AboPolitique migratoire allemande –

«Nous sommes en train de perdre notre humanité»

Publié aujourd’hui à 12h17Une foule de personnes rassemblées à l’extérieur lors d’un événement public, entourées d’arbres et de bâtiments.

La ville de Solingen a célébré le 1er anniversaire de l’attentat qui a fait trois morts et sept blessés le 23 août 2024.

Christophe Bourdoiseau

Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.BotTalkEn bref:

  • L’attentat de Solingen en 2024 a profondément marqué cette ville modèle d’intégration.
  • L’accueil des réfugiés a mobilisé massivement la société civile allemande depuis 2015.
  • Le taux d’emploi des réfugiés arrivés en 2015 atteint désormais 75%.
  • Le soutien populaire à l’accueil des réfugiés s’est effondré à 3% aujourd’hui.

Soudain, un grand cri de douleur brise un silence pesant au milieu de la foule. Un homme s’effondre en larmes dans les bras de son voisin. Deux filles se mettent à pleurer à côté de lui. Sur la petite place du «Fronhof», au centre de la ville, le maire de Solingen rend hommage aux victimes de l’attentat au couteau perpétré le 23 août 2024 par un Syrien de 27 ans, un débouté du droit d’asile qui était supposé avoir quitté le territoire.

Bilan: trois morts et sept blessés, le jour du «Festival de la diversité» et du 650e anniversaire de la ville. L’attentat de Solingen, une ville façonnée par l’immigration depuis les années 70, a laissé un profond sentiment d’incompréhension.

La fin de la «culture de l’accueil»

«Encore Solingen! Pourquoi?» s’interroge le maire social-démocrate, Tim Kurzbach, qui fait référence à l’autre attentat de 1993 dans sa ville qui avait bouleversé toute l’Allemagne (cinq femmes turques, dont trois fillettes brûlées dans leur maison par des néonazis). «Il n’y a malheureusement pas de réponse. Notre incompréhension est d’autant plus forte», ajoute-t-il lors de la cérémonie.

Un homme en costume sombre se tient devant un bâtiment moderne avec de grandes fenêtres.

Tim Kurzbach, maire de Solingen

Christophe Bourdoiseau

Dix ans après l’appel d’Angela Merkel à accueillir plus d’un million de réfugiés le 31 août 2015 («Wir schaffen das», nous y arriverons), cet attentat, en pleine campagne électorale, a marqué la fin de la culture de l’accueil («Willkommenskultur») que l’ancienne chancelière n’a jamais regrettée. «Jusqu’à présent, nous avons accompli beaucoup de choses même s’il reste beaucoup de choses à faire», a-t-elle déclaré cette semaine dans une interview à la télévision publique.

Il y aura désormais un «avant» et un «après Solingen». «Cet attentat aurait pu arriver n’importe où en Allemagne. Nous avons eu un sentiment profond d’injustice», explique Dagmar Becker, maire adjointe écologiste chargée de l’Intégration.

Femme aux cheveux bruns portant un blazer noir, debout sur une place pavée avec des arbres et des bâtiments en arrière-plan.

Dagmar Becker, maire adjointe écologiste chargée de l’Intégration

Christophe Bourdoiseau

En effet, nulle part ailleurs, le «vivre ensemble» n’a été écrit aussi grand sur les murs de cette ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Solingen, où la moitié de la population est issue de l’immigration, a obtenu tous les prix imaginables pour récompenser sa politique d’intégration.

3 millions de réfugiés en 10 ans

Après l’appel de Merkel en 2015, les habitants ont accueilli les réfugiés les bras grands ouverts au théâtre transformé en centre de premier accueil. «Les réfugiés arrivaient chaque jour par centaines et on ne savait pas combien allaient venir», se souvient Anne Wehkamp, ancienne chargée de l’Intégration de Solingen.

L’élan de solidarité fut sans précédent, comme partout ailleurs en Allemagne. On faisait la queue pour donner des vêtements. Les gens aidaient les réfugiés à s’orienter dans les gares. On les applaudissait même pour leur manifester la bienvenue. «Certains me disaient qu’ils avaient retrouvé un sens à la vie en aidant les réfugiés», raconte Anne Wehkamp.

