Publié le
29 août 2025 à 6h04
Talons qui claquent sur le macadam, paillettes sur le bitume de Paris et perruques excentriques. Dans les rues du 9e arrondissement, les looks les plus fous se pressent en direction de L’Olympia. Ce soir, le plus ancien music-hall de la capitale va voir s’affronter les finalistes de la compétition Drag Race France All Stars. Pour l’occasion, une pluie de stars s’est réunie : l’architecte de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris Thomas Jolly, le chanteur Bilal Hassani, la drag parisienne Minima Gesté, la DJ Barbara Butch et la youtubeuse Natoo ont notamment fait le déplacement. Devant les emblématiques lettres rouges, les chanceux tirés au sort pour assister à l’enregistrement se prennent en photo quand les candidates des anciennes saisons s’embrassent et se prêtent au jeu des selfies. Il est 18 heures. Les cols blancs sortent de leurs bureaux et les touristes ralentissent le pas face à la débauche de couleurs qui s’étale sur le boulevard des Capucines. Carla, 7 ans, s’extasie et commente avec sa maman les maquillages de ces princesses d’un autre genre. Ce soir, Piche, Misty Phoenix, Elips et Mami Watta vont se battre pour la couronne. On vous raconte cette soirée pleine de rires, de larmes et de drames.
Deux couronnements pour un secret bien gardé
« Je suis très excité même si je sais que cette soirée va être frustrante à deux titres », glisse Thomas Jolly à actu Paris. Pour la troisième fois de son histoire, l’émission Drag Race France va tourner dans les conditions du direct et en public, sa finale. Puisque l’épisode ne sera diffusé qu’une semaine plus tard, deux règles d’or s’appliquent à l’auditoire : les portables sont interdits et nulle information ne doit fuiter sur les réseaux sociaux.
Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies des JO de Paris 2024, a été l’un des invités de cette saison All Stars. (©MAM / actu Paris)
Pour se prémunir de toute divulgation, deux couronnements sont filmés. Ce n’est que le soir de la diffusion de l’épisode que le public saura qui succédera à Le Filip, reine adoubée lors de la saison précédente. « Mais le spectacle promet d’être fantastique », relève celui qui a fait rêver le monde entier. Acteur et metteur en scène, il a fait briller Nicky Doll, Piche et Paloma sur la passerelle Debilly (7e arrondissement) l’été dernier pour un tableau qui a marqué les esprits. Un an plus tard, il était invité sur le plateau de Drag Race aux côtés du jury.
« Je suis trop fière de mes sœurs »
Avant que la sonnerie retentisse pour inviter le public à prendre place, Kitty Space, candidate de la saison 2, raconte son aventure à l’internationale. À l’instar de La Grande Dame, de La Kahena et de Soa de Muse – toutes issues de la première saison, la « première asiatique de la race (course en anglais, NDLR) » s’est exportée et a participé à la franchise philippine de la compétition.
Kitty Space, drag queen originaire de Lyon et participante à la saison 2 de l’émission phare de France Télévisions. (©MAM / actu Paris)
« Je suis trop fière de mes sœurs », lâche-t-elle entre deux volutes de fumée. Si elle a du mal à se prononcer sur ses favorites, elle imagine déjà une finale qui opposerait Mami Watta à Elips. Il est 19 heures, les retardataires accélèrent le pas et la longue file d’attente fond en quelques minutes.
Dans la salle de spectacle, en attendant l’arrivée des queen, le rituel est toujours le même. Assis à l’arrière, les spectateurs tendent le cou et tentent d’apercevoir les reines des saisons précédentes. Les tenus sont sublimes et rivalisent d’extravagance. Sur scène, le dj Julien de Bomerani enchaîne les tubes pour mettre dans l’ambiance un public déjà survolté.
Votre région, votre actu !
Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.
Enfoncés dans les fauteuils rouges, Mathis et Camille jouent à « Qui est-ce ». Les deux amis venus de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) sont fans de l’émission qu’ils ont découverte sur Netflix. « J’aime le côté mode des tenues, les performances artistiques, l’humour intrinsèque au programme, les maquillages incroyables des candidates, les messages véhiculés et surtout la bienveillance qui s’en dégage », déroule le trentenaire.
« Ce n’est pas possible »
Scandalisés par le départ de Punani au quatrième épisode, tous deux parient également sur une finale Mami Watta – Elips. Avec (beaucoup) de retard, le spectacle commence. La soirée débute avec un best of de l’épisode diffusé cette semaine, l’avant-dernier de la saison.
Un peu comme une finale de coupe du monde, le public exulte à chaque bon mot de sa candidate préférée. Traversés par les mêmes émotions, les quelque 1 900 spectateurs présents rient aux éclats et s’émeuvent ensemble. À la fin de l’épisode, lorsque Mami Watta désigne Moon et l’élimine, c’est comme si un joueur avait marqué contre son camp. Les rangs frémissent. Tous ont la main sur la bouche. « Ce n’est pas possible », chuchote Mathis estomaqué. Camille écarquille les yeux, n’en revient pas.
