Dans le centre-ville de Rennes, sous le béton, coule La Vilaine. Entre la place de Bretagne et la place de la République, le fleuve disparaît sous une dalle construite en 1963, à l’époque où la voiture était reine. Un parking de 249 places s’étend le long des Galeries Lafayette et autres magasins de la grande artère. Plus pour très longtemps. À partir d’octobre, une grue installée sur une barge viendra grignoter les 6 000 tonnes de béton armé qui le soutiennent. À la fin du chantier, le fleuve retrouvera l’air libre sur 270 mètres de long.

Ce n’est pas tout. Pontons flottants, gradins, passerelle… Les berges seront aménagées pour permettre aux habitants et habitantes de la capitale bretonne de se rapprocher de leur patrimoine fluvial. 184 arbres plantés en pleine terre pousseront le long de la Vilaine et deux grandes pelouses viendront verdir la place de la République. En tout, 5 000 mètres carrés seront végétalisés. Si tout se passe comme prévu, à l’été 2028, le très minéral centre-ville de Rennes offrira quelques îlots de fraîcheur.

Adopté par le conseil municipal en 2022, ce projet baptisé « La Vilaine au cœur » a été élaboré par un jury citoyen d’une trentaine d’habitants. « Le droit à la fraîcheur est de plus en plus légitime », estime Marc Hervé, l’adjoint à la mairie chargé de l’urbanisme. « L’eau et le patrimoine arboré ont cette capacité à rafraîchir l’air. Les étés sont de plus en plus chauds, c’est difficile à vivre, même pour les Bretons. »

Motivations plurielles

L’adaptation au changement climatique a un coût : 29 millions d’euros. Le budget inclut les 2,5 millions d’euros alloués à la destruction du parking. Dans tous les cas, des travaux auraient été nécessaires : l’ouvrage en béton armé était adapté aux voitures des années 1960, plus légères. Son renforcement aurait coûté une somme proche de celle de sa démolition.

Sa disparition s’inscrit dans un projet plus global « d’apaisement », c’est-à-dire un recul de la place de la voiture au profit des pistes cyclables et des zones piétonnes. L’offre de transports en commun (deux lignes de métro, le réseau de bus et les trois lignes de tram-bus qui seront inaugurées en 2027 et 2029) permet « d’avoir un nouvel espace qui n’est pas fait pour la voiture », assure Marc Hervé. En ville, les parkings ne sont jamais saturés, poursuit-il. Leur fréquentation a diminué de 20 % depuis 2010, selon une étude réalisée par la municipalité.

Le projet, surtout la phase de travaux, suscite quelques inquiétudes chez les commerçants. « Les craintes sont légitimes. On vient perturber les habitudes », reconnaît Marc Hervé qui insiste sur les bienfaits à venir. « On vient en ville pour acheter mais aussi pour flâner. Avec un nouvel espace plus qualitatif, on augmente le flux d’acheteurs potentiels. »

À 200 kilomètres de la capitale bretonne, la ville de Morlaix (Finistère) planche sur un projet similaire pour limiter les dégâts des crues. La municipalité veut remettre à l’air libre sa rivière, recouverte par une dalle de béton et un parking dans les années 1960, et refaire les galeries qui contraignent ses deux affluents. Les inondations de 1974, 2014 et 2018 ont montré les limites de la bétonisation.

Adapter la ville aux canicules

Comme Rennes et Morlaix, de nombreuses villes renient la politique du tout-béton et du tout-voiture qui s’est faite au détriment des cours d’eau. « On observe la même trajectoire dans toutes les villes occidentales, note Nathalie Carcaud, géographe à l’Institut Agro Angers-Rennes. Elles se sont construites autour des rivières. Du Moyen Âge à l’époque industrielle, l’eau a eu un rôle essentiel pour leurs activités économiques. Le désintérêt pour la rivière date de la fin du XXe siècle quand les fonctions portuaires et industrielles ont été déplacées des grandes villes », rappelle-t-elle.

Lyon, Bordeaux, Paris… les grandes métropoles ont réaménagé leurs berges au profit des modes doux

Que ce soit pour embellir la ville, lutter contre le phénomène d’îlot de chaleur urbain, limiter les dégâts des crues, améliorer la qualité de l’eau ou encore favoriser la biodiversité, les villes redécouvrent leurs cours d’eau, au sens propre comme au sens figuré. Lyon, Bordeaux, Paris… les grandes métropoles ont ainsi réaménagé leurs berges au profit des modes doux. « Les friches urbaines, comme à Nantes, ainsi que les ports, sont au cœur du renouvellement urbain, note la géographe. Les abords des rivières créent de l’attractivité. »

L’urgence climatique accélère cette dynamique, surtout dans les grandes villes où les populations souffrent des îlots de chaleur urbains. À Paris, la reconnexion au fleuve entamée par Bertrand Delanoë a atteint son paroxysme en 2025 : cent ans après son interdiction, la baignade est de nouveau autorisée. À Rennes, le plongeon dans la Vilaine n’est pas encore au programme.