À quoi ça tient, un look estival? Qu’est-ce qui fait et défait une mode? Pourquoi se met-on à consommer tel ou tel produit?
Suivant la génération des personnes à qui l’on ira poser cette question, voire selon l’endroit où l’on se trouvera en France, la réponse va différer. Mais il est indéniable que les 16-24 ans mènent la danse.
Dans une époque où la fast fashion et les réseaux sociaux dictent leur rythme fou, il est certainement plus difficile d’être dans le coup que lors des décennies précédentes.
Qu’en est-il sur la Côte d’Azur et dans le Var où se pressent touristes, people et influenceurs? Nous avons arpenté les plages et les rues, l’œil ouvert aux modes et à leurs soubresauts.
Les Crocs customisées, stars de l’été
Les commerçants ne cessent d’alimenter leurs réassorts, même si « cela fait plusieurs années qu’elles sont revenues en force », confirme une employée de la boutique Kaliko, dans le Vieux-Nice.
Les Crocs, chaussures créées en 2002 au Québec, sont passées du registre enfantin à celui des adultes branchés, avant de séduire aujourd’hui massivement les adolescents.
Leur succès, observent les sociologues de la consommation, s’explique par un double mouvement: d’un côté le retour assumé du « moche cool », de l’autre la recherche d’objets personnalisables, permettant de se distinguer. La customisation à outrance via les fameux « jibbitz », ces pins colorés qui transforment chaque paire en support d’identité, illustre bien cette logique.
Dans un contexte où la mode devient un langage social, chaque chaussure devient un signe d’appartenance… ou d’ironie. Selon une étude relayée cet été par Business of Fashion, les Crocs sont ainsi devenues un « marqueur générationnel », adoptées autant pour leur confort que pour leur capacité à générer un récit sur soi. Une tendance visible chez nous.
Les peluches Labubu… et leurs multiples déclinaisons
Les Labubu, peluches imaginées par l’artiste hongkongais Kasing Lung, s’arrachent en quelques minutes à chaque sortie. Photo Dylan Meiffret.
On reste dans la mode régressive avec le retour fracassant des peluches. En tête, Labubu, une petite créature au regard malicieux et aux dents acérées, née de l’imagination de l’artiste hongkongais Kasing Lung. Chaque nouvelle édition, souvent vendue en série limitée, s’arrache en quelques minutes en ligne ou chez les revendeurs agréés.
Devant le nouveau magasin Miniso de l’avenue Jean-Médecin à Nice, ouvert depuis le 26 juillet, les déclinaisons de ce phénomène pop à l’esthétique japonisante créent l’événement.
Il y a foule, ce mardi d’août, pour s’acheter des figurines et peluches Cinnamoroll, « trop mignonnes », selon cette jeune fille croisée avec sa mère devant la boutique. Ou encore un objet estampillé Stitch.
Et oui, ce revenant kawaii (mignon en japonais) a explosé tous les compteurs depuis la sortie, fin mai au cinéma, de la version live action du film d’animation Disney de 2002, Lilo & Stitch.
La marque américaine Stanley a popularisé cette forme de grande gourde avec une paille, appelée maintenant « Stanley cup ». Photo Dylan Meiffret.
Le petit extraterrestre bleu est devenu en quelques mois la deuxième plus grosse franchise de produits dérivés Disney de l’histoire, après Mickey. Tee-shirts, sacs à dos, Stanley cup, coques d’iPhone… il suffit d’ouvrir les yeux pour l’apercevoir partout, y compris dans les Alpes-Maritimes et le Var.
Le retour des pinces à cheveux à fleurs
Décidément, la Polynésie a le vent en poupe. Stitch n’est pas le seul symbole hawaïen à avoir envahi villes et plages cet été. Au milieu des tonnes de bijoux fantaisie revenus très à la mode, les fleurs tropicales en plastique (notamment la fleur de tiaré) se sont fait une place de choix dans les cheveux des Azuréennes et des Varoises, et plus largement des Françaises.
« Importées » des plages du Pacifique mais repensées par les marques européennes, elles surfent sur la vague de l’accessoire feel good: pratique, peu coûteux et immédiatement festif.
Selon le bureau de tendances WGSN, cette saison marque en effet un retour aux « icônes de bien-être visuel », avec une préférence pour les motifs floraux exotiques et les couleurs éclatantes. Le Figaro Mode soulignait en juin que la tropical touch s’était imposée sur les podiums, de Jacquemus à Zara, comme « un antidote au climat anxiogène ».
La fleur de tiaré, en plus d’évoquer un lointain voyage, incarne également une forme de douceur et de légèreté, des valeurs recherchées dans un quotidien incertain. On l’a retrouvée sur les plages de la Côte d’Azur… mais survivra-t-elle à l’été?
Mode: les hauts en crochet ou ajourés règnent sans partage
Sortez les mémés des Ehpad et mettez-les à contribution: le crochet n’est plus réservé à l’artisanat confidentiel et aux couvre-lits hideux. En 2025, il s’est imposé comme la star de la saison. Robes longues, tops délicats, bralettes, mais aussi cardigans et polos ajourés, séduisent autant les femmes que les hommes.
Ce revival « boho-chic » est venu d’en haut. Les grands noms (Chanel, Dior, Chloé) ont d’abord modernisé la maille. Chez les hommes, le must de l’été: les polos-cardigans à nid d’abeille et les tops plus ou moins ajourés, qui structurent la carrure en soulignant les épaules, tout en laissant respirer la peau.
Concernant le bas, n’en déplaise à Paul Mescal ou Pedro Pascal, stars incontournables d’Hollywood (et du Festival de Cannes) qui s’affichent régulièrement en shorts de rugby ou bermudas moulants, la tendance plage 2025 privilégie les jorts et autres pantacourts aux coupes bien amples, confort oblige.
