Alors que les oppositions de gauche comme d’extrême droite ont annoncé qu’elles voteraient contre lui, le Premier ministre compte marteler jusqu’au bout son message sur l’urgence de désendetter le pays avec un budget de rigueur, dans l’espoir de renverser la situation. Ou, du moins, de soigner sa sortie.

Il a déclenché lui-même le compte à rebours. François Bayrou n’a plus que dix jours, vendredi 29 août, pour tenter de démentir les pronostics sur le vote de confiance qu’il a convoqué à l’Assemblée nationale, lundi 8 septembre. Pour l’heure, les députés du Parti socialiste (PS) et du Rassemblement national (RN), dont il espérait l’abstention, ont annoncé qu’ils voteraient contre le Premier ministre, tout comme les trois autres partis de gauche et les alliés ciottistes de Marine Le Pen, privant le Béarnais d’une majorité et précipitant son départ de Matignon. « Aujourd’hui, a priori, on ne peut pas obtenir la confiance », a-t-il reconnu, lors de son interview au journal de 20 heures de TF1, mercredi. Malgré ce pronostic implacable, le chef du gouvernement martèle qu’il espère inverser la tendance. 

« Il reste douze jours et douze jours, c’est très, très long pour parler », a-t-il déclaré, semblant considérer qu’il peut encore convaincre des députés PS et RN de changer d’avis dans ce laps de temps. Mardi, lors du petit déjeuner rassemblant les chefs de parti du socle commun à Matignon, le Palois avait déjà demandé à ses troupes de rester combatives et partagé son espoir que les choses « bougent » d’ici au scrutin crucial. « Pourquoi pas ? » commente à franceinfo Erwan Balanant, député MoDem du Finistère. « J’ai été étonné de la précipitation avec laquelle le PS a dit ce qu’il allait faire. Donc je me dis qu’il y a une possibilité de rattrapage pour quelques-uns des députés, mais ça va être compliqué », poursuit-il. 

Lors de son intervention télévisée mercredi soir, François Bayrou n’a pas abattu de nouvelles cartes. Le centriste a simplement répété qu’il était « prêt à ouvrir toutes les négociations nécessaires avec les oppositions, à la condition préalable qu’on s’entende sur l’importance de l’effort ». Pas de quoi convaincre les socialistes. « Rien de ce qu’il n’a dit mercredi n’est de nature à nous pousser à commencer à réfléchir à éventuellement modifier notre position », réagit Dieynaba Diop, députée des Yvelines. Le chef du gouvernement a aussi commis une maladresse en déclarant ne pas avoir reçu les chefs de parti en août « parce qu’ils étaient en vacances », ce qui n’a pas manqué de braquer les oppositions. La patronne des députés RN, Marine Le Pen, a aussitôt dénoncé sur X un « mensonge ». « Plus François Bayrou parle, et plus il radicalise les groupes d’opposition dans le fait de voter contre le vote de confiance », a cinglé de son côté l’insoumis Eric Coquerel, au micro de franceinfo mercredi.

L’affaire semble mal engagée, mais pour tenter d’infléchir la ligne des oppositions, François Bayrou est revenu à sa méthode : la concertation. Lundi 1er septembre à Matignon, il a convoqué une réunion des chefs de parti et des patrons de groupes parlementaires. Si le RN a répondu présent, il a déjà prévenu que sa participation serait sans conséquence sur le vote du 8 septembre. « Too late, trop tard. Monsieur le Premier ministre, vous avez laissé beaucoup d’occasions de construire un budget au bénéfice des Français, a tranché Sébastien Chenu, vice-président du RN, sur TF1 jeudi. La page est tournée, le dialogue, c’était avant », poursuit-il. 

Du côté de la gauche, LFI a décliné l’invitation. « Nous n’avons donc nullement l’intention de participer à l’opération de sauvetage que le Premier ministre tente désormais d’initier », explique Manuel Bompard, coordinateur du mouvement de Jean-Luc Mélénchon. Les Ecologistes ont eux aussi refusé de « rencontrer une énième fois François Bayrou », expliquent-ils dans un communiqué publié jeudi soir. « Comme d’habitude, il a mis la charrue avant les bœufs. Il a fait cette proposition dans les médias avant de nous en parler », regrette une élue écologiste. 

Quant au PS, s’il se rend lundi à Matignon, ce sera pour présenter au Béarnais ses contre-propositions budgétaires, qu’il dévoilera samedi dans le cadre de son université d’été à Blois. Si jamais François Bayrou s’engageait à reprendre une ou plusieurs de leurs mesures, les députés socialistes pourraient-ils revoir leur position ? « Ce n’est pas parce qu’il va lâcher sur un ou deux jours fériés que ça va changer la situation, commente Dieynaba Diop, élue des Yvelines. Nous sommes face à deux doctrines opposées pour réduire la dette publique. »

En parallèle de ces négociations politiques, François Bayrou travaille l’opinion publique. Depuis lundi, il multiplie les interventions : mardi aux universités d’été du syndicat réformiste CFDT, mercredi sur le plateau de TF1, jeudi au rassemblement du Medef et vendredi à la foire de Châlons. Devant l’organisation patronale, jeudi, il a de nouveau dramatisé la situation du pays et plaidé pour une « prise de conscience » des Français sur le « danger » de la dette. En marge de son discours, il a fait part de son espoir. « Je suis persuadé que cette question commence à travailler dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes », a-t-il déclaré, ajoutant : « Et je suis certain que tout peut bouger dans les onze jours qui viennent, à condition qu’on s’engage, à condition qu’on n’ait peur de rien. »

L’objectif est de gagner la bataille de l’opinion afin de mettre en porte-à-faux les oppositions avec les Français. « Je ne vois pas les partis rester indifférents aux positions de leurs électeurs, espère auprès de franceinfo un responsable macroniste, qui aimerait voir d’autres relais d’opinion se saisir du sujet de la dette. Il faut des voix dans la société civile qui s’élèvent pour dire ‘attention’. Mais ce n’est pas aux politiques de faire cela. On n’est plus audibles », poursuit-il. « Je ne suis pas sûr qu’on arrive à retourner l’opinion publique en dramatisant la situation. Ce n’est pas cela qui va faire bouger le PS », estime, plus pessimiste, un autre membre de la majorité.  

« François Bayrou a 5% de chances de s’en sortir », pronostique au service politique de France Télévisions un proche d’Emmanuel Macron. Le Béarnais se réfugie-t-il dans la méthode Coué, seul ou presque à penser qu’il peut sauver son gouvernement le 8 septembre, ou bien soigne-t-il son image ? « Il veut partir la tête haute, montrer qu’il est en pleine possession de la fonction, il va jouer son rôle jusqu’au bout », analyse le politologue Olivier Rouquan. « A la fois parce qu’il y croit : la lutte contre l’endettement est l’une de ses convictions fortes depuis des années, mais aussi pour prendre l’opinion à témoin et montrer qu’il aura essayé », poursuit le chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa).

Alors que la classe politique tout entière semble déjà acter son départ le 8 septembre, le centriste ne compte pas rester immobile en attendant le jour du vote, ne serait-ce que pour épargner son image. « Il n’y a jamais de fatalité, sauf si on décide à l’avance que c’est perdu, confie Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale. Il faut donc essayer ce registre combatif, mais il n’est pas aveugle sur l’arithmétique. »