Par

Lou Batteux

Publié le

26 août 2025 à 16h47

« C’est tout petit chez moi », pieds nus, Catherine Le Scolan déambule des escaliers à sa cuisine étriquée, puis du salon cosy, à sa terrasse fleurie. « Qu’est-ce que vous voulez boire ? », s’empresse-t-elle de demander. Arrivée à Rennes en 1985 pour ses études, cette médecin généraliste y a ouvert son cabinet libéral en 2002. Elle vit avec son mari, qu’elle a rencontré au lycée il y a 41 ans, et sa chatte Bissa, qui veut dire chat en gazaoui, dans une maison chaleureuse, cachée par les arbres et bordée de fleurs. Mais dans cette maison, depuis un an, elle n’y reste que très peu. Son esprit est ailleurs, il est à Gaza. Cette mère de quatre enfants, « devenus grands », a décidé de s’engager « quasiment à plein temps » dans une cause qui lui tient à cœur. Après avoir réalisé une mission humanitaire dans la bande de Gaza, elle a réusi à faire rapatrier à Rennes le premier adulte gazaoui, Bashar Al Belbesy.

Inde, Égypte, Maroc…

Les cadres accrochés au mur du salon témoignent d’ailleurs de sa fibre humanitaire. On y voit des enfants vivant dans des conditions précaires.

« Ce sont des photos que j’ai prises en Inde », explique Catherine. En plus de se dévouer à son métier de médecin, la quinquagénaire se passionne pour la photographie. Il y a plus de 10 ans, elle est allée travailler dans un dispensaire de ce pays d’Asie du Sud pendant trois semaines.

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Parmi les cadres exposés dans le salon de Catherine, on peut y retrouver la photo de ces deux enfants indiens. (© Catherine Le Scolan – Société Photographique de Rennes)

« C’était mon premier voyage en Inde, je n’avais pas fait de photos. Alors, j’y suis retourné six fois en tant que photographe ». Et ce n’est pas la seule destination victime des clichés de l’artiste : Égypte, Maroc, New York… Affiliée à un collectif international de femmes photographes de rue, Catherine a voyagé dans de nombreux pays, notamment arabes, en compagnie de son appareil photo.

Des amis palestiniens, syriens, irakiens…

La réalité parfois dure qu’elle capture dans ses photos, elle la retrouve aussi dans son cabinet.

J’ai soigné pas mal de réfugiés palestiniens, syriens ou irakiens avec qui je suis devenu amie. J’ai vu évoluer les enfants et c’est donc naturellement que j’ai été sensibilisé à la cause palestinienne.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

Quand la guerre a éclaté à Gaza le 7 octobre 2023, Catherine Le Scolan, qui voulait déjà « aller soigner dans des pays en crise comme l’Ukraine », mais qui n’avait pas « une formation de médecin humanitaire », a « essayé par tous les moyens de partir ».

15 médecins au départ, plus que 9 à l’arrivée

En novembre 2024, la médecin parvient à entrer sur le territoire en guerre aux côtés de l’ONG française PalMed France. Avec d’autres médecins volontaires, elle a pris l’avion de Paris jusqu’à Amman, en Jordanie.

On était 15 médecins à atterrir à Amman. La veille d’entrer à Gaza, à minuit, on a reçu un avis défavorable d’Israël pour quatre d’entre nous. Ils ont dû reprendre l’avion et rentrer chez eux.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

Le lendemain, elle explique que deux médecins ont encore été refusés au checkpoint pour entrer en Israël. « Au total, on est entré à neuf médecins dans la bande de Gaza pour une mission de deux semaines ».

« Ils vivent dans le noir »

Après avoir traversé Israël en bus pendant 34 heures, sans s’arrêter une seule fois, Catherine est arrivée à Gaza. « Ils nous ont fait descendre avec nos valises à roulettes, on était ni casqués ni protégés. On avait l’air d’une équipe de touristes », confie-t-elle.

Ce qui a particulièrement choqué la médecin, pourtant « bien préparée », c’est la pénombre intense qui régnait sur Gaza. « Tout le monde vit dans le noir dès 17h, comme si c’était normal. Alors que c’est inadmissible », s’insurge-t-elle.

Une fois arrivée à destination, elle a été affectée à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le « secteur des urgences ». Au sein de ce secteur, la médecin généraliste a travaillé dans un service qui « équivalait à un dispensaire » : « Je faisais des consultations de médecine générale tous les jours. Je voyais une trentaine de personnes par jour. »

« J’ai vu des bébés morts »

En effet, si les gens meurent sous les bombes à Gaza, ils succombent aussi à diverses infections, au diabète décompensé, à des hypertensions « pas soignées », à des insuffisances cardiaques… Lorsque cela le justifiait, Catherine transférait ses patients dans le secteur d’hospitalisation.

