PORTRAIT – Le groupe nord-irlandais, défenseur affiché de la réunification de l’Irlande et de la cause palestinienne, est au cœur de nombreuses polémiques. L’un de ses membres fait l’objet d’une plainte pour « infraction terroriste » et sera jugé le 26 septembre à Londres.
Leur nom était inconnu du grand public au début d’année. Aujourd’hui, il fait la une de tous les journaux et inquiète les plus grandes instances de la République. Dimanche 24 août, le trio Kneecap, dont l’un des membres est accusé d’« infraction terroriste » par le gouvernement britannique, s’est produit devant 15 000 personnes à Rock en Seine. Quelques jours plus tôt, 8000 personnes se sont rendues au Cabaret Vert pour voir le groupe. Début juillet, le même phénomène a gagné les Eurockéennes. La France est devenue, en l’espace d’un instant, l’un de ses terrains de jeu. Si bien que les trois rappeurs prévoient d’y revenir les 8 et 9 septembre pour deux concerts au Trianon, à Paris, et les 10 et 11 novembre à l’Élysée Montmartre.
Kneecap est devenu le symbole d’un militantisme incendiaire et provocant. Ses prises de paroles extrêmement engagées en faveur de la Palestine et de la réunification de l’Irlande lui ont fait gagner de la notoriété. Dès ses débuts en 2017, le groupe baigne dans la polémique. Il naît d’un fait divers survenu la veille de la marche pour la Loi sur la langue irlandaise à Belfast. À cette époque, Mo Chara, nom de scène de Liam Óg Ó hAnnaidh, est arrêté par la police nord-irlandaise après avoir peint le mot « cearta » – « droits » en français – sur un abribus. Son ami Naoise Ó Cairealláin, dit Móglaí Bap, prend la fuite.
Inspirés par la drogue et l’alcool
Lors de l’interrogatoire de police, Mo Chara, jeune dealer de drogue désormais rappeur, refuse de parler anglais. Un interprète gaélique du nom de JJ Ó Dochartaigh est convoqué par les enquêteurs. Le délinquant fascine le traducteur. Sorti du commissariat, ce dernier l’incite à fonder un groupe de hip-hop que rejoindra également son ami Móglaí Bap. C’est ainsi qu’est fondé Kneecap, dont le nom signifie « rotule » en français. Il n’est pas choisi au hasard. Il fait référence à une forme de torture pratiquée à l’époque en Irlande du Nord, où les républicains paramilitaires brisaient les genoux des prisonniers, le plus souvent ceux des dealers de drogue.
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L’interdit se veut la marque de fabrique du trio. La drogue, inévitablement, l’inspire aussi à son lancement. Après avoir sorti comme premier single C.E.A.R.T.A en 2017, clin d’œil à l’arrestation de Mo Chara, les trois rappeurs dévoilent leur premier album 3CAG. Le titre fait volontairement référence à la MDMA, connu sous le nom d’ecstasy. Avec Kneecap, tout sera question de drogue ou de violence. L’une des autres viles obsessions du groupe est l’alcool. « Dans tous les villages d’Irlande, il y a un pub, disait Móglaí Bap en 2024 dans une interview accordée à Soundofviolence . C’est le nœud culturel de chaque bled, c’est là que les choses se passent. » « C’est là où je me sens le plus à la maison », lui répondait Mo Chara. Plusieurs de leurs morceaux, qui mêlent rap, rock, électro et punk, font référence aux breuvages enivrants. Dans le clip de Better Way To Live, sorti en novembre 2023, les rappeurs s’affichent à de multiples reprises avec des pintes de Guinness, la bière la plus populaire outre-Manche.
Kneecap – C.E.A.R.T.A (2017)
Le gaélique irlandais : symbole de leur «résistance»
Outre la violence, la drogue et l’alcool, l’un des principaux sujets du groupe reste leur langue. C’est un marqueur d’identité. Et Kneecap a été fondé en partie grâce à cet attachement commun des trois artistes au gaélique irlandais. Leur musique est interprétée dans cette langue celtique, seulement reconnue comme une langue officielle par l’Union Européenne depuis 2005. Un énorme parti pris, car le rap étant déjà un genre musical clivant, la barrière de la langue pouvait aussi leur fermer des portes. Pour parler à un public plus large, le groupe a donc décidé de mélanger le gaélique à l’anglais. « Il y a 95 % des gens dans le monde qui ne savent même pas qu’une langue irlandaise existe », expliquait auprès de Soundofviolence Mo Chara l’an passé. Et d’ajouter : « L’influence de l’anglais, à la télévision ou ailleurs, est tellement forte que toutes les autres langues s’emmêlent dedans naturellement, et encore plus chez nous. »
Selon eux, la langue est un outil de résistance. À travers ces mots, compris par l’ensemble des républicains irlandais, les rappeurs taclent la police d’Irlande du Nord, le gouvernement britannique, ou pointent du doigt les nombreuses inégalités de classe à travers le pays. Ce sont finalement « les Karl Marx du rap ». La politique et l’histoire « sont partout autour d’eux», proclament-ils dans leurs interviews. Depuis 2017, ils militent pour une Irlande réunifiée et s’opposent, par conséquent, à la domination anglaise. Lors des concerts du groupe, les fans, qu’il considère comme des «féniens» – surnom donné aux nationalistes irlandais les plus virulents -, scandent à de nombreuses reprises « Maggie’s in a box ». Ils font ainsi référence à Margaret Thatcher, ancienne Première ministre britannique, qu’ils imaginent dans son cercueil. Cela ressemble à une magie noire de mauvais goût. Et pour faire bonne mesure, les rappeurs ont emboité le pas à leurs fans en déclarant dans une interview accordée à PoliticsJoe l’an passé, que la Dame de fer n’était à leurs yeux qu’une « sal*pe ». Le groupe ne recule jamais devant la moindre vulgarité.
