Pour la première fois, deux foyers épidémiques de chikungunya autochtone se sont formés cet été en Occitanie, malgré une canicule et une sécheresse peu favorables. La baisse des températures et le retour des orages donnent à l’insecte des conditions optimales à sa prolifération.
« Il faut redoubler de vigilance, et supprimer tous les gîtes larvaires » : Didier Fontenillle, chercheur émérite à l’IRD, est sur le qui-vive, en cette fin août. En le disant autrement, il invite à vider les coupelles d’eau stagnante après l’orage ou l’arrosage, et à changer régulièrement l’eau des vases de fleurs. Ce sont des « nids » de moustique tigre, l’aedes albopictus, vecteur de la dengue, du chikungunya, ou encore de zika.
2025 a été une année hors normes : la première partie de l’été a vu apparaître deux « clusters » d’une quinzaine de cas de chikungunya autochtone en Occitanie, autour de Castries, en périphérie de Montpellier, et dans le secteur de Poulx Cavairac, dans le Gard. Inédit. Ces foyers sont encore actifs, précise le Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles à Santé publique France, qui rappelle que « 27 foyers de chikungunya autochtone » sont déjà comptabilisés en France métropolitaine et Corse en 2025, contre « 4 foyers de 2010 à 2024 ». « C’est considérable », admet-elle.
Le chiffre est aussi stupéfiant au regard du nombre de cas : 154 déjà cette année, contre 32 de 2010 à 2024.
La situation de l’été 2025 est inédite.
Midi Libre – ANTOINE LLOP
En même temps, l’agence de santé de l’Union européenne a fait état, le 20 août, d’un nombre record de cas de maladies transmises par les moustiques. Du chikungunya encore, mais aussi du virus du Nil occidental, la fièvre West Nile, transmise via notre moustique commun, le Culex.
En France, les conditions n’étaient pourtant pas favorables, avec deux épisodes de canicule assortis d’une sécheresse. Le moustique tigre, aedes albopictus, « a besoin d’eau et de chaleur, sans excès », pour pulluler, rappelle Didier Fontenille. « La période que nous venons de vivre a fait baisser la densité des moustiques ».
La fin du mois d’août, ses orages, et l’été indien qui s’invite habituellement jusqu’en octobre, sont désormais propices à la prolifération des larves.
Charlotte Boullé, infectiologue, veut suivre une cohorte en Occitanie
Plus de la moitié des personnes infectées par le virus chikungunya gardent des séquelles articulaires altérant de façon significative leur qualité de vie deux ans après l’infection, révélait, en 2012, une étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et de l’Inserm, réalisée sur des cas importés en métropole. En 2025, l’institut Pasteur a revu le chiffre légèrement à la baisse, à 40 % de personnes malades, selon Science et avenir.
« Le chikungunya provoque une fièvre et des douleurs articulaires sévères, souvent handicapantes et pouvant durer longtemps. Les autres symptômes possibles comprennent une tuméfaction des articulations, des douleurs musculaires, des céphalées, des nausées, de la fatigue et des éruptions cutanées », précise l’organisation mondiale de la santé, au printemps 2025.
La Réunion, avec 200 000 personnes touchées (20 décès) cette année, est évidemment en première ligne.
En Occitanie, la situation est suivie avec attention par le service des maladies infectieuses du CHU de Montpellier. « Il n’y a pas de suivi systématique, mais des gens arrivent chez nous sur orientation de leur médecin traitant, ou spontanément », explique le Dr Charlotte Boullé, qui confirme des tableaux cliniques de handicaps lourds, des arthralgies sévères « très bien décrites dans la littérature scientifique », qui persistent « dans les deux ans qui suivent une infection, souvent des jeunes, avec des conséquences socio-économiques », précise-t-elle.
Si le traitement, à base d’anti-inflammatoires, est commun, le médecin déconseille fortement de procéder à l’automédication : « Il faut vérifier, par un bilan, que les symptômes ne sont pas ceux d’une autre pathologie », une polyarthrite rhumatoïde par exemple. Si elle est rarement un « déclencheur », une infection aiguë peut en effet être un « révélateur ».
