Comme depuis trois saisons, en cette année 2000, la lutte fait rage entre McLaren et Ferrari, ainsi qu’entre Mika Häkkinen et Michael Schumacher, pour les titres mondiaux. Le Finlandais a conquis les deux couronnes précédentes, bien aidé en 1999 par l’accident qui a longtemps mis sur la touche l’Allemand, et la campagne du double millénaire est le théâtre d’une nouvelle lutte acharnée.

À l’arrivée en Belgique, 13e des 17 manches au programme de cette campagne, Häkkinen est aux commandes du classement pilotes avec 64 unités mais Schumacher lui colle aux basques avec 62 points quand David Coulthard, l’autre pilote McLaren, est au troisième rang avec 58 points au compteur.

Auteur d’une pole autoritaire la veille, avec quasiment huit dixièmes d’avance sur le second Jarno Trulli (Jordan) et neuf dixièmes sur un Schumacher seulement quatrième, Häkkinen lance bien les hostilités. « Nous avons totalement dominé les qualifications », raconte-t-il pour le site de McLaren, 25 ans après. « La voiture volait littéralement, c’était incroyable. Dans Eau Rouge, on roule à fond, et là encore, quand on est à la limite, on sent l’arrière partir, car on sait que ce virage est très difficile. »

Le tête-à-queue d’Häkkinen
Mika Häkkinen devant Jarno Trulli, Jenson Button (Williams) et Michael Schumacher.

Mika Häkkinen devant Jarno Trulli, Jenson Button (Williams) et Michael Schumacher.

Photo de: Motorsport Images

Le dimanche voit la journée démarrer par de la pluie. La piste est humide au moment où doit s’élancer l’épreuve et la direction de course prend la décision – deux ans après le carambolage monstrueux du départ de l’édition 1998 – de ne pas prendre de risque et de faire démarrer la course sous régime de Safety Car. Une fois la course véritablement lancée, Häkkinen conserve la tête pendant que Schumacher se hisse progressivement à la deuxième place.

Le passage des deux pilotes aux pneus pour piste sèche (à l’époque rainurés et non slicks) ne changera pas cet ordre, mais Schumacher se rapprochera progressivement . Une erreur de la McLaren frappée du numéro 1 dans le virage de Stavelot, au 13e tour, va alors offrir la tête de la course au Baron rouge – alors revenu à quatre secondes – sur un plateau. « La piste était horrible, moitié mouillée, moitié sèche, donc seule la trajectoire idéale était sèche », explique Häkkinen. « Mais bien sûr, à chaque tour, elle était meilleure. Cela signifie qu’il faut réagir aux conditions, donc à chaque tour, il fallait rouler un peu plus vite, sinon les autres vous rattrapaient. »

« Il fallait rouler de plus en plus sur les vibreurs, qui étaient particulièrement glissants lorsqu’ils étaient mouillés. Je suis arrivé à ce virage et j’ai un peu trop roulé sur le vibreur. Il était un peu trop humide et j’ai perdu l’arrière, j’ai fait un tête-à-queue, j’ai glissé sur le côté et je suis passé tout près des barrières.
Heureusement, je ne les ai pas percutées et le moteur tournait encore. Mais je ne tiens pas à répéter les mots que j’ai utilisés quand j’ai fait ce tête-à-queue ! »

Reparti avec une demi-douzaine de secondes de retard, le Finlandais va voir Schumacher attaquer fort pour augmenter son avance à dix secondes à la mi-course. C’est alors que l’Allemand va effectuer son dernier arrêt, rendant provisoirement le leadership au leader du championnat. Häkkinen va alors se lancer à fond dans une course contre-la-montre, sachant que si son heure doit venir, ce sera plutôt en fin de course grâce à un décalage stratégique.

Course poursuite et contact
Michael Schumacher poursuivit par Mika Häkkinen.

Michael Schumacher poursuivit par Mika Häkkinen.

