Le programme Future Combat Air System (FCAS) qui associe la France (Dassault Aviation), l’Allemagne (Airbus) et l’Espagne (Indra Sistemas), et qui prévoit un avion de combat furtif accompagné de drones autonomes et intégré à un réseau de combat numérique sophistiqué, franchira une étape importante cette année, passant de la phase de planification à la construction d’un prototype. Pour les acteurs industriels impliqués, ce prochain palier constitue l’une des rares occasions de renégocier les termes du projet.

Mais le projet connaît de nombreuses tensions, sur différents points comme la direction opérationnelle.

L’une des frictions qui a fait couler le plus d’encre reste la relation difficile entre les deux principaux contractants aérospatiaux, Dassault Aviation et Airbus Defence, dont l’union a été largement forcée par des accords politiques conclus à Paris et à Berlin.

Cependant, malgré les désaccords, ni Paris ni Berlin ne seraient mieux lotis s’ils abandonnaient le programme — estimé à plusieurs milliards d’euros. En effet, un retrait signifierait l’absence d’une option européenne pour un avion de combat furtif de sixième génération et porterait un coup aux projets de défense transeuropéens.

« L’Allemagne et la France se situent à un carrefour, et si elles décident d’investir davantage, elles rendront le projet irréversible », résume Bertrand de Cordoue, expert chevronné de l’industrie aérospatiale qui travaille aujourd’hui à l’Institut Jacques Delors.

Lutte pour la direction du projet

Éric Trappier, PDG de Dassault, n’a pas hésité à revendiquer un rôle dominant dans ce projet. En juin, il a déclaré que son entreprise pouvait « faire cavalier seul » dans le domaine du FCAS.

De son côté, Jean-Brice Dumont, responsable de la puissance aérienne chez Airbus Defence, avait expliqué aux journalistes peu après le salon du Bourget : « Nous sommes des concurrents qui doivent se marier ».

Plusieurs observateurs et experts de l’industrie ont indiqué à Euractiv que Dassault et Airbus Defence devront presque certainement travailler ensemble, même s’ils préféreraient suivre des chemins opposés.

Depuis le début, l’effort de construction d’un système de combat aérien intégré a été motivé par des considérations politiques. Le président Emmanuel Macron et la chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel, avaient lancé le projet en 2017, l’Espagne se joignant à eux deux ans plus tard.

En juillet de cette année, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz ont réitéré leur soutien politique au programme, et leurs ministres de la Défense sont chargés d’élaborer un plan pour régler les différends et faire avancer le projet d’ici à la fin du mois d’août.

La France manque d’efficacité

La France a toujours eu des difficultés avec les projets d’avions militaires européens. Elle s’est déjà retirée des consortiums à l’origine des avions Tornado et Eurofighter.

Mais la situation critique des finances françaises et les contraintes budgétaires importantes limitent désormais les options. Paris « n’a pas beaucoup de marge de manœuvre pour menacer de faire cavalier seul », estime Bertrand De Cordoue.

Stuart Dee, économiste de la défense chez RAND Europe, considère que le coût du redémarrage et du développement d’un avion de combat de sixième génération à partir de zéro mettrait à rude épreuve les finances de presque n’importe quel pays.

« Seul un très petit nombre de nations au niveau mondial peut financer un programme de cette envergure de manière indépendante, d’où la raison d’être initiale du co-développement entre partenaires », détaille-t-il.

Risques politiques pour Friedrich Merz et Emmanuel Macron

Emmanuel Macron, dont la fonction présidentielle prendra fin en 2027, a contribué au lancement du FCAS et a peut-être même été le plus fervent défenseur de l’intégration européenne et de la souveraineté sur les questions militaires. Après avoir investi du capital politique dans le projet, un échec pourrait laisser des traces.

« Pour Emmanuel Macron, l’objectif est de consolider ce projet avant de quitter la fin de son mandat », observe Bertrand de Cordoue.

Friedrich Merz, au pouvoir en Allemagne depuis le mois de mai, s’est également présenté comme le champion d’une plus grande coopération européenne en matière de défense. Le retrait du FCAS nuirait à ses ambitions de faire de son pays la première puissance militaire de l’UE.

Le chancelier s’est par ailleurs vanté d’être l’homme qui serait capable de reconstruire les relations franco-allemandes, devenues glaciales sous son prédécesseur, le socialiste Olaf Scholz, bien que ces efforts se soient récemment essoufflés .

Quelles alternatives au FCAS ?

Si le FCAS échoue, les pays pourraient chercher à rejoindre l’autre projet phare d’avion de combat de sixième génération, le Global Combat Air Programme (GCAP), avec son avion Tempest.

Toutefois, ce projet — un effort conjoint du Royaume-Uni, de l’Italie et du Japon — est déjà en cours et la date de livraison est programmée à 2035. Tout nouvel arrivant au sein du GCAP aurait donc un impact moindre, et aurait probablement du mal à obtenir une participation importante de la part des entreprises de défense nationales.

Justin Bronk, expert en matière de puissance aérienne au sein du groupe de réflexion britannique RUSI, note que les pays du GCAP ont largement finalisé la répartition des contrats, des travaux et d’autres éléments du programme, ce qui rend très peu probable l’ajout de grands acteurs industriels allemands ou autres à ce stade.

Tout en corroborant ces propos, Stuart Dee, ajoute qu’une telle initiative « devrait prendre en compte les investissements et les intérêts considérables des acteurs non européens, tels que le Japon ».

Le client a toujours raison

Ces facteurs incitent fortement l’Allemagne, la France et l’Espagne à maintenir à flot le programme FCAS — en sachant que ce sont les dirigeants politiques, et non les entreprises, qui prendront les décisions finales sur la marche à suivre.

« C’est celui qui paie qui décide. Et au final, c’est l’État qui paie, pas l’industrie », a précisé le député allemand Christoph Schmid, rapporteur pour l’armée de l’air allemande. « C’est la raison pour laquelle je pense qu’il subsiste encore un moyen de pression pour amener l’industrie à coopérer. »

Bertrand De Cordoue confirme qu’une dynamique similaire existe à Paris : « Le gouvernement français a le pouvoir politique de convaincre Dassault de poursuivre le projet, comme il l’a fait depuis le début ».

Même si les entreprises de défense se plaignent, celles-ci dépendent des contrats gouvernementaux et ont plus à gagner en s’adaptant à la volonté politique qu’en s’y opposant.

(sn, asg)