Cela fait deux ans que Chloé est diplômée de l’École supérieure d’art et de design de Valenciennes (ESAD). Elle a rejoint cette école directement après le bac. « J’y suis allée un peu au titre parce que j’ai vu que c’était de l’École supérieure d’art et design avec une mention en éco-social et ça m’a intriguée. J’ai eu l’impression que les mots clés touchaient ce que je commençais moi-même à effleurer dans ma pratique. »

 » On se fourvoierait de penser que l’ESAD de Valenciennes meure à cause de raisons locales. On représente quelque chose qui se trame à l’échelle nationale »

Chloé garde un bon souvenir des trois années qu’elle a passées dans cette école. « Les sols étaient colorés, on avait une belle bibliothèque, il y avait de l’énergie dans les couloirs. J’ai adoré les enseignements et apprendre des manières de m’exprimer, par le dessin, par la 3D. Aller au workshop bois métal et avec mes mains transformer des choses dans mon esprit. »

Ces années ont également été pour elle celles d’un autre apprentissage. « J’ai eu un engagement un peu graduel dans les instances de l’école. Ça a commencé avec le conseil pédagogique où en première année, j’ai juste envie de porter la voix de mes camarades. J’avais beaucoup d’amis qui avaient des problèmes psychologiques. J’ai bien observé le poids de mes privilèges dans cet espace-là et je me suis dit ‘si j’ai les ressources pour aider à porter les voix de celles et ceux qui sont plus fatigués, autant le faire’. »

Alors qu’elle s’engage de plus en plus pour ses camarades et dans la vie de l’école, Chloé apprend le projet de fermeture de l’ESAD. « Ça a été une fermeture très progressive. Ça commence par l’impossibilité de recruter les premières années. Puis l’impossibilité de recruter en master et en équivalence. Donc moi, je ne pouvais pas continuer mon cursus dans l’école d’art. »

Manifestation des étudiants de l'ESAD de Valenciennes Manifestation des étudiants de l’ESAD de Valenciennes – Roméo Panarelli « J’ai pris conscience de toutes les opportunités que de futurs étudiants ne pourraient jamais connaître »

Soumaya Nader est également une ancienne étudiante de l’ESAD. « J’étais boursière à un échelon assez haut, ce qui me permettait de pouvoir avoir un petit appartement, de payer mon matériel aussi, parce qu’être étudiant en arts, même dans une école publique, c’est pas gratuit. Ça me laissait suffisamment pour avoir une petite vie simple, mais correcte. Si j’étais restée à Paris, en tout cas à Fontenay-sous-Bois, je n’aurais pas pu me concentrer à 100 % sur mes études. »

En 2016, en plein cursus, elle apprend l’existence d’une menace de fermeture imminente de l’établissement. « Avec d’autres étudiants, on a décidé d’agir, de se montrer en ville avec des tracts, une lettre ouverte au maire, au président de région, plusieurs assemblées générales. On était plusieurs étudiants à s’être syndiqué au SEL-CGT, le syndicat étudiant et lycéen. »

Soumaya a pu en définitive terminer son cursus. Quelques années plus tard, elle retourne à l’ESAD, cette fois comme enseignante. « Aujourd’hui, on est le 18 juillet 2025 et c’est le jour de la fermeture administrative de l’école. Tout le personnel part en vacances, mais c’est spécial parce que cette fois, il ne reviendra pas à la rentrée. Pour nous, les enseignants, les enseignantes, les étudiants, les étudiantes, c’était surtout le 27 juin, le jour, le soir, la nuit de la dernière fête de l’ESAD, qui était un moment assez incroyable où chacun a pu participer à des performances, des rituels de deuil, a pu dire au revoir une dernière fois au bâtiment de l’école. »

« On a fait une réunion pour voter l’occupation de l’école, toutes les mains étaient levées en moins de cinq secondes »

Laurette fait partie de la dernière promotion à avoir étudié à l’ESAD. Elle l’a intégrée en septembre 2022. « À la rentrée, on nous a fait une réunion dans l’amphithéâtre. On nous a dit que voilà, on aurait du mal à avoir du chauffage dans l’école, parce que c’était très cher. En fait, j’étais tellement dans ce truc de nouveauté, des amis, que j’avais pas forcément remarqué que je restais toujours en manteau dans l’école. »

Laurette est frappée par l’annonce de la fermeture de l’école. « Je me suis dit que j’allais m’investir pleinement dans la lutte parce que je ressentais le besoin de protéger ce lieu que je venais de fréquenter, mais qui me plaisait en fait déjà tellement. Pour tenter d’alerter sur la situation de l’école, on a décidé de créer des affiches. On attaquait principalement la mairie. »

S’ensuit une période de manifestations liées à celles contre la réforme des retraites, puis d’occupation de l’école, mais l’année scolaire se termine sans que la fermeture de l’ESAD ait été repoussée. « La dernière année, c’est dix-neuf élèves, quatorze professeurs et entre 5 000 et 6 000 mètres carrés de bâtiments. Parce qu’il y a eu une décision qui avait été prise par la mairie et par la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de ne pas reprendre d’élèves, donc faire ce qu’on appelle une année blanche. On avait été effacés de Parcoursup. C’est vrai que là, il y a eu des grands moments de solitude dans l’école et ce grand vide. »

Le 27 juillet 2025, les étudiants, étudiantes, anciens étudiants et étudiantes, les équipes pédagogiques et administratives se sont réunis pour un dernier soir dans l’école…

Merci à Chloé Terrée, Laurette Bremme et les derniers élèves de la dernière promotion de l’école de Valenciennes ; ainsi que leurs professeurs Soumaya Nader, Julien Rodriguez et l’ensemble de l’équipe de l’ESAD.

  • Reportage : Jeanne Mayer
  • Réalisation : Eric Lancien

Musique de fin : « Sitting on a Log », Mezerg, 2023.