« Demandez à des gens l’image qu’évoque pour eux le désert, la plupart vous diront : une dune et une caravane de chameaux qui passe au loin », sourit Marie Gautheron. Et c’est bien la même image qui a attiré cette Bourguignonne au Sahara quand elle avait 20 ans – en 1970.

« Je me suis retrouvée en Algérie parce que je faisais de l’alphabétisation. Et j’ai voulu aller au désert, avec en tête les images de tout le monde, des cartes postales, Le Petit Prince de Saint-Exupéry : une dune, une étoile, et le vide… »

Un vide très peuplé

Mais elle a voulu aller au-delà du cliché. Et au fil des voyages, elle a compris que rien n’est moins vide ni plus peuplé que le désert – voyez les tribulations dans le désert d’Iznogoud, le personnage créé par Goscinny !

Mais le désert, justement parce qu’il semble vide, est le réceptacle idéal de tous nos fantasmes – et c’est cela que raconte dans Désert, déserts l’historienne de l’art, ancienne enseignante à l’ENS Lyon. La manière dont nous avons, au fil des siècles, créé nos images du désert, sans trop nous soucier de la réalité de la vie de ses habitants.

Populations et cultures multiples

En France, le désert se nomme bien sûr Sahara. « La France a ce rêve fou, qu’elle va réaliser, de faire se rejoindre une colonie de peuplements, l’Algérie du Nord, les terres fertiles de la Mitidja, et ses possessions subsahariennes, l’ancienne AOF (Afrique occidentale française, du Sénégal au Togo), explique Marie Gautheron.

La conquête sanglante du Sahara, ce qu’on appelle « pacification », construit l’imaginaire français du désert : on repousse toujours plus loin l’ennemi, mais plus on avance, plus on se rend compte que le désert n’est pas juste une mer de sable en mouvement, mais un espace multiforme avec des populations multiples, des cultures multiples. Et au centre, un monde de montagnes peuplé de Touareg, que l’on va charger de mystères. »

Notre avenir dévasté

L’image du Touareg, guerrier mutique, demeure. Avec d’autres, plus actuelles. Comme celle d’un espace d’épreuve, de spiritualité, une forme de retour aux sources du christianisme – c’est la figure du père de Foucauld, officier mondain retiré dans l’immensité aride de l’Assekrem, au sud de l’Algérie.

L’image aussi de notre avenir dévasté par la crise climatique : la sécheresse du Sahel avait fait 200 000 morts entre 1968 et 1986, et aujourd’hui 500 millions de personnes vivent dans des espaces qui se désertifient…

« Le désert, insiste Marie Gautheron, c’est qui reste après le cataclysme, quelque chose qui a été abandonné, c’est l’espace de la déréliction. » Une forme d’absolu qui nous fascine toujours.

Désert, déserts. Du Moyen Âge au XXIe siècle, de Marie Gautheron (Gallimard).