On croise d’ailleurs brièvement Ubac (« l’incarnation du respect et de la liberté ») dans Où les étoiles tombent, journal d’un accident – celui dont fut victime Mathilde, épouse de Cédric Sapin-Defour, qui rate son envol en parapente et finit, fracassée, dans un hôpital de Bolzano, dans le Nord de l’Italie. Elégie à l’adorée et chant d’amour à la nature, le livre entrecroise les deux passions de l’auteur qui en reconnaît pourtant une troisième – l’écriture. « L’expérience de la montagne a été tellement forte qu’elle a inspiré mon désir d’écriture, explique-t-il. Je n’ai rien trouvé de mieux, lorsque je descendais de la montagne, qu’écrire sur ce que j’avais vu ».
Où les étoiles tombent paraît deux ans à peine après Son odeur après la pluie. Quand avez-vous travaillé ce nouveau livre? Avant, après ou pendant le succès de Son odeur après la pluie?
En août 2022, quand Mathilde a eu son accident, je n’avais pas terminé Son odeur après la pluie. Continuer d’écrire était inconcevable et presque indécent, mais c’est Mathilde qui m’a remis en selle pour finir le livre. À ce moment-là, j’étais dans la tempête, je n’avais pas en tête d’écrire sur l’accident, il fallait plutôt accompagner la sortie de Son odeur après la pluie tout en accompagnant Mathilde. En revanche, dès le premier soir après l’accident, j’ai noirci des carnets… En fait, j’ai poursuivi un carnet de voyage que tenait Mathilde. Alors que tout allait dans le sens de sa disparition, écrire maintenait Mathilde en vie, j’avais l’impression que l’écriture était le seul territoire où j’avais encore la main. Quelques mois plus tard, le tout s’est mêlé avec la satisfaction du succès de Son odeur après la pluie. C’était assez vertigineux… Dans une même journée, je côtoyais la possibilité de survie de Mathilde et l’enthousiasme des libraires et des lecteurs – et je vous l’avoue, ceci était très plaisant.
Ce récit d’un accident qui fait basculer votre histoire d’amour a-t-il été difficile ou facile à écrire ?
Dès le départ, c’était une évidence, mais je fais vraiment la distinction entre l’acte d’écrire, qui a jailli dès le premier jour et qui était une nécessité, et l’idée de faire un livre. Dans les premiers mois, je n’ai jamais envisagé l’idée d’un livre, je trouvais ça déplacé. Et puis, il y a eu des discussions assez musclées à l’intérieur de moi-même, entre une partie de moi qui trouvait que c’était inapproprié et une autre qui commençait à articuler des phrases et à penser à l’idée du livre. Mais le livre ne pouvait pas exister sans l’approbation de Mathilde, c’est plus qu’une évidence. Il n’empêche, je me pose la question: qu’est-ce qui fait qu’un auteur ressent le besoin de partager une histoire intime?
Vous ne vous attendiez pas à devoir, un jour, évoquer des moments intenses vécus dans hôpital. Qu’est-ce qui se passe dans votre tête au moment où vous écrivez ces scènes à l’hôpital de Bolzano ?
Je suis fasciné par le fait qu’au moment où on est en train d’écrire, il y a une organisation de la pensée, mais il y a une sorte de genèse: je ne savais pas que j’avais ça en tête et je ne savais pas que ce serait ça qui serait retenu. Quand on écrit sur des faits intimes, réels et sur des expériences personnelles, on s’attend à ce que certains moments et certaines émotions rejaillissent comme des évidences littéraires, et en fait, ce n’est pas ça qui vient, ce sont d’autres moments.
Que pensez-vous que les lecteurs et les lectrices ont trouvé dans Son odeur après la pluie?
Je pense qu’ils et elles ont reçu le livre comme une courte échelle ou comme un élan pour pouvoir contrer le jugement méprisant qu’inspire la relation à l’animal. Face à ce que leur renvoie la société, ils se sont dit que cette relation était quelque chose de plus élevé et de plus noble que simplement une chose ridicule ou mignonne. Ils se disent « J’ai le droit de dire que j’aime mon animal, j’ai le droit de dire que je suis terrassé de tristesse quand il meurt ». Ils et elles me disent souvent cette phrase – « Votre histoire, c’est mon histoire ». J’ai mesuré que ce qui sépare l’intime de l’universel est aussi fin qu’une feuille de papier à cigarettes.
Après un succès comme celui que vous avez connu, quelles ont été les directives de votre éditeur ?
Il m’a dit d’être libre. Le livre était prévu pour l’année prochaine, mais mon éditeur m’a suggéré de le finir et de le sortir maintenant. Il a eu raison. Comme souvent dans les histoires de traumatisme, il arrive un moment où on a envie de tourner la page, et il se peut que, dans quelques mois, je n’ai plus la même envie d’accompagner ce livre et cette histoire. Peut-être serais-je passé à autre chose…
Comment appréhendez-vous l’accueil de ce nouveau livre ?
Je ne suis pas angoissé, je ne suis pas d’une nature craintive, je suis plutôt curieux… Mon éditeur ne sera pas d’accord avec moi, mais mon objectif est atteint: Mathilde l’a lu. Le reste, sans faire de mauvais jeu de mot, c’est de la littérature.
RECIT
Où les étoiles tombent, Cédric Sapin-Defour, Stock, 396 p.
« Je n’ai rien trouvé de mieux, lorsque je descendais de montagne, qu’écrire sur ce que j’avais vu »