D’un coup, les spots roses se rallument et tout le monde reprend son souffle. La musique résonne de nouveau et la reine mère Nicky Doll fait enfin son apparition. « Faites du bruit ! On prendra des Strepsils demain », entame la présentatrice. Le ton est donné. Avec brio, elle anime la soirée sans une seule fausse note. Elle parvient à créer un rapport de connivence avec le public tout en maîtrisant les aléas du tournage.
« Je t’aime et je te soutiens »
Sur scène les queen se succèdent et les prises de parole aussi. Coiffée d’une tiare étincelante en hommage à Joséphine Baker, Soa de Muse est revenue sur son parcours et son retour à la compétition après deux saisons (saison 1 en France et Global All Stars aux États-Unis) : « On dit oui, on y retourne parce que ça nous permet de faire passer des messages comme ‘Free Palestine, Free Congo, Free Soudan’», égrène-t-elle, ovationnée par la foule.
Porte-drapeaux historiques des luttes LGBT, la pratique du drag trouve son origine dans le militantisme. Ce qui vaut parfois aux artistes d’être harcelés et menacés de mort par ceux qui remettent en cause leurs existences. Sur les réseaux sociaux, les attaques envers les queen de la saison All Stars ont pullulé. Quand les parents des finalistes sont invités à prendre le micro pour un mot d’encouragement, l’émotion est à son comble dans la salle.
« Je t’aime et je te soutiens », « je suis fière de toi », « je n’aimerais pas avoir quelqu’un d’autre que toi comme enfant », entend-on. La scène est cathartique pour l’auditoire. Quelques minutes plus tôt, un magnéto résumait les parcours traumatiques des anciennes candidates. « Quand j’ai dit à mes parents que j’étais gay, ma mère m’a dit ‘tu vas venir à la maison, je vais te soigner’», témoigne Ginger Bitch (saison 2). Sur le grand écran, La Grande Dame, La Big Bertha, Moon et Lula Strega racontent les agressions dont elles ont été victimes.
Le fléau du harcèlement sur les réseaux sociaux
Au cours de cette saison, le harcèlement sur les réseaux sociaux est aussi venu des fans de l’émission. Après le snatch game, La Big Bertha est allée jusqu’à faire un communiqué alors qu’elle était accusée de grossophobie et les tenues de Piche ont réveillé les plus bas instincts des twittos. Évincée à l’issue d’un lipsync contre Elips, la rappeuse a tenu à mettre les choses au clair : « Je veux faire rêver les gens et même si je ne suis pas dans les codes, je fais le drag que j’aime et j’en suis fière », ajoutant que même si elle semblait avoir le cuir solide, les menaces qui pèsent sur elle la bouleversent.
« On sait aussi être heureux. On peut avoir une vie pleine d’amour et de joie et à ceux qui sont contre nous, qui pensent qu’on ne devrait pas être là, je ne leur dis qu’une chose ‘coucou’», sourit Nicky Doll, bouclant ainsi la séquence sur une note d’espoir.
Plus d’un millier de personnes ont pu assister au couronnement de la gagnante de Drag Race France All Stars. (©MAM / actu Paris)
Sur scène la compétition reprend. Après avoir assisté à un duel entre un clown couture (Elips) et une joueuse de tennis sexy (Piche) sur Born to be alive, le public frôle l’hystérie lorsque les premières notes de Kongolese sous BBL de Theodora se font entendre.
« Ça va être serré »
Sous les projecteurs, Misty Phoenix et Mami Watta se déhanchent et se dénudent en rythme. Mami Watta sort victorieuse du duel. « Ça va être serré », réagit Mathis à l’annonce des deux finalistes.
La clameur de la foule remplace le hit de la lauréate de la Flamme 2025 de la révélation féminine. « Mami, Elips, Mami, Elips, Mami, Elips ! » Silence. Action. Sur un grand écran, Lady Gaga apparaît. « Bon courage et ne merdez pas », lance la star. Abracadabra, le morceau qui a signé en 2025 le retour de l’icône américaine, retentit et les deux artistes brillent, dansent, jouent la comédie pour cette dernière épreuve. Toutes deux mettent ainsi un point final à la compétition.
Mami est la première à être couronnée. Elle défile, victorieuse et fière sur le runway. Couronne sur la tête, sceptre à la main et 30 000 euros à la clé, elle semble être un instant la reine du monde. Puis vient le tour d’Elipse. La Bordelaise parvient à feindre la victoire et l’émotion. Le port de tête altier, elle défile à son tour sous les yeux des candidates de sa saison. Enfin, Nicky reprend la couronne et salue une dernière fois le public après avoir glissé une menace à peine voilée : « On a des drones dans la salle. Si je vois la moindre photo, la moindre vidéo sur les réseaux, je sais où habite votre mère. »
Fin de tournage. Mathis et Camille sortent vite de la salle pour attraper le dernier métro. Il est 23h50 et la France vient de sacrer sa nouvelle reine, Mami Watta.
Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.