Élargir les « peines communautaires » pour lutter contre la surpopulation des prisons ? C’est le pari que fait le Royaume-Uni.

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Annabelle Timsit

The Washington Post

Face au problème de surpopulation carcérale, le gouvernement britannique prévoit autoriser les juges à prononcer des peines alternatives pour certains criminels condamnés : interdiction de fréquenter les pubs et d’assister à des matchs de soccer, deux activités emblématiques de la culture britannique.

Le ministère de la Justice a déclaré dimanche que les juges d’Angleterre et du pays de Galles pourront prononcer plus largement ce type de « peines communautaires » dans le cadre de nouveaux pouvoirs en matière de détermination de la peine, qui devraient être adoptés par le Parlement à son retour de la pause estivale en septembre.

Les « peines communautaires » interdiraient aux criminels d’assister à des évènements sportifs, à des concerts et de fréquenter les pubs, qui sont traditionnellement des lieux de rassemblement culturels importants pour de nombreux Britanniques.

Elles comprendraient également des restrictions sur la capacité de certains délinquants à conduire et à voyager, ainsi que des « zones de restriction les confinant dans des zones spécifiques », a déclaré le gouvernement. Elles sont conçues pour être une solution de rechange à l’incarcération et un moyen de dissuasion pour les récidivistes potentiels, a-t-on ajouté.

« Lorsque des criminels enfreignent les règles de la société, ils doivent être punis », a affirmé la ministre de la Justice, Shabana Mahmood, dans un communiqué. « Ceux qui purgent leur peine dans la communauté doivent également voir leur liberté restreinte dans celle-ci. »

Les détails des nouveaux pouvoirs en matière de détermination de la peine n’ont pas encore été annoncés, et la manière dont les nouvelles règles seront appliquées reste floue. Le ministère de la Justice a déclaré dans un communiqué que les agents de probation pourraient imposer ces restrictions comme conditions aux personnes libérées de prison sous une forme de surveillance appelée « licence », et que le gouvernement fournirait plus de détails ultérieurement.

Ces changements s’inscrivent dans le cadre d’un plan plus large visant à réformer le système pénitentiaire britannique, qui est confronté à une « crise de capacité » qui, selon le gouvernement, alimente la violence parmi les détenus.

Environ 86 000 personnes sont incarcérées en Angleterre et au pays de Galles, un nombre proche de la capacité maximale du système pénitentiaire du pays, selon les données du gouvernement britannique.

Une étude indépendante publiée en mai a recommandé une réforme des lois britanniques en matière de condamnation, et le gouvernement a annoncé son intention de proposer une nouvelle législation.

Les juges d’Angleterre et du pays de Galles peuvent déjà imposer des interdictions limitées pour des crimes spécifiques, par exemple en interdisant à une personne condamnée pour hooliganisme dans le cadre d’un match de football d’assister à un match dans son pays ou à l’étranger, a rappelé le gouvernement. Ces interdictions sont connues sous le nom de « Football Banning Orders ».

Mais les nouveaux pouvoirs permettraient aux juges d’appliquer ces interdictions « comme une forme de sanction pour toute infraction, en toute circonstance », a expliqué le gouvernement. Les personnes qui ont été emprisonnées pour un crime et qui sont libérées sous probation seront également soumises à des restrictions similaires, ainsi qu’à des tests de dépistage de drogues élargis.

Peu dissuasive

Nicholas Hardwick, ancien inspecteur en chef des prisons au Royaume-Uni, a déclaré que l’élargissement des « peines communautaires » pouvait constituer une option « raisonnable » à l’emprisonnement « pour les personnes qui n’ont pas commis d’infraction très grave, mais qui doivent néanmoins être punies pour leurs actes ». M. Hardwick a cité comme exemple les personnes condamnées pour vol, dommages matériels ou infractions au code de la sécurité routière.

« Même si les prisons n’étaient pas surpeuplées, je pense que ce serait une meilleure façon de traiter certaines infractions que d’engager des frais pour enfermer les gens. Mais dans l’état actuel des choses, les prisons sont tellement surpeuplées qu’elles peuvent à peine fonctionner. Il y a donc une sorte de nécessité pratique à le faire », dit M. Hardwick, qui est aujourd’hui professeur émérite de justice pénale à l’Université Royal Holloway, près de Londres.

Mais Matthew Scott, avocat spécialisé en droit pénal au cabinet Pump Court Chambers, estime que l’interdiction d’assister à des matchs de football ou de fréquenter des pubs ne dissuaderait pas les personnes qui n’ont pas été condamnées pour des infractions pertinentes de récidiver, et que sa mise en œuvre serait coûteuse.

Je ne pense pas que quiconque sera dissuadé de commettre un crime par crainte d’être interdit d’accès… aux matchs de football. En tant que sanction générale, cela semble vraiment ridicule.

Matthew Scott, avocat spécialisé en droit pénal au cabinet Pump Court Chambers

M. Scott ajoute que le service britannique de probation, dont les agents auraient la charge de veiller au respect des interdictions et de ramener les contrevenants devant les tribunaux ou en prison, est « déjà terriblement surchargé de travail dans le cadre de l’ordre existant ».

Conséquences d’un emprisonnement

Le gouvernement a annoncé dans son communiqué de presse qu’il investirait jusqu’à 700 millions de livres sterling (1,3 milliard de dollars canadiens) supplémentaires dans le service de probation d’ici 2029, contre un budget annuel d’environ 1,6 milliard de livres sterling (2,9 milliards de dollars canadiens), et a indiqué qu’il avait déjà commencé à recruter davantage d’agents.

Shabana Mahmood, la ministre de la Justice, a écrit dans un éditorial publié dans le journal Mirror que les nouvelles sanctions visaient à garantir que les délinquants qui ne sont pas incarcérés soient tout de même punis.

« Prenons l’exemple du football, alors que la nouvelle saison commence. Pour de nombreux fans, le temps passé dans les tribunes est le moment fort de leur semaine, a-t-elle écrit. Mais les voyous qui sèment le chaos dans nos rues pourraient bientôt être bannis des stades et rester coincés chez eux pendant que leurs copains encouragent leur équipe depuis les tribunes. »

M. Hardwick croit que les « sanctions communautaires » visent probablement aussi à envoyer un signal à la société, à savoir que les personnes qui enfreignent la loi sont exclues des lieux importants pour la culture britannique.

Nicholas Hardwick estime que l’emprisonnement des personnes qui commettent des délits mineurs a le potentiel d’empirer leur cas, tout en coûtant très cher à la société.

Il a fait valoir que les sanctions pour de tels délits doivent être considérées comme « une peine appropriée, mais pas disproportionnée ».

« Il s’agit de montrer que vos actes ont des conséquences, dit-il. Mais il est également important que ces sanctions aient un effet réhabilitant. »

Ce texte a été publié dans le Washington Post.

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