Le marathon musical de la rentrée, lancé mercredi 20 août avec Chappell Roan, s’est achevé hier soir avec Queens of the Stone Age. Entre les deux ? Des guitares plus ou moins héroïques et de l’électro plus ou moins chic. L’édition 2025 de Rock en Seine a attiré 148 000 spectateurs répartis sur cinq jours de festival.

L’édition 2025 de Rock en Seine a attiré 148 000 spectateurs répartis sur cinq jours de festival. Photo Telmo Pinto/Sopa/Sipa

Par Odile de Plas, Thomas Richet

Publié le 25 août 2025 à 12h36

Mis à jour le 25 août 2025 à 18h56

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C‘est dans un nuage de poussière et sous le déluge de guitares de Queens of the Stone Age que s’est achevé, dimanche 24 août, Rock en Seine. Avec 148 000 spectateurs en cinq jours sur les 200 000 espérés, le festival francilien n’a pas affiché complet, malmené par une série d’imprévus et de contrariétés : annulation de deux têtes d’affiche, polémique excessive au sujet de la présence du groupe nord-irlandais Kneecap qui a conduit à la suppression de deux subventions dans un contexte de pression croissante des élus sur la programmation des festivals. Afin de ne pas réduire cinq jours de musique à trois contretemps, revue de détail des 100 000 pas parcourus lors de cette édition 2025.

Les guitares font de la résistance Michael Gordon, plus connu sous le nom de Mk. gee.

Michael Gordon, plus connu sous le nom de Mk. gee. Photo Olivier Corsan/Le Parisien/MaxPPP

Sous chaque post sur les réseaux sociaux du festival de Saint-Cloud, une complainte revient, encore et encore : « Il n’y a plus de rock à Rock en Seine. » Pour notre part, on s’en fiche un peu — le genre n’a pas besoin d’un tel gros festival pour vivre sa vie. D’autant que les guitares étaient bel et bien là cette année. Et même en très gros sur l’affiche, avec le concert finalement très old school (guitare, basse, batterie) de la pop star de l’année, Chappell Roan. Sans compter deux groupes phares de cette édition, Queens of the Stone Age, qui a livré un set finalement un peu pépère à deux doigts de virer au rock à papa, et Fontaines D.C., d’une efficacité imparable.

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Jeudi, le flambeau était porté par Mk. gee, alias Michael Gordon, Américain de 28 ans dont la popularité ne cesse de gonfler de l’autre côté de l’Atlantique. Chaque génération a (hélas) besoin de son guitar hero — il est celui d’aujourd’hui. On a notamment entendu son jeu saturé d’effets sur les disques de Bon Iver et de Dijon, avec qui il partage un goût pour les ambiances vaporeuses, mais pas leur charisme vocal, gros handicap sur scène. Comme le premier, il se vautre aussi dans les effets très années 80, empruntant à Phil Collins ou à Don Henley leurs pires nappes de synthés — ce soir-là, un de ses musiciens abusait de bruits de pistolets laser et de cris de mouette électronique.

Dimanche, il fallait se rendre tôt à Saint-Cloud pour voir King Hannah. Malgré un soleil écrasant en ce début d’après-midi, le groupe, anglais mais adepte d’un rock indé très américain, nous transporte rapidement ailleurs. Vêtue d’une robe rouge chipée à PJ Harvey, la chanteuse Hannah Merrick fait flotter sa voix rauque et blasée, tandis que l’impeccable Craig Whittle lacère l’espace de ses riffs de guitare neil youngesque. Une belle ambiance champêtre dans un site bien poussiéreux.

Un peu plus tard dans cette même journée, c’était au tour de Sharon Van Etten de défendre ce bon vieux rock. Malgré un virage plus électropop sur ses derniers albums, les guitares étaient bien de sortie, du refrain puissant de Live Forever aux arpèges d’Idiot Box. La folkeuse timide des débuts est bien loin : l’Américaine se tient, altière, sur le devant de la scène, danse, interagit avec ses musiciens. Et rigole franchement quand sa robe tombe et manque de dévoiler sa poitrine. En finissant sur Seventeen, cri du cœur aussi puissant qu’élégant, elle prouve que les râleurs des réseaux sociaux ont bien tort. – T.R.

Les parenthèses enchantées La rappeuse américaine Fatimah Nyeema, dite Noname.

La rappeuse américaine Fatimah Nyeema, dite Noname. Photo Sadaka Edmond/Sipa

Grandes scènes et grosse foule oblige, les groupes qui se produisent dans les festivals sont souvent plus à la recherche d’efficacité que d’humanité. Mais quelques petits miracles peuvent parfois se produire. Ce fut même le cas deux fois d’affilée, sur la scène principale, samedi après-midi. D’abord avec Sophye Soliveau, qui avait la lourde tâche d’ouvrir la journée, en plein cagnard. La dernière fois qu’on avait vu la chanteuse et harpiste, ses excès de vocalises, de mise en scène nous avait un peu agacé. Était-ce le temps réduit qui lui était accordé cette fois ? Elle s’est concentrée sur ce qu’elle fait de mieux : mélanger avec grâce soul, jazz et R’n’B, chansons finement écrites et improvisations aventureuses.

