Apple ne perd jamais une occasion de rappeler que son écosystème est une forteresse dont elle seule peut garder le trousseau de clés. Après l’Union européenne et son Digital Markets Act, c’est désormais le Royaume-Uni qui s’attire les foudres de Cupertino.

Si Londres osait un jour adopter une législation qui pourrait s’approcher de celle de Bruxelles, Apple déciderait de ne pas proposer certaines fonctionnalités des iPhone britanniques dès l’entrée en vigueur de cette dernière. Une manière de rappeler qu’à chaque nouvelle règle qui pourrait lui être opposée, l’entreprise a toujours un cadenas flambant neuf à poser sur les grilles d’iOS.

Apple brandit l’arme du manque

Depuis juillet, l’autorité britannique de la concurrence (CMA) planche sur une réforme qui toucherait directement deux géants : Apple et Google. Un texte qui se concentrera sur trois aspects. Premièrement, l’interdiction des pratiques dites d’« anti-steering » (l’interdiction pour les développeurs de renvoyer leurs utilisateurs vers d’autres systèmes de paiement que ceux intégrés à l’App Store). Nous vous en parlions dans la deuxième partie de cet article au mois de juin. Dans un second temps, ouvrir l’accès aux portefeuilles numériques afin que des services tiers puissent concurrencer Apple Pay. Enfin, forcer un meilleur partage des données avec les accessoires connectés, notamment les montres intelligentes qui ne viennent pas des usines de Cupertino.

Cela vous dit quelque chose ? C’est parfaitement normal, ce sont des mesures qui rappellent fortement les procès antitrust américains et notre réglementation européenne. Exactement tout ce qu’Apple essaye désespérément de fuir comme un enfant pris la main dans le pot de confiture réglementaire.

La réponse d’Apple n’a pas tardé à se montrer. Dans un communiqué relayé par la BBC, la firme affirme que ces futures lois « sont mauvaises pour les utilisateurs et mauvaises pour les développeurs ». Pour appuyer son argument, elle cite ce qui s’est déjà passé en Europe depuis l’entrée en vigueur du DMA : certaines fonctions annoncées au niveau mondial n’ont tout simplement pas été livrées aux clients européens.

Ce fut effectivement le cas pour plusieurs fonctionnalités. Nous pouvons citer iPhone Mirroring (qui permet de contrôler son iPhone depuis un Mac), de Mac Live Activities (l’affichage d’informations en direct dans la barre de menus) ou encore d’Apple Intelligence, presque livrée en kit sur le vieux Continent.

Le message est donc on ne peut plus limpide : « Ne daignez pas imiter Bruxelles, ou vos citoyens recevront des miettes livrées à dos de tortues ! » Apple insiste en alléguant que l’approche de la CMA « sape la protection de la vie privée et de la sécurité à laquelle nos utilisateurs s’attendent, freine notre capacité à innover et nous force à offrir gratuitement notre technologie à des concurrents étrangers ». La grande trilogie sacrée de l’entreprise finalement : vie privée, sécurité et innovation, brandie comme un crucifix face à toute tentative de régulation.

La CMA préfère temporiser

La CMA, de son côté, cherche tout d’abord à calmer le jeu et ne pas souffler sur les braises. Ses projets de réglementation n’entreront pas en vigueur avant octobre 2025, et une phase de concertation est prévue avec les entreprises concernées. Dans un communiqué, l’autorité tente de désamorcer les critiques : « Ces règles sont conçues pour aider les entreprises britanniques, y compris notre économie florissante d’applications, à innover et à se développer, tout en veillant à ce que les consommateurs du Royaume-Uni ne passent pas à côté des innovations introduites ailleurs ».

Une posture protectionniste visant à la fois à donner un peu d’air aux développeurs nationaux et à garantir que les usagers britanniques ne soient pas largués sur le bord de la route. La CMA balaie aussi l’argument massue d’Apple sur la sécurité : « Encourager davantage de concurrence sur les plateformes mobiles n’a pas besoin de nuire à la vie privée, à la sécurité ou à la propriété intellectuelle, et au fur et à mesure que nous examinerons les mesures spécifiques au Royaume-Uni, nous veillerons à ce que cela ne soit pas le cas ». Une manière d’exprimer que la libre concurrence n’est pas incompatible avec la protection des données.

Apple retrouve ainsi l’une de ses parades préférées, qui consiste à contrer chaque tentative de régulation en promulguant une menace de punition pour l’utilisateur. Plutôt que d’accepter la remise en cause de son pouvoir et de sa mainmise, l’entreprise préfère priver ses clients de fonctionnalités, comme pour les enjoindre à réclamer eux-mêmes le statu quo. Un bras de fer où la firme réussit l’exploit de transformer la victime (le consommateur privé de services) en allié docile contre le législateur.

  • Apple avertit le Royaume-Uni qu’il pourrait perdre certaines fonctions iPhone si de nouvelles règles de concurrence sont adoptées.
  • La firme met en avant des retards déjà imposés en Europe pour justifier cette stratégie.
  • Cette approche est perçue comme une façon d’utiliser les utilisateurs comme levier contre les régulateurs.