C’est l’affaire emblématique des drames qui peuvent se nouer dans la médecine d’urgence. Celle qui a bouleversé bien au-delà du monde médical, et provoqué des réactions jusqu’au sommet de l’État. Naomi Musenga est décédée le 29 décembre 2017 à Strasbourg (Bas-Rhin) après un appel au Samu 67 dont la prise en charge s’est avérée catastrophique, avec une opératrice moqueuse qui n’avait pas pris la jeune femme de 22 ans au sérieux – cette dernière se plaignait d’intenses douleurs au ventre, balbutiant qu’elle allait mourir.
Et ce n’est que six ans et demi plus tard, en juillet 2024, que l’opératrice du service d’urgence, seule à être jugée dans cette affaire, a été condamnée à un an de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Expliquant qu’elle était « à bout » dans un contexte de sous-effectif chronique, la prévenue avait toutefois mis en lumière les carences du Samu et la pression qui peut s’exercer sur ses agents, rendant les erreurs de diagnostic plus faciles.
« Ma sœur était devenue un dossier »
Un an plus tard, sa sœur Louange ne garde ni aigreur, ni satisfaction de cette longue lutte judiciaire dont elle et sa famille sont sorties « épuisées ». « C’était un combat », explique la jeune femme de 33 ans, pour qui il s’agissait de rechercher « responsabilité et vérité » mais aussi « la paix ». Même si à ses yeux, « tous les responsables n’ont pas été jugés au tribunal », elle se dit relativement apaisée, dans la mesure du possible, et malgré le décès du père de la famille, survenu en 2022. « J’avais besoin de dormir après le procès », explique Louange Musenga. « Ma sœur était devenue un dossier, pendant des années. Aujourd’hui, je peux penser à elle avec moins de distance. Je peux me remémorer des souvenirs avec elle. » Sa « frustration », toutefois, reste réelle. Elle survient quand elle voit qu’il existe « encore des victimes » d’incidents médicaux impliquant le Samu.
Pourtant, le décès de Naomi, qui avait fait l’objet d’une enquête de la direction générale des affaires sociales, avait provoqué en 2019 la création d’un diplôme d’assistant de régulation médicale. La ministre de la Santé Agnès Buzyn avait également demandé une meilleure harmonisation des pratiques de traitement des appels.
« Sans médiatisation, il n’y aurait pas eu de procès »
L’affaire qui a suivi la mort de la jeune Strasbourgeoise « a ouvert les yeux » des urgentistes, concède le Pr Dominique Savary, du syndicat Samu-Urgences de France, qui évoque aussi la création d’un statut de « superviseur de salle » dans les centres d’appels. « Depuis, on a largement amélioré le niveau de réponse », juge-t-il.
En Alsace, Louange Musenga en reste convaincue : « sans médiatisation, il n’y aurait pas eu de procès » après le décès de Naomi. La jeune femme, désormais, ne prétend pas pouvoir donner des conseils aux familles confrontées à un drame similaire. « Mais je fais un constat, dit-elle. Soit on décide de ne pas se lancer dans une procédure judiciaire, et il faut se dire que ce n’est pas grave. Soit on y va, et alors il faut apprendre à se limiter, pour se protéger. Apprendre à dire stop. »