UNIVERS DÉTENDU
En 2023, le blockbuster historique Pathaan réunissait les sagas Tiger et War pour créer le Spy Universe, un univers étendu d’espions héroïques produit par le prestigieux studio Yash Raj Films. La formule est relativement simple, spectaculaire et décomplexée, quelque part entre Mission Impossible et Fast & Furious 7. Depuis ce triomphe, le seul opus sorti était le décevant Tiger 3, qui manquait cruellement de générosité. La sortie de War 2 est donc un événement important à Bollywood, avec l’objectif de remettre la franchise sur le droit chemin.
Cet opus se démarque dès l’ouverture en nous présentant l’agent Kabir comme un traître qui serait devenu un mercenaire sans pitié. Aux influences des précédents volets, on peut ajouter la saga John Wick. C’est particulièrement évident lors de l’excellente séquence d’ouverture, un long combat au sabre au Japon. Entre la violence crue, l’éclairage et les néons, difficile de ne pas voir l’ombre de Chad Stahelski. Ajoutons enfin une touche de James Bond avec une organisation secrète nommée Kali, qui rappelle le Spectre. Un cocktail bien chargé avec la générosité habituelle des blockbusters indiens.
Kabir Wick
Pour son premier film au sein du Spy Universe, le réalisateur Ayan Mukerji marche de façon évidente dans les pas de Siddharth Anand (War, Pathaan). L’idée est d’offrir un récit pulp qui assume totalement ses excès et qui élève ses héros au rang de quasi-divinités. Chez Anand, tout se joue dans le grand spectacle avec une gestion brillante des séquences d’action. Là encore, Ayan Mukerji tente de réutiliser le même schéma avec une gradation de l’intensité et de longs morceaux de bravoure.
À l’image des suites hollywoodiennes dans les années 80 et 90, War 2 veut tout faire en plus grand et plus fort que son prédécesseur. L’ambition était annoncée dès le casting avec l’arrivée de NTR Jr (RRR), superstar du cinéma télougou, qui en fait le premier opus pan-indien de l’univers. Face à lui, Hrithik Roshan est plus magnétique que jamais. Le duel entre les deux héros fait des étincelles et chaque plan déborde de charisme. De quoi nous confirmer que le culte des superstars a encore de beaux jours devant lui en Inde.
Une apparition explosiveSE METTRE AU (FOND) VERT
Tenter de copier minutieusement le style de Siddharth Anand est une chose, avoir son niveau d’exigence technique en est une autre. Ayan Mukerji n’a clairement pas la même maîtrise du cinéma à grand spectacle et son Brahmastra le prouvait déjà. Dans l’intelligence de la mise en scène, on reste un gros cran en dessous de War et Pathaan. Le découpage des séquences d’action est moins fluide, le montage manque parfois d’équilibre. Au-delà de la séquence d’ouverture, la violence est étonnement moins incisive, quand bien même cette suite a été vendue comme l’opus le plus sombre de la saga.
La limite technique la plus évidente de War 2 se trouve dans la gestion des effets numériques. Avec la contrainte des budgets bollywoodiens, il n’est pas toujours évident d’être à la hauteur des ambitions affichées par le Spy Universe. Dans Pathaan, la séquence de jet pack souffrait d’effets ratés. Mais Siddharth Anand compensait systématiquement par des plans iconiques mémorables. À l’inverse, Ayan Mukerji semble accepter certains effets totalement ratés sans chercher à trouver une idée visuelle suffisamment forte pour nous faire accepter ce qui se passe à l’écran.
De bonnes idées mais des effets inégaux
Même constat pour l’utilisation trop marquée de fonds verts. Dans un récit d’espionnage censé nous faire voyager à travers le monde entier, il est crucial de faire croire aux environnements et aux décors. L’écart technique est évident entre les séquences filmées en studio (censées se dérouler dans un pays exotique) et celles pour lesquelles on voit que l’équipe a réellement tourné en extérieur, en Espagne ou en Italie par exemple.
Malgré toutes ces limites, War 2 reste un spectacle particulièrement généreux et divertissant. Le film nous offre des séquences spectaculaires absolument folles, au point de nous faire oublier qu’il dure près de trois heures. On pourrait citer la longue course-poursuite en Espagne, une illustration brillante de l’importance des effets pratiques. D’autant que le film n’est pas avare en morceaux de bravoure. Entre un combat aérien, une course-poursuite en bateau qui passe par une piste de Formule 1 ou un combat à mains nues dans une grotte, difficile de bouder son plaisir.
La beauté des (vrais) paysagesCONFLITS INTIMES
Dans le paysage politique indien actuel, le Spy Universe a toujours proposé des réflexions étonnamment complexes sur la notion de patriotisme. War 2 n’y fait pas exception. On y oppose constamment un amour du pays « à l’ancienne » face à l’opportunisme de ceux qui veulent le pouvoir pour diviser et être servis. Mais ce nouvel opus va sur un terrain totalement inhabituel en allant chercher plus particulièrement des conflits intimes.
Pour la première fois dans cet univers, le film fait un écart narratif d’environ une demi-heure afin d’explorer la jeunesse de son héros. Il ne s’agit pas simplement de rajouter des origines superficielles à Kabir mais plutôt de mieux comprendre sa part d’ombre, ses démons intérieurs et les conditions dans lesquelles il est devenu l’agent que l’on connaît. Ce long segment au passé confirme d’ailleurs à quel point Ayan Mukerji est bien plus à l’aise avec un cinéma intimiste.
Embrasse-moi si tu peux
Plus encore que le premier volet, War 2 assume pleinement la tension homoérotique entre Kabir et son nouvel ennemi. Le film joue constamment sur un jeu de séduction, des regards complices particulièrement équivoques le temps d’une danse ou encore la symbolique très peu fine des deux corps qui s’entrechoquent sur un même piquet. Cela semble fou de voir un pur blockbuster bollywoodien embrasser à ce point des métaphores queer. Et là encore, cette ambiguïté contribue à distinguer tout particulièrement Kabir dans cet univers de muscles et de testostérone.
Dans sa deuxième partie, le scénario enchaîne les twists à un rythme vertigineux. Tout n’est pas forcément bien amené, mais les surprises constantes créent un véritable jeu avec le spectateur qui tente de deviner où ira le récit sans jamais y parvenir. On avait énormément reproché à Tiger 3 sa narration prévisible et linéaire. War 2 corrige le tir grâce à un scénario surprenant et plus profond qu’il n’y paraît. Sans toucher les sommets de son univers étendu, ce nouvel opus reste une belle réussite. Et la deuxième scène post-générique nous donne encore un peu plus envie de voir la suite.