Le ministre israélien des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, tenant une carte d’une zone proche de la colonie de Ma’Ale Adumim, un corridor terrestre connu sous le nom de E1, à l’extérieur de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, le 14 août 2025.

MENAHEM KAHANA / AFP

Le ministre israélien des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, tenant une carte d’une zone proche de la colonie de Ma’Ale Adumim, un corridor terrestre connu sous le nom de E1, à l’extérieur de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, le 14 août 2025.

INTERNATIONAL – La solution à deux États a-t-elle été définitivement enterrée mercredi 20 août ? L’idée d’un État israélien et d’un État palestinien, coexistant en paix, ne semblait déjà plus exister que dans l’imaginaire de pays européens, se rapportant inlassablement à cette solution diplomatique pour tenter de résoudre le conflit au Proche-Orient. Mais l’approbation officielle en milieu de semaine par l’administration civile israélienne du dernier plan de colonisation en Cisjordanie, le projet E1, risque bien de mettre pour de bon un terme à toute possible réconciliation.

C’est en tout cas comme cela que le gouvernement israélien présente lui-même les choses. « Ce plan enterre l’idée même d’un État palestinien […], pas grâce à des documents, des décisions ou des déclarations, mais par des actes », s’était vanté le 14 août Bezalel Smotrich, le ministre d’extrême droite des Finances du gouvernement de Benjamin Netanyahu et artisan de la colonisation en Cisjordanie. « Chaque colonie, chaque quartier, chaque logement est un clou supplémentaire dans le cercueil de cette idée dangereuse », poursuivait-il.

Alors que la colonisation en Cisjordanie s’accélère à grande vitesse depuis le début de l’année – déjà plus de 24 000 logements approuvés, soit plus du double qu’en 2024, selon l’ONG israélienne La Paix maintenant -, le projet E1 marque un véritable tournant. Ce plan prévoit la construction de plus de 3 400 logements entre Jérusalem et la colonie israélienne de Ma’ale Adoumim, située quelques kilomètres à l’est.

Une prise de territoire de près de 12 km2 hautement stratégique : du fait des territoires déjà occupés, il y aurait désormais une scission entre le nord et le sud de la Cisjordanie, désormais coupée en deux. Avec pour conséquence que toutes ses principales villes – la capitale Ramallah, Bethléem et Jérusalem-Est – soient totalement isolées, rendant de facto impossible la formation d’un quelconque État unifié.

« Cela ancre la division de la Cisjordanie occupée en zones et cantons isolés, déconnectés géographiquement et ressemblant à de véritables prisons où les déplacements entre eux ne sont possibles qu’à travers des points de contrôle d’occupation, au milieu de la terreur des milices de colons armés disséminées dans toute la Cisjordanie », a dénoncé l’Autorité palestinienne, en charge d’administrer les territoires palestiniens.

Un projet jusqu’ici empêché par la pression internationale

Le projet E1 est pourtant loin d’être une nouveauté. Imaginé dès les années 90, il avait été poussé par Benjamin Netanyahu lui-même en 2012 et en 2020. Mais jusqu’ici, la pression internationale, qui voyait dans ce plan un point de non-retour dans l’espoir d’une paix entre Israéliens et Palestiniens, avait freiné Tel-Aviv.

À l’annonce du lancement imminent du projet, les condamnations n’ont de nouveau pas manqué. Dans une déclaration commune ce jeudi 21 août, une vingtaine de pays majoritairement européens dont la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, mais aussi le Canada, le Japon et l’Australie, ont dénoncé un projet « inacceptable » et « une violation de la loi internationale », réclamant « avec la plus grande fermeté que [cette décision] soit immédiatement annulée ». L’ONU avait de son côté averti que ce plan, « s’il se concrétisait […], mettrait fin aux perspectives d’une solution à deux États ».

Mais cette fois-ci, une voix manque. La plus importante, celle qui avait jusqu’ici freiné les ambitions israéliennes : les États-Unis. C’est sous Joe Biden que la dernière mouture du projet avait été rejetée, en 2023. Mais dès son retour à la Maison Blanche, Donald Trump avait annoncé lever les sanctions prises sous la présidence démocrate à l’encontre des colons israéliens les plus radicaux.

Puis son choix de nommer l’évangéliste Mike Huckabee comme ambassadeur des États-Unis en Israël avait donné le ton. « La Cisjordanie occupée, ça n’existe pas. Il y a la Judée et la Samarie » (le nom biblique de la région utilisé par les Israéliens), avait-il déclaré en 2017 depuis une colonie israélienne. Bezalel Smotrich avait quant à lui salué une « merveilleuse nouvelle pour le peuple d’Israël » au moment de sa nomination. Depuis l’annonce de la reprise du projet E1, Washington se contente d’un soutien discret, affirmant par exemple le 14 août qu’une « Cisjordanie stable garantit la sécurité d’Israël et s’inscrit dans l’objectif de l’administration Trump de parvenir à la paix dans la région ».

Un pas en avant irrémédiable ?

Les ministres israéliens l’affirment : l’accélération du projet E1 est une réponse à la volonté de plusieurs pays, dont la France, le Canada ou l’Australie, d’aboutir à une reconnaissance d’un État de Palestine en septembre prochain. « Quiconque tente aujourd’hui d’obtenir la reconnaissance internationale d’un État palestinien recevra une réponse de notre part sur le terrain », avait averti Bezalel Smotrich mi-août.

Mais le ministre israélien a une idée très précise en tête, exhortant Benjamin Netanyahu à « finir le travail » en annexant officiellement toute la Cisjordanie. Une possibilité qui ne paraît plus totalement excluable aujourd’hui, au vu de la fuite en avant permanente du Premier ministre israélien vers la frange la plus radicale de son gouvernement. L’ONG Ir Amim, qui travaille sur les droits des Palestiniens, a estimé sur X que le projet d’E1 vise « à enterrer la possibilité d’un État palestinien et à annexer effectivement la Cisjordanie », dénonçant un « choix délibéré d’Israël pour mettre en œuvre un régime d’apartheid ».

« En poursuivant sans relâche ce projet, le gouvernement israélien sabote toute possibilité de solution politique et entraîne Israéliens et Palestiniens dans un cycle sans fin de conflit. Le dangereux projet E1 doit être immédiatement arrêté pour préserver l’espoir d’un avenir pacifique pour les deux nations », a plaidé l’ONG israélienne anti-colonisation La Paix maintenant.

Selon Le Monde, les habitants des territoires palestiniens concernés par le projet E1 – essentiellement des Bédouins – ont d’ores et déjà reçu leur ordre d’expulsion. Ils peuvent déjà apercevoir les bulldozers israéliens, en attente dans une base militaire dans les environs, prêts à entrer en action et à démolir leurs villages. Et le peu qu’il restait d’une possible coexistence.