En association avec des collègues de Paca, Charlotte Boullé a déposé un projet de recherche et une demande de financement auprès de l’ANRS (Agence nationale de recherche scientifique), sur une cohorte de patients vivant en Occitanie à qui elle souhaite proposer un cadre de dépistage et de suivi.
La dengue à l’automne ?
« On s’attend à avoir de nouveaux foyers de moustiques fin août, et ils seront importants », annonce le scientifique, qui a du mal à « établir une frontière entre la notion de foyer et celle d’épidémie ». Il préfère parler de « mini-épidémies ». Il avait vu juste, au printemps, en prédisant que le nombre de cas autochtones se compterait par « centaines » en métropole.
Au 12 août, 115 cas étaient déjà recensés. Si la situation ne « surprend pas » Didier Fontenille, la taille des « clusters » ou des « mini-foyers épidémiques » du sud de la France, une quinzaine de malades chaque fois, l’interroge.
« Hier, le virus a beaucoup circulé, à la Réunion, à Mayotte et même en Chine, dans des zones d’échange avec la France. Aujourd’hui, des gens rentrent de vacances en Asie, en Amérique du Sud… ils vont continuer à ramener du virus », souligne-t-il. La condition sine qua non pour faire de cas importés un foyer autochtone.
La situation sur le front du chikungunya est doublée d’une autre réalité : la montée en puissance des cas de dengue, une autre maladie transmise par le moustique tigre. « Chaque année, c’est en automne qu’on voit le plus de cas de dengue en France métropolitaine », alerte Didier Fontenille.
11 cas sont aujourd’hui recensés, dont un en Occitanie.
Guillaume Lacour, de la société Altopictus, l’interlocuteur des collectivités et des autorités de santé pour les opérations de démoustication, refait le fil de l’histoire des maladies transmises par le moustique tigre en Occitanie : « En 2014, 12 cas autochtones de ckikungunya à Montpellier. En 2023, 11 cas de dengue à Perpignan. On s’attendait à vivre la situation compliquée de cet été, qui a épuisé les équipes envoyées sur le terrain. On n’est plus sur de l’exceptionnel, ce ne sont plus des maladies tropicales ».
Marie-Claire Paty, à Santé publique France : « Une nouvelle normalité »
Comment expliquer la multiplication de cas autochtones de maladies transmises jusqu’ici tropicales, la dengue et le chikungunya ?
« Cette situation exceptionnelle est multifactorielle, dans un contexte général favorable à la multiplication des moustiques », indique Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles à Santé publique France, qui évoque en premier lieu l’épidémie précoce de chikungunya à la Réunion, et, plus largement, dans l’Océan indien.
Au-delà, elle explique qu' »on est en train d’arriver dans une nouvelle normalité », vers « quelque chose qui est appelé à s’aggraver ». « Dans le pourtour méditerranéen, mais pas uniquement. Le moustique tigre est arrivé en 2004 par l’Italie, ce qui explique sa forte présence en Paca et en Occitanie. Mais il est aussi désormais très bien implanté en Auvergne-Rhône Alpes et Nouvelle Aquitaine, et on a cette année un cas autochtone de chikungunya dans le Grand Est », précise Marie-Claire Paty.
À son tour, elle rappelle qu’on est encore loin d’un bilan 2025 définitif : « La saison du moustique, c’est août et septembre, ce n’est absolument pas fini ».
« Cette année, en métropole, on a, pour l’instant, réussi à contenir tous les foyers épidémiques grâce aux signalements précoces qui permettent de faire des opérations de démoustication rapidement, grâce à la réactivité des ARS, de nos équipes, des opérateurs qui interviennent sur le terrain. Mais il y a un risque de saturation », alerte Marie-Claire Paty qui rappelle, en écho à l’alerte de l’agence de santé de l’Union européenne, le 20 août, que la problématique « santé » du moustique ne s’arrête pas à aedes albopictus, cet insecte exotique que se plaît désormais chez nous.