« Douloureux ». Tel est le mot employé ce mardi par Keir Starmer, Premier ministre travailliste du Royaume-Uni, pour qualifier le premier budget de son gouvernement, présenté fin octobre. « Je vais être honnête avec vous : le budget qui arrive en octobre sera douloureux », a-t-il ainsi admis. Pour rappel, il a été largement élu début juillet après 14 ans de pouvoir conservateur, lors d’un discours dans les jardins de Downing Street en amont de la rentrée parlementaire.

« Nous n’avons pas le choix vu la situation dans laquelle nous sommes : ceux qui ont les épaules les plus solides devront porter le plus lourd fardeau », a-t-il souligné, esquissant des réductions des dépenses publiques ou des augmentations de certains impôts le 30 octobre.

Un trou budgétaire… à 22 milliards de livres

Pour mémoire, le Labour a mené campagne en insistant sur son recentrage économique. Il a également promis une gestion rigoureuse des dépenses publiques, imposant des choix drastiques. Mais le gouvernement prévient désormais qu’il devra aller encore plus loin que prévu, depuis que la ministre des Finances Rachel Reeves a accusé en juillet les conservateurs d’avoir « masqué » un trou budgétaire de 22 milliards de livres (soit environ 26 milliards d’euros).

« La situation est pire que ce que nous avions jamais imaginé », a ainsi abondé ce mardi Keir Starmer, affirmant que l’Office for Budget Responsibility (OBR, équivalent de la Cour des comptes française) « n’était pas au courant ». « Nous avons hérité d’un trou noir, aussi bien dans l’économie que sur les sujets de société » a-t-il poursuivi, en référence aux émeutes qui ont secoué des dizaines de villes d’Angleterre et d’Irlande du Nord début août.

Plusieurs solutions sur la table

Face à cette situation économique compliquée, le gouvernement travailliste envisage différentes solutions. Selon des informations révélées par le Financial Times mardi dernier, la Chancelière de l’Echiquier britannique envisage notamment augmenter les loyers dans les logements sociaux davantage que l’inflation ces dix prochaines années.

Objectif affiché ? Stimuler la construction de ce parc immobilier à prix abordable, et aussi assurer des rentrées d’argent pour les associations de logement et les conseils municipaux, aux prises avec de lourdes dettes et d’importants retards dans l’entretien de leur parc.

Le même jour, The Guardian a évoqué de possibles augmentations des droits de succession et des impôts sur les plus-values, ainsi qu’un durcissement de l’accès aux aides sociales ou encore une modification de la manière, dont la dette est mesurée pour laisser plus de marges de manœuvre. En juillet, Rachel Reeves avait aussi annoncé des coupes dans certaines aides au fioul de chauffage en hiver pour les retraités, suggérant de les lier à des conditions de ressources.

Mais la ministre anglaise des Finances se sait aussi très attendue sur le pouvoir d’achat et le redressement des services publics. Résultat, elle a martelé que le gouvernement n’augmentera pas les cotisations sociales et les impôts des « gens qui travaillent ». La ministre refuse aussi de céder aux pressions l’appelant à supprimer le plafonnement des allocations familiales à deux enfants.

De son côté, désormais dans l’opposition, le parti libéral – pourtant accusé d’avoir « masqué » le trou dans les comptes publics – dénonce une « tentative éhontée de préparer le terrain pour des hausses d’impôts ».

Une dette publique plus élevée que prévu

Interrogé par l’AFP la semaine dernière, Dennis Tatarkov, économiste chez KPMG UK, avait estimé qu’au Royaume-Uni, l’emprunt public était plus élevé que prévu. Conséquence : ce paramètre « laisse peu de marge de manœuvre pour le budget », d’autant qu’un « ralentissement attendu de la croissance » pourrait encore limiter les recettes fiscales au second semestre.

Par ailleurs, l’emprunt du secteur public a atteint le mois dernier 3,1 milliards de livres (3,6 milliards d’euros), soit le chiffre « le plus élevé pour un mois de juillet depuis 2021 », nettement supérieur aux attentes, selon l’Office national des statistiques (ONS). Les finances publiques ont pâti d’une « hausse des dépenses du gouvernement » alors que « le coût des services publics et des prestations sociales a continué d’augmenter », avait détaillé sur X Jessica Barnaby, directrice adjointe des finances publiques, mercredi dernier.

De sorte qu’en cumulé, depuis le mois d’avril (début de l’année fiscale britannique), le pays a emprunté près de 5 milliards de livres de plus que les projections de l’organisme public de prévisions budgétaires (OBR). Résultat, la dette publique, gonflée notamment par les aides distribuées pendant la pandémie et la crise de l’énergie, représentait 99,4% du PIB fin juillet.

Seule note économique positive de ces dernières semaines, une croissance de 0,2% au deuxième trimestre 2024. Cette petite hausse est tirée par l’activité manufacturière et une baisse des prix des matériaux, ainsi que par l’hôtellerie-restaurant.

Un contexte sociétal fracturé qui n’aide pas

Le marasme budgétaire britannique est aussi doublé d’un contexte sociétal compliqué. Le mois d’août a en effet été marqué par des émeutes consécutive à une attaque au couteau, qui a coûté la vie à trois fillettes, lors d’un cours de danse le 29 juillet à Southport (nord-ouest de l’Angleterre). Elles ont été attisées par des agitateurs d’extrême droite, sur fond de rumeurs présentant, à tort, le suspect comme un demandeur d’asile, de confession musulmane.

Ces violences xénophobes et islamophobes, qui ont notamment visé des mosquées et des hôtels accueillant des demandeurs d’asile, ont « mis à nu les fissures dans nos fondations, affaiblies par une décennie de division et de déclin » sous les conservateurs, a ainsi condamné ce mardi Keir Starmer. « C’est pourquoi nous devons agir et faire les choses différemment. Cela implique d’être honnête avec les gens (…) et honnêtement, les choses vont empirer avant que ça aille mieux », a-t-il reconnu.