prend racine, peut-être que d’autres territoires s’en inspireront. Après tout, Paris l’a déjà fait pour la Seine, Tours pour la Loire, Pau pour le Gave. Pourquoi l’Isle, plus modeste mais tout aussi essentielle, ne mériterait-elle pas cet honneur ?