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Karine Silla: «Les traumatismes de mes 20 ans ont ressurgi dans ce roman»

Publié aujourd’hui à 13h27Femme posant en blouse blanche élégante, accoudée sur une table avec un fond bleu foncé.

Forte de son expérience en tant que volontaire sur les programmes de réinsertion dans les prisons françaises, Karine Silla explore les destins de femmes contrariés dans «Vingt ans».

Anousch Abrar

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  • La romancière Karine Silla explore les conséquences tragiques d’une passion destructrice entre Jeanne et Tristan.
  • L’auteure s’inspire de son expérience dans les prisons pour dépeindre la vulnérabilité féminine.
  • Son roman dépeint la fragilité des choix à 20 ans et leurs répercussions.
  • L’œuvre est dédiée à Valeria Bruni Tedeschi, complice d’une période tumultueuse.

Fille de bonne famille, Jeanne a 20 ans et mène une vie bien rangée. Jusqu’au jour où elle croise Tristan, un écorché vif dont elle tombe passionnément amoureuse, jusqu’à sombrer avec lui dans la délinquance et le délit. La jeune femme se sacrifiera pour lui, corps et âme.

De ce fait divers fictif, la romancière et réalisatrice franco-sénégalaise Karine Silla a tricoté un roman, «Vingt ans» (Éd. de l’Observatoire). Celui de trajectoires de femmes qui peuvent se briser à la suite d’une mauvaise rencontre, un mauvais choix, un amour dévorant. Des destins contrariés qu’elle a croisés en prison, puisque l’autrice a une longue expérience en tant que volontaire sur les programmes de réinsertion dans les prisons françaises.

Après «Monsieur est mort» ou «L’absente de Noël», des romans remarqués, elle s’appuie dans ce cinquième ouvrage sur le parcours de Jeanne pour faire résonner sa propre histoire d’amour de l’époque. Un acte de féminisme qu’elle dédie à son amie Valeria Bruni Tedeschi, avec qui elle a traversé et partagé les turbulences de la vingtaine. Coup de fil avant sa venue à Morges le week-end prochain au Livre sur les quais.

Karine Silla, votre livre s’ouvre sur un fait divers fictif à l’issue duquel Tristan, à l’origine d’un braquage, perd la vie. Jeanne, son amoureuse, est accusée de triple homicide à 20 ans. Pourquoi ce point de départ?

Ces vingt dernières années, j’ai travaillé sur les programmes de réinsertion dans les prisons, ce qui m’a sensibilisée au climat de violences envers les femmes. Je me suis beaucoup questionnée sur celles qui finissent derrière les barreaux parce qu’elles ont fait une mauvaise rencontre. Pourquoi ont-elles été attirées par des bad boys? Pourquoi l’attirance des petites filles pour le plus fort de la classe? On n’arrête pas de nous répéter que les femmes aussi sont violentes. Dans les faits, elles forment seulement 3% de la population carcérale en France. Alors oui, il y a des femmes qui tuent leur mari, mais je voulais parler de cette autre forme de violence, celle dans laquelle sont entraînées ces femmes.

C’est ce qui arrive au personnage de Jeanne, qui se sacrifie par amour. Par son intermédiaire, rejouez-vous vos 20 ans?

Oui. Dans le roman ont surgi des traumatismes de ma propre jeunesse (ndlr: sa rencontre amoureuse à 24 ans avec le comédien français Thierry Ravel, héroïnomane mort d’une surdose en 1991, à 27 ans), en miroir avec ce que j’ai vécu avec deux femmes que j’ai suivies en prison.

Elles étaient en prison parce qu’elles avaient fait de mauvais choix?

Oui. J’ai rencontré tellement de femmes qui étaient en prison pour complicité. Elles ont fait le choix de protéger des crimes au lieu de les dénoncer, pour des hommes le plus souvent. Jeanne en est un exemple criant, puisqu’elle refuse d’être déresponsabilisée du crime commis par un autre, et pour lequel elle est emprisonnée.

Valeria Bruni Tedeschi et Karine Silla assises côte à côte, souriantes, lors de la 47e cérémonie des César à l’Olympia, Paris.

Karine Silla dédie son roman «Vingt ans» à son amie Valeria Bruni Tedeschi (à g., ici à Paris en 2022), avec qui elle a traversé et partagé les turbulences de la vingtaine.

Getty Images

Cette question du choix qui peut tout faire basculer est d’autant plus cruciale quand on a 20 ans?

Complètement. Combien de fois, à 20 ans, on fait des choses qu’on sait dangereuses, mais qu’on n’estime pas si graves, voire drôles. Comme prendre le volant même si on a trop bu. Ou en amour, parfois, lorsqu’on suit la mauvaise personne. Ce que fait Jeanne. Il y a cette sensation de se sentir invincible, d’avoir l’éternité devant soi. C’est le danger et la beauté d’avoir 20 ans. C’est un âge vraiment fascinant, et pour en parler, il faut se souvenir de l’état dans lequel on était alors.

C’est ce que vous avez fait dans ce livre aussi.

Exactement. Et je pense que de m’en souvenir m’apporte une grande tolérance aujourd’hui. Quand il vous arrive des choses et que vous étiez sûre qu’elles n’allaient pas vous arriver, ça questionne, ça remue. C’était vraiment important pour moi de montrer par les faits que certains choix peuvent avoir des conséquences, en tout cas sur Jeanne. Par effet miroir, la narratrice se pose aussi la question de savoir si elle serait allée aussi loin. Nous ne sommes pas égales dans notre capacité à dire non. J’ai pu le faire à 24 ans, en quittant Thierry et ses démons pour ne pas sombrer.

Couverture du livre ’Vingt ans’ de Karine Silla montrant un couple assis à une table dans un café, avec le texte ’À l’âge où tout est possible, tout peut être détruit’.

Vous dédiez votre livre à Valeria Bruni Tedeschi, avec qui vous partagiez le même amoureux lorsque vous aviez 20 ans. Une forme de sororité?

Je pense que les femmes sont très fortes quand elles sont dans la sororité. Valeria et moi, on a eu la chance de se rencontrer dans le malheur et de traverser notre vie ensemble, d’avoir vraiment partagé des moments très intenses de notre vie (ndlr: les deux femmes sont parties à la recherche de Thierry Ravel lorsqu’il a disparu avant sa mort par surdose). On a vraiment un rapport au monde assez similaire. On est vraiment bouleversées par la douleur des gens. De cette histoire de nos 20 ans, des choix qu’on a faits ou pas, on a appris. Ce n’est qu’en comprenant l’importance de ces moments où il faut dire non que l’on peut l’enseigner à nos filles. D’ailleurs, mes filles, (ndlr: Roxane, la fille qu’elle a eue avec Gérard Depardieu, Iman et Tess, qu’elle a eues avec son mari, Vincent Pérez) dont deux sont dans la vingtaine, sont en train de lire ce roman…

«Vingt ans», Karine Silla, Éd. de l’Observatoire, 320 p. L’autrice sera en dédicace au Livre sur les quais sa 6 septembre (14 h 45 à 19 h) et di 7 (9 h 30 à 15 h). lelivresurlesquais.ch

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Se connecterFabienne Rosset est journaliste depuis 2003, pour le magazine Femina et Le Matin Dimanche. Elle couvre les sujets société, et plus particulièrement les thèmes de la santé et de la psychologie.

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