NOUS Y ÉTIONS – Les Nord-Irlandais Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí ont pu donner leur concert à Saint-Cloud. Les débordements qui étaient redoutés n’ont pas eu lieu. Le groupe a toutefois dénoncé la politique israélienne à Gaza.

C’était un rendez-vous redouté par les autorités. Ce dimanche, en fin d’après-midi, le trio de rappeurs Kneecap, originaire de l’ouest de Belfast (Irlande du Nord), a investi la scène du festival Rock en Seine à Saint-Cloud devant quelques milliers de spectateurs. Avant même l’arrivée du groupe, la foule, presque intergénérationnelle et majoritairement vêtue de vert, clame « Free, free Palestine » à plusieurs reprises. Suivi de : « Tout le monde déteste la police » et des chants antifascistes. Mais l’ambiance reste calme.

Aux alentours de 18 h 30, DJ Próvaí lance les hostilités, suivi de ses deux acolytes, dont l’un, Mo Chara, est vêtu d’un maillot palestinien. Les drapeaux s’élèvent dans le ciel de Rock en Seine. « Bonjour France, disent-ils tous les trois. Nous sommes là pour l’amour et le divertissement », avertit d’entrée Móglaí Bap. Ils enchaînent sur Better Way To Live, leur titre le plus connu sorti en 2023, et boivent sur scène. « C’est un plaisir d’être ici, ils ont essayé de nous retirer du programme. Ils veulent que l’on soit en colère, mais ça n’arrivera pas », déclare Mo Chara.


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Rythme effréné et grande énergie

Des mouvements de foule éclatent dès le morceau suivant. Mais la sécurité scrute d’un œil vigilant de quelconques débordements. Un jeune garçon d’une quinzaine d’années est évacué. « Il y a une grande pression en ce moment en Palestine, et nous ne resterons pas silencieux face à ce génocide, cela ne changera pas », explique une nouvelle fois Mo Chara devant la foule. Et d’ajouter : « Netanyahou est un criminel de guerre, si vous n’appelez pas ça un génocide, je ne sais pas ce que c’est. »

« Free Mo Chara », lui répondent les fans. Puis des « Macron démission » résonnent après que le rappeur a évoqué l’implication du président français et du premier ministre François Bayrou dans le financement d’armement à Israël. « Je vais avoir des problèmes après ça », s’inquiète Mo Chara. Difficile de voir quelque chose dans la foule depuis laquelle un nuage de fumée émerge au milieu des drapeaux palestiniens et irlandais.

Les trois rappeurs enchaînent sur un rythme effréné avec une technique impressionnante et une grande énergie, pendant que les services de sécurité sourient face au spectacle. « Qu’est-ce que les Français ont fait pour l’Irlande, plaisante Móglaí Bap. Mais j’adore les escargots quand même. Qui aime les escargots ici ? »

Sur le morceau suivant, Get Your Brits Out (Dégagez vos Britanniques), des fans montent sur le dos d’autres fans. Mo Chara, lui, se moque d’une personne portant un t-shirt floqué du nom des Stone Roses, groupe de rock anglais des années 1980. « Nous sommes heureux parce que vous, Français, portez aussi notre message de paix », se réjouit Mo Chara. Et son confrère Móglaí d’ajouter : « Mettez la pression à vos gouvernements. » Enfin, dans une ambiance électrisante, le groupe joue son tube H.O.O.P. Le DJ, plus discret sur scène, s’offre un bain de foule tandis que Móglai enlève son t-shirt sur le single The Recap. Comme attendu, ils partent en scandant « Free Palestine ». Mais les débordements qu’on craignait n’ont pas eu lieu.

Quatre jours avant ce concert parisien, Mo Chara, comparaissait devant le tribunal judiciaire de Westminster pour « infraction terroriste », après avoir brandi lors d’un concert à Londres l’an passé un drapeau du Hezbollah et scandé « allez le Hamas, allez le Hezbollah » sur scène. Le verdict de cette audience a finalement été ajourné au 26 septembre, permettant au groupe de se produire librement à Paris aujourd’hui. Mais sa présence à Rock en Seine avait provoqué quelques réactions des instances politiques.


