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Rédaction Paris

Publié le

31 août 2025 à 7h48

Dense et cosmopolite, le quartier Château d’Eau, dans le 10e arrondissement de Paris, est réputé pour ses nombreux salons de beauté fréquentés par la diaspora africaine et caribéenne. Les petites échoppes en rang d’oignon se font concurrence à coups de vitrines aguicheuses, remplies de produits cosmétiques colorés et de longues perruques.
Dans ces instituts, des dizaines d’employées s’activent autour de la tête de leurs clientes pour peigner, tresser, ajouter des mèches ou lisser. Un art minutieux qui requiert plusieurs heures de travail.

Baisse du chiffre d’affaires

Pour caser dans son emploi du temps ces rendez-vous chronophages, Mélissa, une habituée du quartier, a pris l’habitude de venir en fin d’après-midi. « Je finis à 17 heures. Le temps d’arriver à Château d’Eau, il doit être 18 heures, 18 h 20… », estime la femme de 26 ans à la sortie d’un salon où elle a opté pour des tresses plaquées et de longues extensions relevées en queue-de-cheval. Étant donné le temps nécessaire à la coiffure, la fermeture à 20 heures « n’est pas très pratique », soupire cette employée dans le secteur de l’aide à domicile.

Depuis décembre 2024, un arrêté de la préfecture de Police, reconduit au moins jusqu’au 30 novembre, impose aux boutiques de Château d’Eau de nouveaux horaires en considérant que les fermetures trop tardives « génèrent de nombreuses nuisances ».

Comme Mélissa, des clients mécontents peuvent être tentés de se tourner vers d’autres salons de la capitale ou d’opter pour des coiffeuses à domicile. « On n’a plus de clients, tout le monde a fui », affirme Salimatou, employée depuis quinze ans à Emmy Joy, lieu de tournage de la comédie La vie de château (Modi Barry et Cédric Ido, 2017). « Il y a énormément de baisse du chiffre d’affaires. On n’arrive même plus à payer nos loyers », se lamente la coiffeuse, affairée à tresser de longues mèches rouges au milieu des élégantes boiseries qui ornent les murs du salon.

L’activité nocturne dans le quartier engendrerait une « occupation abusive du domaine public en raison de regroupement de personnes, parfois alcoolisées », et une « recrudescence d’actes délictueux », selon l’arrêté de la préfecture.

Habitante du boulevard de Strasbourg – l’artère principale du quartier – depuis plus de vingt ans, Delphine Martin se dit exaspérée par « la musique, les cris, les éclats de voix » dans sa rue, et par « les nuisances olfactives qui viennent des produits toxiques » utilisés par les salons de beauté. « Les trottoirs et les parkings deux-roues sont transformés en salle d’attente », râle celle qui préside une association de riverains. « On ne peut pas ouvrir nos fenêtres l’été », poursuit-elle en se montrant très favorable à l’arrêté préfectoral, « grand progrès ».

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« Stratégie d’étouffement »

Christian Sidibé, patron d’un établissement dans le quartier depuis dix ans, refuse d’endosser la responsabilité des nuisances, occasionnées selon lui « par des gens dans la rue » qui n’ont rien à voir avec les salons. L’homme d’affaires, qui anticipe un manque à gagner de « 8 000 à 10 000 euros » en un an, ainsi que 26 autres commerçants du quartier, ont contesté l’arrêté devant la justice, mais ont été déboutés en référé.

Imposer une fermeture à 20 heures est « une stratégie d’étouffement », accuse leur conseil, Me Bernard Solitude, puisque les commerçants « vont payer pour certaines personnes qui commettent des exactions et dont ils ne sont pas responsables ». « Il y a d’autres solutions », avance l’avocat, comme « plus de présence policière, plus régulière, de sorte qu’on sanctionne ces personnes et qu’on laisse tranquilles les commerçants ».

« Il ne s’agit pas de transformer ou de changer l’ADN du quartier », veut rassurer la maire du 10e arrondissement, Alexandra Cordebard. L’élue PS souhaiterait à terme « retrouver un équilibre » par le dialogue, « sans qu’il y ait besoin d’un arrêté préfectoral ».

avec AFP

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