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Quarante minutes plus tard, c’est la rappeuse américaine Noname qui foulait la grande scène, accompagnée seulement d’une DJ. Elle se plante d’emblée sur la rampe qui devance la scène et y restera jusqu’au bout de sa performance, au plus près du public. Comme ses textes, aussi drôles que révolutionnaires, la Chicagoane alterne vannes désobligeantes — « J’avais oublié : on est en France, vous n’avez aucun sens du rythme » — et vrais sourires ravis. Décontractée et loin des shows calibrés, elle n’hésite pas à couper la musique pour rapper librement, s’interrompt au début d’un morceau, pour finalement suivre son inspiration et passer à un autre. Quarante-cinq minutes à l’image de sa musique, totalement libres et terriblement charmantes. – T.R.

Floating Point, Jamie XX et Caribou, antidotes à Tomorrowland Le DJ franco-américain Marc Rebillet.

Le DJ franco-américain Marc Rebillet. Photo Sadaka Edmond/Sipa

Justice, Jamie XX, Caribou, Floating Points, Anima, Marc Rebillet, Who Made Who, Empire of The Sun… Il y avait côté électro et synthpop, à boire et à danser. Car comment imaginer une seconde que les pantalonnades sans pantalon d’un Marc Rebillet ont quelque point commun avec l’architecture sensuelle et cérébrale d’un Floating Points, qui jouait vendredi sur la scène Bosquet ? D’un côté, un histrion en caleçon très moulant, épuisant à force de gesticulations sonores, dont le plaisir principal semble désormais se résumer à sampler des grossièretés sur une EDM dopée à trop forte dose. De l’autre, un quasi-bouddhiste des machines, concentré sur ses boucles ondulantes et ses kicks sur ressort, ses textures tour à tour rugueuses et suaves construisant un live à la progression diabolique où chaque transition offre un supplément de sensations. Aux côtés de Floating Points, deux vidéastes-laborantines projettent de fascinants paysages de bulles colorées, de mousses expansives, créées sur l’instant. Tout était vivant, animé d’une pulsation commune envoûtante.

On en était là, à danser, se disant qu’avec ses compères et amis du week-end — Caribou jouait quelques heures plus tôt en formation groupe, Jamie XX était attendu le lendemain et n’a pas déçu —, Floating Points offrait ce qu’on peut faire de mieux dans le genre. Peut-être parce que aucun n’a eu le mauvais goût de tomber du côté Tomorrowland de l’électro — sorte de raccourci vers l’enfer — pour grappiller un peu de succès supplémentaire. Anima, lui, a plongé dedans — visuels biofuturistes dégoulinant de vulgarité façon Avatar, de James Cameron, envolées technos aux ficelles épaisses. Le même drame avait englouti les Danois de Who Made Who plus tôt dans l’après-midi, dont la synthpop semblait bien pompeuse soudain accompagnée, sur grand écran, d’une jungle numérique du pire effet. – O.d.P

Empire of the Sun Les revenants australiens d’Empire of the Sun.

Les revenants australiens d’Empire of the Sun. Photo Sadaka Edmond/Sipa

Bref, tout cela manquait terriblement d’humour, contrairement au show d’Empire of the Sun la veille, sommet de kitsch — volontaire ? rien n’est moins sûr — à la créativité délirante. Porté par un retour de hype, sur TikTok, autour de leurs vieux tubes (Walking on a Dream, We Are the People), le duo australien était réduit sur scène à Luke Steel, le chanteur guitar hero en kimono. Mais il nageait en plein bonheur entouré de danseurs « soleil » ou « lune », d’un simili-Pokémon à frange. À 18 heures, en plein jour, on frôlait parfois le théâtre amateur (surtout quand la vidéo filmait l’envers du décor), mais toute moquerie a pris fin devant sa version heavy metal de Standing on the Shore, pouls ralenti, riffs étirés, fans rassasiés.

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Que dire dès lors de l’état des troupes samedi après le spectacle dantesque de Justice, qui clôturait la soirée ? Pour leur dernier show en France, le duo parisien a littéralement saturé la plaine de Saint-Cloud de son, de lumière, de puissance. Sur l’écran, pas une fesse de Xavier de Rosnay ou de Gaspard Augier ne bouge, imperturbables silhouettes au milieu du déluge déclenché par leur live rouleau compresseur. – O.d.P

Et Kneecap, alors ?

À entendre les « Free Palestine » et « Tout le monde déteste la police » qui résonnaient avant même que Kneecap ne monte sur scène, on se doutait que le public qui s’agglutinait devant la petite scène du Bosquet n’était pas venu que pour la musique. La programmation du sulfureux trio nord-irlandais, accusé d’avoir brandi des drapeaux du Hezbollah, a coûté plusieurs centaines de milliers d’euros de subventions au festival. Le groupe assume la polémique, et monte sur scène avec un message mettant en cause la complicité du gouvernement français dans le « génocide » du peuple palestinien. Côté public, des manifestants, armés de sifflets, les attendaient. Rapidement expulsés par la sécurité, leur action aurait de toute façon été rapidement noyée sous les grosses basses du hip-hop festif et vigoureux de Kneecap. « Ils veulent qu’on soit en colère comme Israël, mais on n’est pas comme eux », déclare Mo Chara, un des rappeurs, qui précise : « On est là pour s’amuser. » De ce côté-là, c’est réussi, le groupe livrant un concert monté sur ressort, à l’énergie bluffante, mais finalement totalement dans les clous. Le public aurait-il été aussi nombreux sans les polémiques ? Sans doute pas, et c’est une leçon à méditer pour les politiques qui ont instrumentalisé l’affaire. – T.R.