ALEXANDR DEMYANCHUK / AFP
Vladimir Poutine souhaite repartir des conclusions de la rencontre d’Istanbul entre l’Ukraine et la Russie en mars 2022, où Kiev avait présenté de nombreux compromis. (illustration)
INTERNATIONAL – Donald Trump l’a assuré à la Maison Blanche le 18 août dernier : la rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine est en très bonne voie, et pourrait même avoir lieu « dans les deux prochaines semaines ». Les jours passent et, ce vendredi 22 août, la situation semble toujours aussi figée entre l’Ukraine et la Russie.
Car malgré les promesses dithyrambiques du président américain, rien ne semble avoir changé depuis la venue de Vladimir Poutine en Alaska et celle de Volodymyr Zelensky à Washington. La Russie refuse toujours le moindre compromis et continue de frapper inlassablement l’Ukraine, tandis que Kiev continue de dénoncer des « signaux indécents » envoyés par Moscou.
Reste que le Kremlin a remis en avant un élément plus concret ces derniers jours, par l’intermédiaire du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. En plus de continuer à marteler qu’une « intervention étrangère sur une partie du territoire ukrainien […] serait totalement inacceptable », ce dernier a ajouté un point notable : que les hypothétiques futures discussions de paix s’appuient « sur les acquis obtenus lors des négociations à Istanbul en 2022 ».
Une allusion loin d’être anodine, car le ministre des Affaires étrangères russe fait référence à un moment aujourd’hui oublié du conflit : lorsque l’Ukraine et la Russie n’avaient jamais été aussi proches d’un accord de paix, le 29 mars 2022, en Turquie.
De lourdes concessions ukrainiennes
Pour comprendre cela, il faut revenir à la situation sur le front à la fin du mois de mars 2022. Cela fait alors un peu plus d’un mois que la Russie a démarré son invasion à grande échelle de l’Ukraine, et les combats font rage, notamment dans la région de Kiev, l’objectif majeur des forces russes.
Malgré ces affrontements très intenses, les délégations ukrainienne et russe débutent des discussions dès le 28 février 2022, suivies d’autres rencontres début mars. Vient alors la rencontre du 29 mars, à Istanbul, où semble se dérouler une avancée majeure. À l’issue de cette rencontre, les parties russes et ukrainiennes annoncent s’être mises d’accord sur une « déclaration conjointe » concernant des garanties de sécurité de l’Ukraine pour une fin de la guerre.
Selon des sources auprès du magazine Foreign Affairs, c’est bel et bien l’Ukraine qui aurait rédigé ces propositions, tandis que Russie avait accepté de s’en servir comme cadre de base. Leur contenu tranche très nettement des revendications de Kiev de 2025. « Le traité envisagé dans la déclaration proclamerait l’Ukraine comme un État neutre et non nucléaire, de façon permanente », résume le magazine américain.
« L’Ukraine renonçait à toute intention d’adhérer à des alliances militaires, ou à autoriser des bases militaires ou des troupes étrangères sur son sol. Le communiqué énumérait comme garants potentiels les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (y compris la Russie) ainsi que le Canada, l’Allemagne, Israël, l’Italie, la Pologne et la Turquie », poursuit Foreign Affairs.
Concrètement, l’Ukraine acceptait de devenir un État neutre et de ne jamais rejoindre l’Otan, à condition d’obtenir des garanties de sécurité suffisantes de la part de l’Occident… et de la Russie. Une concession majeure de la part de Kiev, qui s’explique notamment par un soutien occidental alors d’une très grande frilosité, se contentant de l’envoi de gilets pare-balles ou de casques, et se divisant pour savoir si un missile antiaérien était une arme « défensive » ou « offensive ».
Dans cette ébauche d’accord, Moscou faisait de son côté deux compromis, sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et pour des discussions dans les années à venir sur la Crimée.
La fin de la campagne de Kiev, tournant du conflit
Mais le 29 mars 2022 marque également un tournant crucial dans le conflit en Ukraine. En effet, le vice-ministre russe de la Défense annonce depuis Istanbul que Moscou entend « réduire radicalement [son] activité militaire en direction de Kiev ». La Russie justifie cette annonce par une volonté d’« accroître la confiance », au moment où « les négociations au sujet d’un accord sur la neutralité et le statut non nucléaire de l’Ukraine [entrent] dans une dimension pratique ».
Mais en réalité, cette décision est surtout le résultat de l’échec cuisant du Kremlin à mener sa guerre éclair pour faire tomber la capitale ukrainienne et renverser le régime de Volodymyr Zelensky.
La fin de la campagne russe à Kiev change beaucoup de choses. La résistance acharnée ukrainienne dans les premières semaines du conflit et le retrait cacophonique de la Russie des alentours de la capitale ukrainienne font comprendre à Volodymyr Zelensky – et aux pays occidentaux – que son pays peut tenir tête aux troupes du Kremlin, à condition d’avoir suffisamment de matériel et de munitions.
La découverte en avril 2022 des massacres de civils à Boutcha et Irpin, près de Kiev, compromet aussi grandement les discussions. Exécutions sommaires, tortures, viols : les crimes de guerre russes font encore basculer le conflit dans une nouvelle dimension, Volodymyr Zelensky qualifiant les actes russes de « génocide ». Dès lors, il paraît bien plus difficile d’imaginer un quelconque accord pouvoir être négocié et accepté par la population ukrainienne.
Revenir en mars 2022, un fantasme russe
D’autres discussions par visioconférence suivent malgré tout dans les semaines qui suivent. C’est à ce moment que la Russie commence à ajouter des conditions de plus en plus idéologiques, telles que la « dénazification » de la société ukrainienne, la reconnaissance du russe comme langue officielle, la limitation à l’extrême de l’armée ukrainienne, ou encore l’ajout d’un veto de Moscou sur toutes les garanties de sécurité apportées à l’Ukraine.
En mai 2022, les discussions s’interrompent alors, et ne reprendront jamais réellement, au vu de l’échec quasi-total des rencontres de mai, juin et juillet 2025 entre délégations ukrainiennes et russes, toujours à Istanbul.
Après trois ans et demi de guerre, la volonté russe de reprendre les négociations depuis les discussions de mars 2022 paraît motivée par celle de repartir d’un cadre très défavorable à Kiev.
L’Institut pour l’Étude de la guerre, un think-tank américain faisant référence dans l’analyse du conflit en Ukraine, va même plus loin. « Le Kremlin comprend probablement que le cadre d’Istanbul de 2022 n’est pas viable pour Kiev, et continue donc de l’invoquer dans le but de présenter l’Ukraine comme réticente à négocier, alors que Moscou continue de retarder les efforts de paix de bonne foi ». La fin de la guerre paraît encore bien loin.