Toutes les nuits, j’étais réveillée par les bombardements. Le matin, on voyait un afflux de cadavres arriver à la morgue de l’hôpital Nasser. J’ai vu des linceuls de 50 cm, c’était des bébés morts.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

Malgré les atrocités auxquelles elle a pu faire face, Catherine retient que tout le monde « avait le sourire ». « Quand c’est grave, on a besoin de travailler dans un bon esprit, avec de la bonne humeur », raconte-t-elle. D’ailleurs, « la phrase préférée » des Gazaouis, celle qu’ils lui répétaient tout le temps, c’est : « ne t’inquiète pas ».

Si elle raconte avoir été témoin des discriminations qu’ont pu subir ses collègues « arabes » lors des contrôles israéliens, telles que des insultes, des humiliations ou encore des fouilles poussées, elle soutient n’avoir « jamais entendu un seul mot de haine sur Israël [de la part des Gazaouis, N.D.L.R], contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire ».

Pas le temps pour les émotions et les photos

Catherine explique qu’en partant à Gaza en tant que soignante, elle sait qu’elle a « une mission à remplir » : « Dans la tête, c’est un petit peu comme une machine. On fait les choses puis les émotions, on les évacue en rentrant. Il y a des psychologues pour ça. »

On ne peut pas aider les gens si on y va pour avoir peur, pour pleurer, pour s’écrouler ; on devient un poids pour l’équipe.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

La passionnée de photographie n’a pas emporté avec elle son appareil photo lors de cette mission. « Je n’ai pas osé prendre mon appareil et j’ai bien fait parce qu’il y a des snipers qui peuvent me tirer dessus s’ils me prennent pour une journaliste », déplore-t-elle.

Qui plus est, Catherine considère qu’il est important de « dissocier » ses deux activités. « Si je vais là-bas, c’est pour soigner, c’est pas pour prendre des photos ». Pour autant, elle a pu capturer certains clichés avec son téléphone portable.

Cour de l’hôpital Nasser à Khan Younis, décembre 2024
En décembre 2024, Catherine a pris en photo l’état de la cour de l’hôpital Nasser, à Khan Younès. (© Catherine Le Scolan)Elle a fait inscrire un jeune palestinien à Rennes 2

Ces deux semaines passées dans la bande de Gaza ont été l’occasion pour la Rennaise de revoir son ami Bashar Al Belbesy, qu’elle rencontrait un an plus tôt en Bretagne. Durant l’été 2023, le jeune palestinien passionné de danse réalisait une tournée dans plusieurs villes de France avec sa troupe Al-Fursan, à l’occasion de la diffusion du documentaire Yallah Gaza.

Alors qu’ils s’arrêtent à Morlaix, Catherine décide de s’y rendre pour assister à la diffusion, elle qui a fait son lycée dans cette ville bretonne. La photographe en profite pour prendre quelques clichés des danseurs. Catherine et Bashar s’échangent alors leurs coordonnées afin qu’elle puisse lui transmettre les photos ultérieurement.

Avec le début de la guerre à Gaza, les deux artistes restent en contact. La médecin commence à lancer des démarches pour rapatrier son ami, ainsi que sa famille, en France. Elle parvient même à l’inscrire à l’université de Rennes 2, en licence Arts du spectacle, pour la rentrée 2025.

Le 21 novembre 2024, Catherine a retrouvé Bashar et sa maman, Manar, à l’hôpital Nasser de Khan Younès.
Le 21 novembre 2024, Catherine a retrouvé Bashar et sa maman, Manar, à l’hôpital Nasser de Khan Younès. (©Catherine Le Scolan)

Seulement, le 30 juin 2025, à 16h, Bashar est victime d’un bombardement dans un café. S’il fait partie des rares survivants, le jeune danseur est grièvement blessé à la jambe. Son état nécessitant une évacuation sanitaire urgente, Catherine accélère le processus de rapatriement en France en sollicitant le plus de personnes possibles à Rennes.

De l’hôpital Nasser au CHU de Rennes

Finalement, jeudi 31 juillet 2025, Bashar a atterri, seul, à l’aéroport de Rennes. Il a été immédiatement pris en charge à l’hôpital Pontchaillou. À ce jour, c’est « le premier adulte gravement blessé à avoir été accueilli en France » depuis le début de la guerre Israël-Gaza.

Même si « sa blessure aurait dû être traitée dans les sept jours », Bashar s’est fait opérer par « une équipe très compétente et très investie », selon Catherine.

En médecine, on a une obligation de moyens, mais pas de résultats. On aimerait pouvoir lui promettre qu’il va redanser, mais on n’a pas le droit, on se doit de lui donner toutes les éventualités.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

« La valise ou la mort »

À l’hôpital, on lui a demandé s’il souhaitait une autorisation de séjour ou un statut de réfugié. Une question qui « n’est pas à poser » selon Catherine.

