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Alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions après quatre ans à la tête des armées françaises, le chef d’état-major livre son point de vue sur le conflit opposant la Russie à l’Ukraine, sur les risques pesant sur l’Europe, et sur l’impératif d’adapter la défense nationale.
Publié le 29 août 2025 à 11h34
Le général Thierry Burkhard © Eliot Blondet / POOL/SIPA
Dans un entretien accordé à Libération et Politico, le général Thierry Burkhard insiste sur le fait que la guerre en Ukraine est une « guerre imposée », où les Ukrainiens doivent se battre pleinement contre la Russie pour éviter leur disparition. Il précise que ce conflit ne ressemble pas aux « guerres choisies » menées auparavant, comme en Irak ou au Mali, où « les autorités politiques et militaires pouvaient garder la main sur la quantité de munitions tirées, la durée du séjour des troupes et le nombre de soldats déployés ». Selon lui, l’engagement des forces occidentales doit à la fois soutenir l’Ukraine et envoyer un message politique : « Il faut montrer que les pays européens, éventuellement appuyés d’une certaine manière par les États-Unis, sont prêts à apporter des garanties », même si cela suppose de prendre des risques.
L’ancien chef d’état-major de l’armée de terre souligne également que le conflit dépasse le seul cadre militaire. Selon lui, « plus que les chars russes, c’est la mise en place d’un ordre alternatif désoccidentalisé qui menace les Européens. Si la Russie peut casser l’Europe sans attaque armée, c’est la voie qu’elle choisira ». Pour garantir la sécurité de l’Europe, il évoque les actions concrètes qui pourraient s’avérer nécessaires : « Cela veut probablement dire se déployer en Ukraine, avoir des avions dans le ciel ukrainien, assurer une reprise du trafic en mer Noire et aider à la reconstruction de l’armée ukrainienne ».
« Une Europe fragilisée peut demain se trouver dans une position d’animal traqué »
Le général Burkhard met en garde contre la vulnérabilité de l’Europe si elle persiste dans le déni face aux nouvelles menaces mondiales : « Une Europe fragilisée peut demain se trouver dans une position d’animal traqué, après deux siècles où l’Occident a donné le la ». Il souligne également les différences de perception entre les pays européens, citant notamment l’Espagne, qui estime que « Moscou ne représente pas une menace immédiate ».
Le successeur du général Lecointre à la tête des armées françaises attire également l’attention sur les menaces hybrides auxquelles l’Europe doit faire face, citant « le recours à la force pour résoudre les conflits, la guerre de l’information et les conséquences du changement climatique ». Selon lui, « une Europe divisée ou insuffisamment préparée pourrait se retrouver incapable de défendre ses intérêts stratégiques et de peser dans les décisions mondiales ».
« Il n’y a pas de pays en Europe qui pèse tout seul »
D’après le général, le conflit en Ukraine contraint les forces armées à s’adapter à de nouvelles formes de guerre : « La question de savoir ‘qu’est-ce qui tue quoi et à quel prix’ est centrale. Si on ne développe que des armes de haute technologie qui tuent mais coûtent en réalité très très cher, on n’y arrivera probablement pas ». Il met l’accent sur la nécessité de diversifier les arsenaux et de suivre la rapidité d’évolution de certains équipements, notamment les drones : « Sur le front ukrainien, la durée de vie des logiciels des drones est d’environ un mois et demi. Il est probablement préférable d’acheter [certains articles] par lots de 10, 15, 20 ou 50 ».
Il insiste enfin sur l’importance de la solidarité entre les pays européens : « Dans le monde de demain, la solidarité stratégique qui doit unir les Européens doit être très, très forte. Il n’y a pas de pays en Europe qui pèse tout seul ». Pour lui, adapter la défense nationale ne relève pas seulement du militaire : c’est aussi une question politique. L’Europe doit s’endurcir pour protéger ses intérêts, soutenir ses alliés et préserver sa crédibilité face aux menaces d’un monde de plus en plus instable.