Par

Emilie Salabelle

Publié le

21 août 2025 à 19h06

Trois drames en moins d’une semaine, et des circonstances similaires. Le mois d’août 2025 a été tristement marqué par la noyade de jeunes enfants présentant des troubles graves du spectre autistique. Mardi 12 août 2025, un garçon de 11 ans est décédé lors d’une sortie au centre nautique de Choisy-Paris-Val-de-Marne. Le vendredi qui suivait, un petit de 7 ans se noyait alors qu’il était parti dans l’Allier avec une colonie de vacances organisée par la ville de Bobigny. Le dimanche, une fille de 11 ans était retrouvée morte dans les eaux d’une base de loisirs de Seine-et-Marne. La succession rapprochée de ces événements tragiques remet cruellement sur le devant de la scène les problématiques liées à la prise en charge des enfants atteints de formes graves d’autisme, recontextualise, pour actu Paris, Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France. Et pointe la responsabilité d’un système français qui, selon elle, n’a pas pris la mesure des besoins nécessaires à l’encadrement de ce public particulièrement fragile et à risque en milieu aquatique.

actu Paris : Comment expliquer ces trois noyades, survenues en moins d’une semaine dans des circonstances similaires ?

Danièle Langloys : Les problèmes de fond restent toujours les mêmes : ça reste compliqué d’accueillir des enfants autistes dans les centres de loisirs. Ma terreur, c’est que ce genre de drame se solde par des réactions du type : « Vous voyez bien que ce n’est pas la place des autistes d’être dans des structures d’accueil ordinaire ». Si, c’est leur place. Mais il faut y mettre les moyens. La responsabilité ne doit pas retomber sur les centres de loisirs. Ils n’ont ni les moyens, ni les formations nécessaires pour accueillir des enfants autistes.

Dans ces trois situations, les victimes avaient visiblement des troubles sévères : pour ces formes particulières d’autisme, il faut une vigilance de tous les instants. Il est toujours possible qu’un enfant échappe à la vigilance d’un adulte. Les encadrants de ces trois centres doivent être terrorisés. Ce n’est pas juste, ce n’est pas à eux d’assumer la responsabilité de situations atypiques et hors norme, mais à l’État. On ne peut pas éviter tous les drames, mais on peut éviter qu’ils arrivent dans de telles proportions. Ces trois noyades auraient pu ne pas arriver.

actu Paris : Aujourd’hui, quelles sont les conditions pour accueillir un enfant autiste au sein d’un centre de loisir ?

D.L : La loi prévoit que ces derniers peuvent être intégrés à des groupes d’enfants sans pathologie particulière dans le cadre de sorties en centres de loisirs. Cela garantit qu’il n’y a pas de discrimination, et c’est très bien. Lorsqu’un enfant autiste est inscrit, un centre de loisir peut bénéficier d’un bonus handicap versé par la Caf, ce qui doit laisser en théorie plus de marge de manœuvre, notamment pour obtenir, au mieux, un encadrant supplémentaire. Mais cette aide n’est pas automatique, il faut en faire la demande. Et cela reste largement insuffisant.

actu Paris : Quelle est la problématique propre à l’autisme lorsqu’il est question de baignade ?

D.L : Une étude américaine de 2017 dit qu’un enfant autiste à 160 fois de risques de plus qu’un enfant ordinaire de se noyer. Il n’a aucun réflexe pour se sortir d’une situation de danger maximal. Ils peuvent être attirés tout de suite par l’eau, surtout s’il fait chaud. Or, ils n’ont aucun sens du danger, ils n’anticipent pas qu’ils n’auront peut-être pas pied. Ce sont des enfants qui ne parlent pas, qui ne comprennent pas une consigne. Si on n’est pas formé, on ne sait pas comment communiquer avec eux.

actu Paris : Qu’est-ce qui a manqué pour que ces sorties se déroulent en sécurité ?

D.L : D’abord, l’encadrement était notoirement insuffisant. L’un des groupes comptait pourtant 8 animateurs pour 38 enfants, ce qui n’est pas négligeable, pour des groupes sans situation de handicap. Mais dans le cas d’un trouble autistique sévère, il faut un encadrant dédié spécifiquement à cet enfant. Sinon, c’est impossible à gérer pour l’équipe encadrante, qui doit avoir des yeux partout.

La deuxième précaution qui faisait défaut, c’est l’usage de matériel préventif dès qu’on se trouve sur des lieux d’activité aquatique. La règle absolue avec des enfants autistes de trouble sévère, c’est le port d’un gilet de sauvetage obligatoire dès l’arrivée sur le lieu où l’eau est à proximité, et pas au moment où on arrive sur un ponton par exemple. Il y a également la solution des t-shirt anti-noyades, qui agissent comme des espèces d’airbag qui retournent l’enfant sur le dos quand ils se déclenchent. Avec un taux d’encadrement de un pour un, ça devrait être le réflexe automatique de prévention.

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actu Paris : Et sur le plan de la formation ?

D.L : Aujourd’hui, le module handicap pour avoir le Bafa n’est qu’optionnel, il devrait être obligatoire. Il y a un manque de formation évident. Les animateurs ne savent pas à quoi s’attendre. Savoir qu’un enfant autiste peut très facilement échapper à la vigilance, et être attiré par l’eau, ça ne s’improvise pas. Il faudrait une formation minimale d’apprentissage des réflexes à avoir pour prévenir les accidents, ne pas être déstabilisé par les réactions possibles des enfants autistes, qui ne supportent pas d’être tenus, touchés, qui peuvent se démener et se jeter à l’eau.

actu Paris : Qu’en est-il de l’apprentissage de la nage chez les enfants atteints d’un trouble sévère du spectre autistique ?

D.L : Il y a une urgence à ce que tous les enfants sachent nager. Pour les autistes, c’est une urgence absolue. Cela leur permettrait d’acquérir des réflexes dès 18 mois ou 2 ans pour ne pas se retrouver en danger de mort : se tenir dans l’eau, ne pas boire la tasse, se retourner… Mais c’est quasiment impossible de trouver une piscine qui accepte des créneaux adaptés, ou alors à dose homéopathique. Rien n’est organisé ni structuré, seules quelques initiatives locales existent, c’est la misère. Beaucoup de familles qui essayent de trouver des cours adaptés se font jeter. C’est un apprentissage compliqué pour en enfant autiste, cela va prendre beaucoup plus de temps. Il faudrait pouvoir avoir des créneaux dédiés, avec la présence d’un membre de la famille.

actu Paris : Qu’attendez-vous de la part de l’État après ces drames ?

D.L : La ministre s’est engagée à diligenter une enquête. Mais ça fait 30 ans qu’on alerte sur le fait qu’il faut plus de personnels et de la formation, et qu’il faut travailler sur l’appropriation de l’eau chez les autistes.

On ne peut pas dire que la société est inclusive si on ne fait pas d’efforts. Il serait peut-être temps d’abandonner ce qui se fait depuis plusieurs années : la disparition de l’autisme dans les politiques publiques. Les plans autisme ont été remplacés par des stratégies « troubles du neuro-développement ». C’est un fourre-tout trouble, qui regroupe par exemple la dyspraxie, la dyslexie, les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les tics… On n’a plus le droit de faire quelque chose de spécifique à l’autisme. Mais les trois enfants qui se sont noyés n’étaient pas dyslexiques, ils n’avaient pas un trouble de l’attention, ils étaient autistes. C’est un trouble spécifique grave, avec des besoins spécifiques. La manière dont les enfants autistes se mettent en danger par rapport à l’eau est spécifique.

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