Photo de: Steve Etherington / Motorsport Images

Cinq boucles après Schumacher, Häkkinen repasse par les stands. Il en ressort avec un retard qui descend vite autour des cinq secondes mais, surtout, avec des pneus bien moins usés. Il fond rapidement sur la Ferrari pour revenir dans ses échappements à sept tours du but, et espère bien que sa vitesse de pointe supérieure va lui permettre d’effacer facilement son rival.

« Je pensais que ça allait être simple, car nous avions des réglages différents : Michael avait beaucoup d’appui aérodynamique et moi, peu d’appui. Donc, dans le secteur sinueux du circuit, il prenait de l’avance, je n’avais aucune chance de le dépasser, et le seul endroit où je pouvais le faire était après Eau Rouge, dans la ligne droite de Kemmel. Je me suis dit que ça allait être facile, car ma voiture était 20 km/h plus rapide que la sienne. »

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Mais c’était sans compter sur un Schumacher jamais avare en défense musclée. Au 40e des 44 tours de l’épreuve, Häkkinen dispose ainsi d’une première chance dans Kemmel, avant le freinage des Combes, mais l’Allemand referme l’espace dans lequel la McLaren tente de s’infiltrer, au prix d’un léger contact et d’une manœuvre d’évitement. Häkkinen lève alors la main gauche pour signifier son mécontentement.

« Il fermait la porte de manière brutale, pas juste en douceur », explique ce dernier. « À un moment donné, mon aileron avant a touché son pneu arrière, il a même laissé des traces sur l’aileron, et il me poussait hors de la piste, alors que nous roulions à 310 km/h. Je me suis dit : ‘Oh, ça va être difficile’. »

« Il ne restait plus beaucoup de tours à faire et que je n’avais qu’un seul endroit pour le dépasser, et il le savait. Donc, chaque fois que j’essayais et qu’il fermait la porte, il fallait que j’attende, tout au long de cette longue piste, jusqu’à ce que nous arrivions à Eau Rouge et que nous puissions prendre cette longue ligne droite. Et je me suis dit que ça n’allait pas bien se terminer, que j’allais devoir prendre des risques énormes pour le dépasser. »

Un dépassement entré dans l’histoire

Dans ce duel entre deux doubles champions du monde, c’est finalement la présence d’un troisième larron qui allait tout changer et faire entrer dans la légende le morceau de bravoure qui allait suivre. Un tour plus tard, en effet, rebelote : Häkkinen prend l’aspiration de Schumacher dans Eau Rouge, et se rapproche dans Kemmel. Mais cette fois, il y a donc un nouveau paramètre dans l’équation : la BAR de Ricardo Zonta, à laquelle les deux leaders s’apprêtent à prendre un tour.

Le Brésilien, conscient que le leader approche, se décale alors vers la droite de la piste et ralentit légèrement pour faciliter la manœuvre. Schumacher prend son aspiration, phénomène dont bénéficie évidemment Häkkinen – plus encore car il suit deux voitures. Au moment où Schumacher se décale vers la gauche pour dépasser Zonta, Häkkinen fait alors le choix audacieux de plonger à droite, dans le plus petit espace disponible.

 

« [Zonta] roulait au milieu de la piste, et je me suis dit : ‘C’est ma chance’. [Mais] il y avait deux problèmes. Le premier était lié au fait de rattraper Michael. Si je rattrape Michael avant qu’il ne dépasse Zonta, il saura où je vais aller, il refermera la porte et je devrai lever le pied. Le timing était donc très important. Ainsi, lorsque Michael décidera de dépasser Zonta, je pourrai simplement choisir l’autre côté de la piste. »

Mais encore faut-il terminer cette manœuvre : les Combes démarrant par un virage à droite, Häkkinen n’est pas idéalement placé quand il dépasse Zonta. Il va alors rapidement et autoritairement revenir vers la gauche de la piste, à la fois pour s’ouvrir l’angle d’entrée dans le virage mais également pour empêcher Schumacher de défendre.