Bien entendu que Bashar ne souhaite pas un statut de réfugié, mais dans le contexte actuel, il est obligé de demander l’asile à la France, même s’il est attaché à sa terre natale. C’est la valise ou la mort.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

Catherine, qui rend visite à Bashar à l’hôpital tous les jours, donne quotidiennement des nouvelles de lui à sa famille restée bloquée à Gaza. Pour autant, elle ne sait pas si elle va pouvoir les faire venir en France prochainement.

Vendredi 1ᵉʳ août 2025, le ministre des Affaires étrangères a en effet suspendu les évacuations de Gazaouis vers la France, après qu’une étudiante, rapatriée de Gaza et admise à Sciences Po Lille pour la rentrée, a tenu des propos antisémites sur les réseaux sociaux.

« Si on me refuse, bah je ferai un aller-retour »

Catherine Le Scolan ne compte pas s’arrêter à ce premier exploit. Elle qui défend la cause palestinienne veut continuer de mettre ses compétences médicales au service des malades et des blessés de Gaza.

Alors qu’elle a décidé de repartir pour une nouvelle mission humanitaire de trois semaines dans la bande de Gaza, Catherine a préparé soigneusement ses affaires. Toutefois, elle ne sait pas si Israël va l’autoriser à entrer une seconde fois sur le territoire palestinien. « Si on me refuse, bah je ferai un aller-retour », concède-t-elle.

Pyjamas de bloc, stéthoscope, tensiomètre… Tout ce qui pourra lui servir à secourir les Palestiniens tient dans deux valises et un sac à dos.

13 kg de nourriture et aucun médicament

Lors de ma première mission, j’avais deux valises remplies de médicaments : morphine, tramadol, antidiabétiques, antihypertenseurs… Presque tout m’a été confisqué par Israël.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

Cette fois-ci, la médecin n’a donc prévu aucun médicament ou presque, si ce n’est des vitamines pour les enfants et du fer pour les femmes enceintes. Mais dans la plus petite de ses deux valises, elle a réussi à rassembler 13 kg de nourriture. Boîtes de thon ou de sardines, barres de céréales, soupes, café… « Il y en a un petit peu pour moi, mais c’est surtout pour les Gazaouis. »

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Boîtes de conserve dans les mains, Catherine montre la quantité de nourriture qu’elle prévoit d’apporter à Gaza, dans ses valises. (©Lou Batteux / actu Rennes)

Encore une fois, Catherine prend un risque. Elle sait qu’Israël limite le nombre de kilos de nourriture transportés : « pas plus de trois kilos ». Si elle a également l’interdiction de faire passer du lait infantile, elle a tout de même caché quelques sachets dosés dans sa valise. Quant à ses affaires personnelles, elle les laisse presque toutes là-bas, « pour les Gazaouis ».

Son mari est « content » qu’elle y aille

S’il est important pour Catherine de s’engager dans cette cause, qu’en pensent ses proches ? « Mon mari me dit que s’il était médecin, il partirait tout de suite », déclare la Rennaise. « Il ne me force pas à y aller mais il ne me force pas à rester non plus. »

Comme il n’a pas la « chance de pouvoir aller aider », puisqu’il n’est pas médecin, « il est content » que Catherine y aille et la soutient beaucoup, tout comme ses enfants. Bien que Catherine ne bénéficiait pas d’une « connexion permanente » lors de sa première mission à Gaza, elle parvenait tout de même à appeler son mari « une demi-heure tous les jours ».

Elle continuait également d’échanger avec ses amis rennais, qui lui envoyaient des photos et l’appelaient en visio. « C’est important de voir le sourire des gens, c’est un peu comme si je les emmenais avec moi dans mon cœur », confie-t-elle.

Finalement refusée d’entrer par Israël

Mardi 19 août 2025, la Rennaise a rejoint Amman en avion, depuis l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. Alors qu’elle attendait l’accord d’Israël pour rejoindre la bande de Gaza, mercredi 20 août, elle a reçu un avis défavorable de la part du COGAT.

C’est quoi le COGAT ?

Le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) est un organisme militaire israélien, placé sous l’autorité du ministère de la Défense, chargé de superviser les civils dans la bande de Gaza.

C’est « énervée » et « en colère » qu’elle s’est empressée de communiquer cette proscription.

Je m’étais préparée à ce refus, mais c’est toujours sans raison. Personne n’en parle et tout le monde laisse le champ libre à Israël pour attaquer sans dommages collatéraux pour les occidentaux.

Catherine Le Scolan
Médecin généraliste et photographe rennaise

La Rennaise le sait : s’ils refusent son entrée, c’est parce qu’ils « vont massacrer encore plus fort ». Les prochaines interventions de la médecin à Gaza sont donc encore incertaines, voire vaines, mais Catherine Le Scolan trouvera toujours une solution pour que ces victimes « invisibilisées » ne le soient plus.

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