LE MATCH DES TUBES (35 / 40) – Les deux artistes très populaires dans les années 1970 vont anticiper ce qui va leur arriver : leur disparition du haut de l’affiche.
Les artistes sont de grands inquiets. Une carrière marquée par des hauts et des bas, où chaque nouvelle œuvre est un coup de poker et peut-être la dernière. Aux succès succèdent les échecs, aux retours tonitruants précèdent les longues traversées du désert. Les chanteurs évitent d’évoquer ces moments de doute, manière de ne pas se porter la poisse. Comme dit le sketch, Gérard Lenorman et Michel Delpech « ont essayé, ils ont eu des problèmes ». Notre 35e duel oppose « Quand une foule crie bravo » et « Quand j’étais chanteur ». Deux titres très émouvants.
En 1974, Gérard Lenorman est un jeune saltimbanque : il en a le look, de grands cheveux bruns bouclés, et le romantisme. Ses premiers tubes claquent et connaissent un succès important. Dans son album « Quelque chose et moi » où se trouvent la chanson-titre, « Soldats ne tirez pas » ou « Si tu ne me laisses pas tomber », se niche aussi un titre d’anticipation. « Quand une foule crie bravo » est une supplique d’un artiste découvrant que le public l’a remplacé. « Quand une foule crie bravo. Quand elle scande comme folle, le nom de sa nouvelle idole, j’ai mal, oh oui j’ai mal. » Lenorman livre toute l’émotion dont il est capable pour crier son mal-être. Comment avoir été une immense star et ne plus être grand-chose, sinon un souvenir. « Quand elle se lève et se déchaîne, je me revois sur cette scène. » Et rêve de revanche : « Ma vie moi, c’est la scène. Crier à ceux que j’aime, je reviens. » Cette complainte pathétique se termine par les répétitions de l’expression « Quand une foule crie bravo », hurlée au milieu des applaudissements. La mélodie de Christian Gaubert s’emballe, les cuivres et les chœurs appuyant sur le désespoir de l’artiste. En 1974, Gérard Lenorman a 29 ans. Huit ans plus tard, il signe son ultime succès, « La petite valse ». Il disparaît des affiches se contentant de quelques apparitions télévisées. Comme ce soir chez Patrick Sébastien où le sexagénaire est dans le public et se met à chanter cet hymne contre l’oubli. Bouleversant.
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La dépression de Delpech
En 1975, à 29 ans, Michel Delpech, l’usine à tubes, s’imagine à 73 ans. La musique retentit et tout de suite, on est dans le thème. « J’ai mon rhumatisme qui devient gênant ». La ritournelle entêtante se lance. Delpech se souvient de ses années fastes. Les fans l’adoraient, les femmes l’aimaient. La police l’excusait. L’argent s’accumulait. La vie défilait. Tout cela est terminé. « Ma pauvre Cécile, j’ai soixante-treize ans. J’ai appris que Mick Jagger est mort dernièrement. J’ai fêté les adieux de Sylvie Vartan. » La voix envoûtante de Delpech nous embarque. La dernière partie révèle la nostalgie du chanteur. « Pour moi, il y a longtemps qu’c’est fini. J’comprends plus grand’chose aujourd’hui mais j’entends quand même des choses que j’aime et ça distrait ma vie. » Delpech se révèle à son meilleur : une saynète musicale, brillamment interprétée avec beaucoup d’autodérision. Sauf que la dépression et la maladie le rattrapent. Michel Delpech meurt en 2015 à l’âge de 69 ans. Il n’aura jamais connu les adieux de Sylvie Vartan.
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Voilà un match très compliqué à arbitrer. Les deux artistes ont vécu a posteriori ce qu’ils ont chanté avec une authenticité et une sincérité troublantes. Si la chanson de Michel Delpech a su passer les années grâce aux reprises (Vianney ou Depardieu dans le film éponyme), celle de Gérard Lenorman est un petit bijou qui mérite d’être (ré) écoutée. Mais que ces deux monuments de la variété se rassurent : on continuera à les aimer.