Détestation des Britanniques
« Ils n’ont pas peur de s’exprimer et je les admire pour ça », nous disait une fan irlandaise du groupe à Rock en Seine le 24 août dernier. « Ils sont la voix du peuple nord-irlandais », constatait un autre admirateur de longue date ayant fait le déplacement depuis la Nouvelle-Zélande. Leur revendication va même jusqu’à leur tenue. DJ Provai arbore une cagoule aux couleurs du drapeau irlandais. Un symbole nationaliste et caractéristique du nom qui leur a été donné, à savoir les « cagoules républicaines ». Ces couvre-chefs sont associés à l’Armée Républicaine irlandaise provisoire chez nos voisins britanniques, qui la considèrent comme une organisation terroriste responsable de la mort de 1 824 personnes entre juillet 1969 et décembre 2001.
On dit le nord de l’Irlande, parce que dire Irlande du Nord, ce serait légitimer un pays illégal avec des frontières illégales
Mo Chara à Soundofviolence en 2024
Les trois rappeurs ont même composé un morceau exprimant leur volonté de « dégager les Britanniques » en 2019. Il s’intitule Get Your Brits Out (« Mettez vos Anglais dehors »). Dans l’un de leurs shows, ils ont aussi appelé à tuer un « tory », un député conservateur britannique. Ils ont présenté depuis leurs excuses à la famille… confirme Le Parisien . « Le problème en Irlande du Nord, c’est que ça s’appelle l’Irlande du Nord, remarquait Mo Chara l’an passé auprès de Soundofviolence. On n’utilise pas ce mot dans notre communauté. On dit le nord de l’Irlande, parce que dire Irlande du Nord, ce serait légitimer un pays illégal avec des frontières illégales qui viennent d’un colonialisme qui a deux cents ans. »
Soutien à la Palestine
Leur ultime combat suscite encore plus de polémiques. Depuis 2020, Kneecap affiche publiquement son soutien à la Palestine et s’oppose avec virulence à Israël et son Premier ministre Benyamin Netanyahou. À Coachella, en avril dernier, ils ont affiché un message sur le grand écran de la scène accusant l’État hébreu de commettre « un génocide du peuple palestinien, […] rendu possible par les États-Unis qui l’arment et le financent malgré ses crimes de guerre ». Plus récemment à Rock en Seine, où le groupe s’est produit malgré l’opposition de la ville de Saint-Cloud, de la région Île-de-France, du Crif, ou encore de Bruno Retailleau, les rappeurs ont accusé le gouvernement français d’être « complice de la vente et du commerce d’armes à l’armée israélienne ». « Le peuple de la bande de Gaza est en état de famine et Israël continue le vol de territoire en Cisjordanie », ont-ils aussi affiché sur scène.
En parallèle, les artistes usent de leur notoriété actuelle pour participer à une collecte de fonds pour financer une salle de sport bénévole dans le camp de réfugiés d’Aida en Palestine. Mais si le nom de Kneecap résonne aujourd’hui un peu partout, c’est aussi à cause d’un événement survenu l’an passé à Londres. À cette époque, des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ont montré Mo Chara brandissant un drapeau du Hezbollah lors d’un concert, avant de crier « allez le Hamas, allez le Hezbollah ». Ces deux organisations sont considérées comme « terroristes » au Royaume-Uni.
Procès en cours pour « infraction terroriste »
Depuis, le rappeur est au cœur d’un procès pour « infraction terroriste ». Il reprendra le 26 septembre au tribunal judiciaire de Westminster. À la sortie de sa deuxième audience le 20 août, le rappeur a été soutenu par des centaines de fans. Ces derniers levaient des pancartes appelant à « Libérer Mo Chara », une phrase prononcée dans chacun des concerts de Kneecap depuis le début de sa poursuite judiciaire. En avril dernier, le groupe a répondu à la polémique, assurant n’avoir « jamais soutenu le Hamas ou le Hezbollah » et « condamner toutes les attaques contre les civils ». Les rappeurs ont fustigé une « campagne de dénigrement » à leur encontre, évoquant des images vidéo « sorties de leur contexte » et une « tentative évidente de détourner des vrais sujets de conversation ». « Les véritables crimes ne résident pas dans nos performances, les véritables crimes sont le silence et la complicité de ceux qui sont au pouvoir », ont-ils ajouté.
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L’affaire a toutefois poussé la Hongrie à interdire l’entrée sur le territoire des trois membres du groupe au motif d’« antisémitisme et d’apologie du terrorisme ». Ils devaient se produire début août au festival Sziget, à Budapest. La Cornouailles, comté du Royaume-Uni, a écarté les rappeurs de son festival Eden Sessions. Et l’Allemagne a, elle aussi, annulé leurs trois concerts prévus en 2025. En raison du procès, Kneecap a récemment annoncé l’annulation de sa tournée aux États-Unis où ils devaient se produire à quinze reprises. Ils iront toutefois en France, aux Pays-Bas et au Canada en cette fin d’année 2025. L’occasion de se faire remarquer à nouveau.
Kneecap – Get Your Brits Out (2019)