« Toute mon enfance… pan-bagnat et gratta keka… » Tout est écrit dans ce message Facebook. Et des comme ça, il y en a des dizaines sous la photo de La Gratta. Ce kiosque historique niçois, situé 2, boulevard Franck-Pilatte, devant la rampe du quai du Commerce, où les bateaux accostent ou lèvent l’ancre.

Cet édicule d’une quinzaine de mètres carrés, à l’ombre d’un pin, refait de l’extérieur, dépourvu de téléphone, ce n’est pas juste une adresse pour se restaurer ou se désaltérer, c’est une institution.

Devant des pains ronds ouverts en deux, Angelo Martin, sur place depuis 7 heures du matin, compose méthodiquement ses pans-bagnats de la journée. Tomate, thon, radis… Sa belle-sœur, Caleen Testa, l’aide en silence.

Les yeux rivés sur ses échafaudages culinaires, le jeune homme raconte le kiosque: « Il date de 1940. Sous l’enseigne Rostani, il fut d’abord un glacier où on achetait glaces et gratta keka. » La gratta keka… Cette boisson typiquement locale, faite à base de glace pilée et de sirop.

Rien qu’à en parler, les gorges fiévreuses s’apaisent. « À l’époque, on prenait la glace en bloc et on passait un rabot dessus. Cela faisait comme de la neige. Maintenant, on met les glaçons dans un appareil électrique qui les broie finement. »

Un cornet rempli de jadis

L’émulsion arrosée de menthe, grenadine, anis…, préparée à la minute, vendue 2 euros la petite et 3,50 euros la grande, fait toujours le bonheur des papilles taries.

Les pans-bagnats (6 euros le gros et 4 euros le moyen) comblent les estomacs. Il y a aussi les paninis, les boissons fraîches, les pralines sucrées… Passants, habitués, estivants, Niçois de souche se succèdent devant le fenestron. Attendent ou passent commande.

Les gens du cru, adultes confirmés, dégèlent leur mémoire. Notamment rédigée via les réseaux sociaux: « Depuis petit… On allait sauter à La Réserve… C’est vraiment un monument aux souvenirs de jeunesse et aussi d’avant-guerre pour certains et ce pin magnifique en reste l’emblème éternel… Le pan-bagnat avant le bateau pour la Corse… Plus de 50 ans de souvenirs, j’y allais avec ma grand-mère après avoir pris la barque pour traverser le port, maintenant j’y vais avec mes petits-enfants… »


Portrait d’Angelo qui a repris la Gratta, un snack situé sur le port de Nice, le 12 aout. Photo Justine Meddah.

Ces mantras de jadis, Angelo les entend régulièrement. En particulier l’été, tous les jours de 8h30à 19h et 20h le week-end.

Tout en continuant à rajouter les ingrédients sur les moitiés de pains circulaires, il poursuit l’historique: « Dans les années 60/70, on y a fait des sandwichs et le nom de La Gratta doit remonter à près de 60 ans. Ma famille, niçoise, est arrivée il y a une trentaine d’années. Ma mère, Laure Martin travaillait dans un snack voisin et la personne qui exploitait le kiosque le lui a proposé. Elle y est restée jusqu’en 2013. Moi, à 16 ans, j’ai passé un CAP électricité et à 17 ans, j’ai travaillé ici. J’ai repris la suite de ma mère, aujourd’hui disparue. »

La même recette depuis 30 ans

Angelo a tout appris de sa maman. « La recette du pan-bagnat est la même qu’il y a 30 ans. » Cette vie faite de gratta keka, tourte de blettes, pissaladière, le régale.

« Je fais tout, sauf les pâtisseries préparées par notre boulanger. Je vais chercher les légumes, tous les deux jours au marché d’intérêt national Saint-Augustin. J’ai très peu de stock. On me livre les glaçons régulièrement. » L’amour du métier. De la façon. De l’humain: « Ce qui me plaît, aussi, c’est la relation avec les clients. »

Plus aussi nombreux qu’à une époque: « Il y a moins de rotations de bateaux. Avant, c’était six par jour, à présent, c’est un tous les trois jours. Mais, on y arrive quand même. L’été, je sers 80% de touristes, hors saison, je sers 80% d’habitués locaux, dont je connais les menus par cœur. Ils me racontent leur vie. Se remémorent leur enfance, leur adolescence. Des commerces vieux comme le mien, toujours au même endroit c’est rare, c’est pour ça que ça crée du lien. »

Tout l’art de briser la glace…