« Puis vient le deuxième problème… quand j’ai dépassé Zonta par l’intérieur, le circuit tourne vers la droite, c’est pourquoi Michael a choisi de dépasser par la gauche, et non par la droite. C’est la raison pour laquelle vous pouvez voir une manœuvre assez agressive de ma part, [où je reviens] près de lui, afin que je puisse tenter ma chance, puis je me suis dirigé vers le point de freinage, et ça a marché, je l’ai dépassé ! »

Ce faisant, il confirme le dépassement avant de s’envoler vers la victoire et d’augmenter son avance au championnat. Mais au final, sur le plan sportif, cet épisode ne suffira pas à empêcher le sacre de Schumacher en fin de saison, lors du GP du Japon, Häkkinen ayant été trahi par sa mécanique aux États-Unis.

« C’était trop » de la part de Schumacher
Mika Hakkinen et Michael Schumacher en discussion après la course.

Mika Hakkinen et Michael Schumacher en discussion après la course.

Photo de: Steven Tee / Motorsport Images

La manœuvre aura beau lui valoir la victoire – qui était alors la 18e de sa carrière – et rester dans les mémoires pendant longtemps, d’aucun n’hésitant pas à en faire l’un des plus grand dépassements de l’histoire du championnat du monde, Häkkinen n’en sortira pas pleinement satisfait. Pour lui, même 25 ans après, Schumacher avait ce jour-là dépassé la limite du raisonnable dans sa défense. 

« C’était son tempérament en matière de pilotage », explique-t-il. « C’était trop. Dans les virages à faible vitesse, on peut jouer, on peut ralentir pour que la voiture ne puisse pas accélérer correctement, et on peut utiliser toutes sortes de petites astuces apprises au fil des ans. Mais quand on roule à 310 km/h, on ne pousse pas quelqu’un hors de la piste. »

« J’ai longuement discuté avec lui et je lui ai vraiment expliqué qu’il ne pouvait pas faire ça, que c’était dangereux, que je pouvais me blesser et qu’il pouvait se blesser. Il m’a regardé avec beaucoup d’assurance. Il m’a dit : ‘C’est la course. Ce n’est que de la course.’ Je ne vois pas les choses ainsi. Ce n’est pas correct. Cela ne signifie pas qu’il faille être un gentleman sur la piste, mais il faut avoir un certain respect. J’admire néanmoins son engagement dans le sport automobile et ce qu’il a accompli. »

Clin d’œil facétieux, une dizaine de jours plus tard, lors de la conférence de presse d’avant-GP d’Italie, trois hommes seront placés au premier rang : Häkkinen à gauche, Schumacher à droite et… Zonta au centre, reprenant leurs positions respectives lors de la manœuvre de Spa vue de face. À cette occasion, le pilote BAR sera interrogé sur la situation, dont il fut spectateur mais aussi acteur, bien malgré lui.

La conférence de presse du GP d'Italie 2000, une dizaine de jours après la course de Spa, avec Mika Häkkinen, Ricardo Zonta et Michael Schumacher.

La conférence de presse du GP d’Italie 2000, une dizaine de jours après la course de Spa, avec Mika Häkkinen, Ricardo Zonta et Michael Schumacher.

Photo de: Sutton Images via Getty Images

« J’ai vu une Ferrari arriver derrière moi, alors j’ai juste ralenti un peu et lui ai laissé de la place pour passer », a-t-il expliqué à l’époque. « Quand j’ai vu une autre voiture arriver par la droite, j’ai pensé que c’était une manœuvre dangereuse, mais elle a très bien fonctionné. »

« Je n’avais vu que Michael jusqu’au moment où je me suis retrouvé au milieu de la ligne droite. Je ne me suis pas complètement décalé vers la droite parce que la piste était encore un peu humide à cet endroit. Mais un instant plus tard, j’ai senti quelque chose passer à côté de moi, et c’était Mika. […] J’ai pris la radio et [mon équipe] m’a dit que les deux autres gars étaient fous ! »

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