Emmanuel Macron. : En effet, je pense que depuis son arrivée au pouvoir, en janvier, nous avons fait changer le président Trump. Souvenez-vous du temps où il pensait régler le conflit en vingt-quatre heures. Souvenez-vous de la scène d’humiliation du président Zelensky dans le bureau Ovale. Nous nous sommes levés, en étant unis, en tant qu’Européens, et il l’a pris en compte. Il apporte aussi un atout fondamental face à la Russie : son imprévisibilité.
En ce sens, peut-il être craint davantage que ne l’était Joe Biden ?
En tout cas, il est beaucoup plus imprévisible, et Poutine en est bien conscient. En bon ancien du KGB et fin psychologue, il cherche d’ailleurs à le flatter par toutes sortes de compliments. Mais Donald Trump a compris que la Russie n’est pas aussi simple qu’il le croyait. Le grand changement des derniers jours, c’est qu’il a pris acte qu’il faut garantir la sécurité de l’Ukraine.
La France s’est-elle enfermée dans une posture face à la Russie, en étant très morale mais irréaliste ? Poutine revient dans le jeu, alors qu’on le voyait comme un paria. Chirac, ou avant lui de Gaulle, avaient eu des politiques nuancées à l’égard de la Russie. Chirac était même proche de Poutine.
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C’était un autre Poutine.
Il avait déjà écrasé la Tchétchénie dans le sang…
Mais il n’avait pas encore basculé dans une politique de déstabilisation systématique à l’égard de l’Europe. Angela Merkel me l’avait confié aussi. Elle a vu le moment où il s’est mis à nous mentir sans cesse, au tournant de 2007-2008. Quant à remonter à de Gaulle, il faut relire les excellents livres d’Hélène Carrère d’Encausse. Il voulait faire contrepoids aux États-Unis mais a toujours été d’une clarté parfaite contre les pouvoirs communistes russes. Tout cela n’empêche pas un infini respect pour la culture russe.
La diplomatie, ce n’est pas la morale
Un prochain sommet pourrait se tenir avec les présidents Trump, Zelensky et Poutine. Vous plaidez pour que les Européens y soient.Pourrez-vous serrer la main de Poutine après ce qui s’est passé, après les crimes de guerre ?
Oui, parce que je suis pragmatique. La diplomatie, ce n’est pas la morale. Par conséquent, il faut parler avec les gens, même quand on ne partage pas leurs valeurs. Je pourrai lui serrer la main et essayer d’avoir les meilleurs accords possibles, mais il faut se donner les moyens aussi de se faire respecter.
Darius Rochebin et Emmanuel Macron à Washington le 18 août.
© Yuri Gripas/ABACAPRESS
De son côté, Trump matraque l’Europe de droits de douane, aspire ses capitaux. Veut-il sciemment casser l’Union Européenne ?
Il a surtout la volonté d’enrichir les États-Unis, et on ne peut pas le lui reprocher. Il est vrai qu’il déteste l’Europe comme entité, mais il respecte des pays comme la France.
Pourquoi détester à ce point l’Europe ?
Par idéologie.
Il vous vanne parfois durement mais il ne se permet pas avec vous ce qu’il ose avec d’autres, comme avec le Premier ministre anglais Starmer, par exemple.
Nous nous connaissons depuis longtemps. Je lui parle franchement. Il est arrivé que le ton monte entre nous, mais contrairement à d’autres, je ne me moque jamais de lui. Je ne suis jamais familier. Je sais qu’il poursuit des objectifs clairs, idéologiques, et je ne le sous-estime jamais.
Emmanuel Macron répond aux questions de Darius Rochebin pour Paris Match
© Yuri Gripas/ABACAPRESS
Le fait que vous ayez exercé un “vrai métier” avant la politique a–t-il compté à ses yeux ?
Sans doute, le fait que j’ai travaillé dans la finance.
Il y a entre vos deux couples des moments de complicité étonnants qui contrastent avec les tensions politiques.
Je l’ai emmené voir les Invalides. Brigitte, Melania, lui et moi avons vu le tombeau de l’Empereur. Il ne faut jamais caricaturer Trump. Il sait apprécier l’histoire de France. Brigitte avait emmené Melania voir la Sainte Couronne. Elle a un rôle réel auprès de lui, elle est une voix qui pèse, en particulier sur le plan humanitaire.
