Faute de pouvoir d’achat, déçus des marges réalisées par les professionnels dans la foulée du Covid ou agacés d’une qualité médiocre, les clients font désormais la grève. La filière souffre.

L’étoilé Thierry Marx, ex-chef du restaurant du Cheval Blanc à Nîmes dans les années 1980, actuel président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), a tiré en juillet la sonnette d’alarme, signant une tribune avec une cinquantaine de chefs : la cuisine française est en danger, disent-ils.

Ils réclament une loi-cadre sur le fait maison, pour mieux protéger une « gastronomie française qui s’oxyde ». La semaine dernière, sur France Inter, Thierry Marx a assuré que sur les 25 établissements qui ferment en France chaque jour, la plupart font du fait maison. « Ce sont eux qui souffrent parce qu’ils margent à 2 % et jettent l’éponge face à une industrialisation de nos métiers, avec 8 à 10 % de marge, beaucoup moins de personnel et beaucoup moins de traçabilité des produits. »

Bref, les mauvais s’en sortent et les bons coulent. Voilà pour le raccourci, qui demanderait un peu plus de nuances. Mais une chose est sûre : les mauvais, s’ils plongent aussi parfois, emportent au fond tout une profession.

C’est un peu comme si les clients avaient décrété un boycott silencieux, une grève généralisée. Les Français veillent de plus en plus sur leur porte-monnaie. Et l’été arrivé, ils zappent l’hôtel pour une location dans laquelle ils pourront se faire à manger. Hôteliers et restaurateurs sont donc les premiers à trinquer.

« On les a soutenus dans l’après-Covid et maintenant ils nous bombardent »

Les Languedociens, qui profitent du cadre de la Méditerranée à moindres frais, ralentissent aussi la cadence, pour avoir été trop souvent refroidis. « Je me suis retrouvée, à Palavas, à payer 18 € pour un ramequin avec cinq crevettes et un lit de salade qu’ils présentent comme des tapas, s’agace Sophie, Montpelliéraine de 50 ans. Et j’ai failli me faire piquer mes crevettes par un goéland qui s’est installé sur ma tête pour pouvoir piocher. » Quand ça veut pas… « Finalement, il a piqué le poulet des gens à côté. »

« On les a soutenus dans l’après-Covid et maintenant ils nous bombardent, c’est une honte ! », poursuit Sophie, qui reconnaît tout de même que d’autres jouent le jeu : « Je suis allée à la Praia, une paillote sétoise, et ça m’a réconciliée, ils ne se foutent pas de ta gueule, avec un esprit tapas vraiment. Je veux bien que les prix aient augmenté, mais alors pourquoi certains s’en sortent avec des prix abordables et d’autres te matraquent ? ».

À la Praia, justement, Enzo Millares, le responsable de la paillote, assume « le coût du fait maison et du frais plutôt que l’industriel ou le déjà préparé » : « C’est un état d’esprit, il y a des gens qui prennent une affaire pour faire du profit et ceux qui veulent aussi faire plaisir aux autres, nous on préfère avoir du qualitatif quitte à marger un peu moins. Je comprends qu’on puisse se sentir arnaqué ».

« On correspond à la demande »

À Nîmes, au restaurant la Piazzetta, Katia Melanitto, revendique aussi « de faire plaisir aux gens ». Et ça marche : « On correspond à la demande, on va toucher un public de jeunes parce qu’on arrive à maintenir des prix tout en gagnant correctement nos vies, on travaille le produit frais mais c’est plus rapide que les chefs gastro ».

« Je pourrais peut-être davantage marger, ça m’enlèverait du travail. En augmentant mes prix, je pourrais accepter moins de gens, avoir une meilleure qualité de vie, poursuit-elle. On est tous là pour gagner nos vies mais de là à truander les gens, ce n’est pas dans notre état d’esprit. On a augmenté nos prix de façon à pouvoir s’en sortir, après le Covid, mais sans exagérer. Pour certains, ça a été comme pour l’arrivée de l’euro à l’époque, ils ont gonflé les prix ! »

Thierry Marx : « Le client se sent trahi par l’offre »

« Les touristes sont là, mais ils font un arbitrage entre aller au restaurant, avoir des loisirs, prendre un billet de train ou d’avion qui a énormément augmenté », constate Thierry Marx. « Depuis trois ans, on ne se redresse pas, il y a les emprunts à rembourser de la sortie du Covid, le coût de l’énergie et des matières premières. La moindre zone de turbulence est inquiétante. La perte d’attractivité vient de la perte de pouvoir d’achat. »

Alors, oui, reconnaît Thierry Marx, « le client se sent trahi dans l’offre, ce n’est pas conjoncturel, c’est structurel, nos entreprises n’arrivent pas à refaire de la trésorerie. Tout ça nous fera perdre notre identité. »

Outre une loi-cadre sur le fait maison, le chef plaide pour « éviter le coup de rabot sur l’apprentissage » et ne pas appliquer « la fiscalité sur les pourboires, cette prime au sourire qui, si elle est taxée, nous fera perdre encore plus, il n’y aura plus de pourboire ».

Quant à un diplôme national qui pourrait être institué, Thierry Marx n’y voit pas d’inconvénient mais estime que « l’industrie contournera le diplôme ».

Des études pour tenter de corriger le tir

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Plusieurs études nationales ont été lancées cet été pour mesurer la déflagration de la baisse d’activité touristique. L’Umih a commandé la sienne : elle doit se terminer fin août.

Pas plus de retours pour l’instant d’une initiative originale, lancée par la Région Bretagne : recenser, pour les offices de tourisme français qui joueront le feu, les prix pratiqués sur l’ensemble des zones accueillant du public, les littoraux, la montagne, les stations thermales. « La Région Bretagne va compiler les données et nous pourrons nous comparer par exemple avec les autres stations balnéaires du littoral en termes de « pricing », de positionnement des prix », insiste le directeur adjoint de l’office de tourisme du Grau du Roi, David Sauvegrain.

« On entend dire les commerçants que ça ne fonctionne pas, les clients dire que c’est trop cher. Est-ce qu’il y a des abus des restaurateurs au niveau des prix ? Est-ce les gens, tout simplement, sont obligés de faire des arbitrages sur les restaurants et les activités ? Faut-il aussi revoir les prix en fonction des saisons ? »

C’est à ce type de questions que l’étude, qui doit être rendue en septembre, est censée répondre. Avec au moins déjà une piste de réflexion, avancée par David Sauvegrain : « L’idée d’augmenter les prix quand il y a du volume, en juillet et en août, se justifie de moins en moins parce que le tourisme est beaucoup plus étalé dans le temps qu’avant. »