Lorsqu’il rachète la filiale suisse de Sberbank en septembre 2022, Abdallah Chatila espère offrir un nouvel élan à son groupe m3. «Une belle opportunité», dit-il à l’époque. Mais ce pari audacieux, dans un secteur qu’il découvre, s’avère rapidement risqué et continue de peser sur le fonctionnement du groupe, comme l’ont appris Heidi.news et la Tribune de Genève dans une enquête commune.

Venu du monde du diamant, «où la confiance et une poignée de main suffisent», l’entrepreneur genevois se retrouve pris dans une mécanique implacable. Après le rachat, plusieurs banques de la place coupent ses lignes de crédit ou ferment ses comptes, jugeant m3 à risque, selon lui en raison des sanctions adoptées contre la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine en février 2022.

Très vite, le pari ressemble à un piège.

Aujourd’hui, Abdallah Chatila admet avoir été «trop émotionnel» au moment de l’achat: une situation qui l’a poussé à «accepter les multiples propositions qui [lui] étaient faites.»

Une commission de 36 millions

C’est dans ce contexte qu’il a conclu un accord avec l’homme d’affaires américain Stephen Lynch, spécialiste des actifs en difficulté et ayant longtemps travaillé en Russie – il envisage actuellement le rachat du gazoduc Nord Stream 2 qui relie la Russie et l’Allemagne, endommagé par des explosions en mer Baltique en septembre 2022. Celui-ci accepte de l’accompagner dans l’acquisition de la banque, moyennant une commission de 36 millions de dollars et l’engagement d’un rachat par m3 de ses 10 % de parts au capital de l’établissement, pour 54 millions.

Le rachat de la banque en 2022 s’est par ailleurs révélé plus compliqué que prévu pour le groupe m3, obligé de lever des capitaux à un taux d’intérêt de 15%, et mettant parfois en garantie des actifs immobiliers de m3.

Les 36 millions de commission à Stephen Lynch lui ont bien été versés, en retard, ce qui a déjà mis le groupe m3 au bord de la faillite en novembre 2022. Les actions, en revanche, n’ont pas été rachetées et trois ans plus tard, Abdallah Chatila est toujours à la merci de l’investisseur américain.

Une sentence arbitrale à 70 millions

La dernière secousse en date a pris la forme d’une sentence arbitrale rendue le 23 juillet 2025 à Genève. Le tribunal privé a donné raison à Stephen Lynch, qui avait obtenu une licence exclusive du trésor américain pour finaliser le rachat de la filiale suisse de la banque russe, en dépit des sanctions contre la Russie. Les juges ont reconnu la validité des accords conclus en novembre 2022, rejetant l’argument de la contrainte avancé par la défense. À l’obligation reconnue par les arbitres du rachat des actions (les 54 millions de francs) s’ajoutent 15% d’intérêts annuels depuis 2022. Soit un montant total qui frôle désormais les 70 millions.