Les milieux nationalistes américains vous sont hostiles. Vous avez décidé de déposer plainte contre Candace Owens, l’influenceuse qui propage la rumeur selon laquelle votre épouse serait un homme. Cela rompt avec un usage répandu chez les chefs d’État, celui de ne pas réagir à ce genre d’attaques.
Oui, il y avait une tradition consistant à dire : il faut laisser couler. C’est ce que nous avons fait au début. Au début, c’était en France. On nous a recommandé de ne pas déposer plainte. Cela risquait de provoquer un “effet Streisand”, qui attire encore plus l’attention sur ces mensonges. Mais cela a pris une telle ampleur aux États-Unis que nous nous devions de réagir. Il est question de faire respecter la vérité. On parle de l’état civil de la Première dame de France, d’une épouse, d’une mère de famille, d’une grand-mère. Ce n’est pas la liberté de parole que de vouloir empêcher de restaurer la vérité. Ceux qui vous parlent de cette prétendue liberté de parole sont ceux qui interdisent des journalistes dans le bureau Ovale. Je n’accepte pas cela.
Vous irez donc jusqu’au bout dans ce combat pour obtenir condamnation ?
Bien sûr ! Il s’agit de défendre mon honneur ! Parce que c’est n’importe quoi. C’est quelqu’un qui savait très bien qu’elle détenait des informations fausses et le faisait dans le but de nuire, au service d’une idéologie et avec des connexions établies avec des dirigeants d’extrême-droite.
Pourquoi cohabitation ? Non. François Bayrou, c’est mon ami.
Vous êtes omniprésent sur la scène internationale mais votre situation est plus compliquée en politique intérieure, avec cette demi-cohabitation un peu étrange. Un Premier ministre centriste, des ministres LR qui vous sont défavorables…
Pourquoi cohabitation ? Non. François Bayrou, c’est mon ami. Il y a une coalition plus large, et voilà tout.
Il y a aussi quelques membres de Renaissance qui vous sont moins fidèles, à vingt mois de la fin du quinquennat…
Ça, c’est ce que j’appelle “la vie des bêtes”. [Il rit.]
Est-ce qu’il vous arrive d’être tenté par une nouvelle dissolution, pour tenter une clarification, retourner aux fondamentaux de la Ve République et à une majorité vraie ?
Non. La dissolution, je l’ai faite, je m’en suis expliqué. J’ai été huit ans aux responsabilités en continu, sans alternance, sans perte de majorité au Parlement. Cela n’était jamais arrivé depuis le général de Gaulle et je ne me compare pas à lui. C’était une autre époque. Il y avait l’ORTF. On soumettait même les programmes au pouvoir ! Maintenant, en 2025, après la dissolution, on a un Parlement qui reflète les fractures du pays. C’est aux responsables politiques de savoir travailler ensemble. Regardez ce qui se passe en Allemagne. C’est ainsi que s’organise la coalition du chancelier Merz.
Vous espérez donc que ce gouvernement Bayrou tienne jusqu’à la fin de votre mandat ?
Oui, je l’espère. Je vous l’ai dit, il est mon ami. Je le connais intimement. C’est mon compagnon de route. Il a les capacités pour tenir ce gouvernement qui n’est pas habituel. Et je pense que le plan qu’il a proposé, que nous avons longuement préparé ensemble, et qu’il a travaillé avec ses ministres, est un bon plan. Il est lucide et courageux.
S’il chute sur ce budget, la sécurité économique du pays sera-t-elle en danger ?
Les responsables politiques doivent vraiment faire attention à ce qu’ils feront. Dans le contexte international, le pays a vraiment besoin de stabilité. Donc pas de coups politiques. Et du courage pour prendre les décisions fortes.
À Washington, lundi, vous aviez la priorité protocolaire due au doyen des chefs d’État présents, alors que vous n’avez que 47 ans…
C’est le cours des années… Je suis passé au travers de tant de crises !
Est-ce que vous aurez forcément envie de revenir en 2032 ?
J’ai forcément envie de faire un maximum de choses d’ici 2027. Et je dis à ceux qui se voient déjà en mai 2027 : méfiez-vous. Moi, j’ai connu des gens à l’été 2015 qui se projetaient déjà à l’été 2017 et qui n’étaient plus là en 2017.