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Après la mairie de Saint-Cloud qui a décidé, en juillet, de retirer sa subvention de 40 000 euros à Rock en Seine, vendredi, la région Île-de-France faisait de même – 295 000 euros -, assurant qu’il n’y aurait « pas un seul euro » de versé au festival pour avoir maintenu le concert. La veille, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a lui aussi réclamé sa déprogrammation, déclarant que « les apologistes du terrorisme n’ont pas leur place dans des festivals en France ». Il y a dix jours, c’était au tour de Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, de s’exprimer au sujet de la venue des rappeurs nord-irlandais à Saint-Cloud. « Je condamne fermement les propos qui ont pu être tenus par ce groupe et je tiens à vous assurer de mon intransigeance envers tout propos à caractère antisémite, d’apologie du terrorisme ou appelant à la haine, qui feront directement l’objet de poursuites judiciaires », écrivait le locataire de la Place Beauvau dans une lettre le 14 août.

Les « cagoules républicaines »

Mais rien à y faire. Malgré les multiples demandes d’annulation des différentes instances du pays, l’événement a finalement été maintenu. Et le groupe, qui a été invité à signer un code de bonne conduite, s’est produit pendant plus d’une heure pour clôturer les cinq journées de festival. Ils se présentent comme les « cagoules républicaines », des individus prônant la réunification de l’Irlande et opposés à la domination anglaise dans le nord du territoire. Dans leurs textes, Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí, noms de scène respectif de Liam Óg Ó hAnnaidh, Naoise Ó Cairealláin et JJ Ó Dochartaigh, s’amusent à critiquer la police d’Irlande du Nord ou encore le gouvernement britannique, à l’instar de l’ancienne Première ministre Margaret Tatcher, vivement insultée lors de leur prestation à Coachella le 19 avril, en Californie.

« Ils mènent un combat légitime, en mettant en lumière des années de conflit éclipsé en Irlande », remarque Niels, Parisien et fan du groupe depuis un an et demi. Et sa copine, Mathilde, d’ajouter : « Ils doivent justement utiliser leur notoriété pour dire des choses. Ils ne sont pas les seuls à le faire. C’est facile de taper sur des jeunes rappeurs, tout ça parce que le rap est soi-disant turbulent. » Dans les allées amenant à la scène, Hugh, 29 ans et originaire de Nouvelle-Zélande, se réjouit de voir Kneecap « porter la voix du peuple Nord-Irlandais ». « Ils chantent dans leur langue sur chaque scène à l’internationale », poursuit celui qui les suit depuis leurs débuts et qui arbore fièrement un maillot de l’équipe de football de la Réplique d’Irlande, floqué du nom de Roy Keane, l’une des icônes du pays.

Depuis 2020, les trois artistes ont investi un nouveau front, soutenant publiquement une Palestine indépendante en brandissant lors de chacun de leurs concerts des drapeaux palestiniens et appelant au boycott d’Israël. Ces derniers mois, leurs positions pro-palestiniennes ont pris une toute autre proportion, notamment en raison de l’accentuation du conflit dans la bande de Gaza. « Israël, va te faire foutre, libérez la Palestine », ont-ils projeté sur un écran géant lors de leur performance à Coachella. « On ne peut pas les critiquer pour ça, tempère Miriam, 54 ans et originaire de Dublin. Ils veulent simplement montrer que Benyamin Netanyahou se trompe. » Son amie Claire, 49 ans, également originaire de la République d’Irlande, ajoute que Kneecap « veut simplement s’exprimer sur ce qui se passe en Palestine, sur le génocide en cours mené par le gouvernement Israélien. Les instances judiciaires britanniques veulent malheureusement les censurer », regrette-t-elle.

D’ici la prochaine audience de Mo Chara devant un tribunal britannique, le 26 septembre, le groupe aura l’occasion de se produire encore sept fois sur le sol européen. D’abord à Belfast, puis à Varsovie, Hambourg, Amsterdam et enfin Londres. S’il n’est pas reconnu coupable des faits, le groupe prendra ensuite la direction de l’Amérique du Nord, où il est attendu pendant tout le mois d’octobre.