Voyons d’abord ce que dit la science. Du point de vue physique, la couleur résulte de la lumière réfléchie par un objet. Le noir, lui, absorbe pratiquement toute la lumière et ne renvoie rien ou presque vers notre œil : il « n’a pas de longueur d’onde » propre. Pas de noir dans un arc-en-ciel !

En ce sens, le noir serait l’absence de lumière, donc l’absence de couleur… À l’autre bout du spectre, le blanc est l’addition de toutes les longueurs d’onde.

Un phare pour l’art moderne

Cette rigueur scientifique se heurte à une autre réalité : l’art ! Dans les ateliers, et dans le langage courant des artistes, il est un essentiel. Le noir est utilisé dans les arts dès la Préhistoire, à partir de pigments comme le charbon, la fumée, les noix… Mais les pigments noirs étant instables et se dégradant facilement, ils sont assez peu utilisés jusqu’au XIVe siècle, sauf à créer des ombres ou des contours.

Kasimir Malevitch, Carré noir sur fond blanc

Kasimir Malevitch, Carré noir sur fond blanc, 1915

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Huile sur toile • 79,5 × 79,5 cm • Coll. galerie d’État Trétiakov, Moscou

Au XXe siècle, le noir fait sa révolution. De Kasimir Malévitch, inventeur du suprématisme avec son célèbre Carré noir sur fond blanc (1915) à Noir sur noir (1918) de son contemporain Alexandre Rodtchenko, il s’impose comme une icône de l’abstraction.

Un génie comme Henri Matisse affirmait ainsi : « Le noir est une couleur ». En décembre 1946, la galerie Maeght à Paris affiche le même discours dans une expo qui lui emprunte cette citation en rassemblant des œuvres de Pierre Bonnard, Georges Braque, Matisse, Georges Rouault – ce qui allait consacrer la perception du noir dans l’art moderne. On pourrait multiplier les exemples qui ont façonné notre relation artistique au noir ; sans omettre Pierre Soulages, virtuose de l’« outrenoir » dès 1979 et passeur de lumière noire…

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Comment voyons-nous le noir ?

Anish Kapoor, Descent Into Limbo

Anish Kapoor, Descent Into Limbo, 1992

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© Filipe Braga/Fundacao de Serralves/dpa picture alliance / Alamy / Hemis

Que se passe-t-il concrètement dans notre tête quand nous observons du noir ? Notre cerveau l’interprète comme une qualité chromatique, tout autant que le rouge ou le bleu. Il fait même d’ailleurs partie des premières distinctions que fait la rétine, encore immature, d’un nourrisson. Dans l’industrie, le design et la mode (du smoking Saint Laurent à la petite robe Chanel), le noir – synonyme d’élégance et de sobriété – fait vendre. Le noir est donc un concentré de paradoxes : absent dans le monde de la physique, il est une star culturelle dans le monde occidental et une matière pleine pour les artistes.

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