Les couleurs oscillent entre pastels doux et tons naturels (le beige, couleur un temps honni, est revenu en force dans la déco d’intérieur, les vêtements et les chaussures), comme un pyjama chic. L’époque est aux « doudous émotionnels », on vous a dit.
POV: j’utilise les expressions de jeunes
Vous étiez déjà largué à l’époque du « quoicoubeh » ou du très énigmatique « apanyan »? Accrochez-vous, car 2025 est riche en nouvelles dingueries linguistiques. Pour ne pas passer pour un « turbo-boomer gênant » (un vieux relou, cqfd), il faut laisser tomber ses expressions « éclatées au sol » (nulles), sans non plus faire les « gros forceurs » (des gens qui insistent) anachroniques.
Aujourd’hui, on valide avec un « +1000 aura » (en gros, une amélioration du flow), on dédicace « le S » (pour « le sang », soit la famille, les amis…) à tour de bras, on se frotte à l’affrication sudiste sans trembler (« Antchibes », « tchyé un tigre du Bengale »…) et on dézingue les « pick me » (des personnes qui réclament de l’attention à tout prix).
Pour ne pas finir « en PLS » (en « position latérale de sécurité », c’est-à-dire au plus mal), on évite toutefois de se faire « matrixer » (être sous l’emprise de quelque chose ou de quelqu’un) par les réseaux, bourrés de « refs » (références) obscures qui changent tous les mois.
Cette créativité, c’est aussi celle d’artistes qui bousculent les codes: notre « Kongolese sous BBL » préférée, Theodora, star fulgurante de la scène musicale française, manie ses histoires de « gros fiak » (grosses fesses) avec un humour moderne qui slay littéralement les charts (en clair, elle cartonne). Une boss lady en plein règne, miroir d’une génération qui transforme la langue en terrain de jeu vibrant.
Musique: un été bien « chargé »
Il n’y a pas que Theodora… Difficile d’y échapper sur les plages, et si leur diffusion sur des enceintes de mauvaise qualité par des grappes de jeunes s’accompagne parfois d’un peu d’agacement, les tubes de l’été se font et se défont aussi sur le sable et les galets.
Sur la plage de la Plateforme à Nice ou à Coco Beach ce jour-là, tout comme sur les réseaux sociaux, un morceau s’est fait une place de choix: Charger, du groupe Triangle des Bermudes. C’est sans conteste l’hymne rap de la saison, avec un carton en clubs et sur TikTok. Sorti en février, le titre domine Spotify France avec plus de 18 millions d’écoutes et figure encore dans le top 5 d’Apple Music en cette fin août.
De l’autre côté du spectre musical (le morceau Charger est aussi violent que le suivant est doux) et du Var, on retrouve le duo français Bleu Soleil, notamment entendu sur les plages du Lavandou et de la presqu’île de Giens lors d’un reportage en terres varoises. Soleil bleu, leur collaboration avec la chanteuse franco-brésilienne Luiza, sorte de reggae électro-pop aux touches latines, est classé disque de platine, avec plus de 5 millions de streams sur les plateformes et une forte rotation sur les radios.
Invitation à la détente, ce morceau lumineux et facile à chanter donne envie de se prélasser avec un cocktail à la main.
Cocktails: gardez la pêche!
En parlant de cocktails, à chaque été son breuvage phare. Le Spritz a fait son temps, tout comme ses délicieuses variantes (Hugo, limoncello, Lillet, etc.). L’espresso Martini est « so 2024 », même chose pour le Frescu.
Assurément tropical, l’été 2025 a apporté dans ses grosses valises un classique, remis au goût du jour, le Pornstar Martini. Créé à Londres en 2002 par Douglas Ankrah, mixologue du Townhouse Bar, il est au départ inspiré d’un club de Cape Town, en Afrique du Sud. Vodka vanille, fruit de la passion, citron vert… et un shot de l’indémodable prosecco.
Au bar à cocktails Povera, à Nice, on évite les fruits de la passion venus du bout du monde, pour se consacrer à la confection d’un élixir avec uniquement des produits locaux, l’Apple-tini. Les Azuréens se le sont arraché à l’automne dernier.
Cet été, c’est le Peach-tini que tout le monde commandait lorsque nous nous sommes rendus à deux reprises dans cette adresse branchée de la rue Emmanuel Philibert. Sorte de granité à la vodka, traître car doux et sucré, il confirme l’omniprésence de deux tendances cet été: la régression et le thème « tropical ».
L’immense succès de la star portoricaine Bad Bunny et de son album Debí Tirar Más Fotos, en tête des ventes pendant plusieurs mois en début d’année, y est sans doute pour quelque chose. Après le « Brat summer » de 2024, 2025 a eu envie de salsa et de reggaeton. « Dame Un Grrr »…
L’ube latte, boisson violette
Après la fête, on boit quoi le matin? Exit le matcha latte, boisson éminemment instagrammable avec sa couleur verte: le « hipster coffee » du moment est l’ube latte, un breuvage violet qui s’est récemment glissé sur les cartes des coffee shops branchés, de Nice à Toulon.
À La Claque Café dans le Vieux-Nice (les premiers à l’avoir proposé dès le mois de mai), ou à Penida à Toulon, on sert cette poudre de tubercule originaire des Philippines et de Malaisie avec le lait de son choix, chaud ou froid. Il s’agit donc d’une sorte de patate douce, subtilement sucrée, avec un goût moins agressif et « métallique » que le matcha, et plus fun et vanillé que le chai, également utilisé en pâtisserie.
Visuellement irrésistible, le ube latte était le candidat idéal pour les stories Instagram estivales. Là encore, la tendance est à la « nourriture régressive », comme un retour en enfance dans un gobelet.