«Ce qu’on a appelé la «crise des réfugiés» restera un très beau souvenir», assure Georg Schubert, responsable d’une association de quartier à Solingen, «Gräfrath hilft», une figure de la société civile allemande sans laquelle ce défi lancé par Merkel n’aurait pas été surmonté. «Mais les gens n’ont pas mesuré l’ampleur de la tâche qui les attendait», tempère-t-il. Les crèches, les écoles, les logements, l’apprentissage de l’allemand, les démarches administratives, etc. Il fallait tout mettre en place et trouver des financements.

Aucun pays de l’Union européenne n’a accueilli autant de réfugiés. En dix ans, plus de 3 millions de demandeurs d’asile ont été pris en charge pour un coût de près de 20 milliards d’euros par an. Et cela continue: «En 2024, Solingen a accueilli plus de réfugiés qu’en 2015 à cause de la guerre en Ukraine», rappelle Dagmar Becker. «Nous avons intégré d’un coup 800 nouveaux élèves dans le système scolaire, c’est énorme pour une ville comme la nôtre», raconte-t-elle.

Bon taux d’emploi des réfugiés

Mais l’Allemagne en a aussi profité. «Nous parlons trop des problèmes et pas assez des succès», insiste Micha Thom, responsable du bureau local de l’ONG Internationaler Bund (IB), une organisation qui propose des cours d’allemand aux réfugiés. «Ceux qui sont arrivés en 2015 ont un excellent niveau d’allemand. Ils ont trouvé pour la plupart un travail. Que veut-on de plus?» s’interroge-t-il.

Selon l’Institut de recherche sur le marché du travail (IAB), environ trois quarts des hommes arrivés en 2015 ont un emploi, un niveau à peine inférieur à la moyenne nationale. D’un point de vue économique, le pari de Merkel est donc réussi, estime l’IAB. «Qui aurait occupé les milliers de postes de travail vacants? Personne. De ce point de vue, l’Allemagne est gagnante», estime Micha Thom.

L’hôpital de Solingen, où ont été soignées les victimes de l’attentat de 2024, ne fonctionnerait pas sans le personnel étranger. Sur 1500 employés dans le service, plus de 200 ont été recrutés et formés par l’hôpital (réfugiés et candidats venus de l’étranger). «Sans nos collègues d’origine étrangère, nous n’aurions pas surmonté la pénurie de main-d’œuvre», explique la directrice du service des aides-soignants, Heike Zinn.

Mais chaque attentat a été un coup porté à la politique d’intégration dans les communes. Il y a eu les agressions sexuelles du réveillon de Cologne en 2016 commis pour la plupart par des jeunes originaires d’Afrique du Nord. Puis, l’attentat islamiste du Tunisien Anis Amri sur un marché de Noël à Berlin, en décembre 2016 (13 morts). Plus récemment, les attaques mortelles au couteau dans un train à Brokstedt, à Aschaffenburg ou à Solingen…

Revirement sur la politique d’accueil des réfugiés

En 2015, un tiers des Allemands estimaient que leur pays devait accueillir plus de réfugiés. Ils ne sont plus que 3% aujourd’hui, selon un sondage publié par le magazine «Der Spiegel». «La volonté d’aider les autres en a pris un grand coup», reconnaît Georg Schuber avec amertume.

Friedrich Merz, surnommé «l’anti-Merkel», a choisi de durcir la politique migratoire pour réduire l’influence de l’extrême droite, la première force politique d’opposition au parlement, en passe de diriger une première région en 2026 (Saxe-Anhalt).

Renforcement des contrôles aux frontières, refoulement systématique des illégaux mais aussi des demandeurs d’asile (une mesure que Merkel a critiquée), suspension du regroupement familial, expulsion par charter vers des pays peu sûrs…

«On expulse maintenant des familles entières avec leurs enfants alors qu’elles sont intégrées», regrette Georg Schubert avant d’ajouter: «Nous sommes en train de perdre notre humanité.»

L’attentat de Solingen a participé à l’arrivée de Merz au pouvoir

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