L’affaire Robert Boulin n’en est plus à un rebondissement près. Quarante-cinq ans après la mort suspecte de l’ancien ministre et maire de Libourne, dont la famille et bien des observateurs sont persuadés qu’il s’agit d’un assassinat maquillé en suicide, un témoin clé vient d’être pris pour cible par plusieurs tirs, dans la nuit de vendredi à samedi, en Bretagne, alors qu’il se trouvait à son domicile, dans une petite commune du Morbihan.
Le parquet de Lorient a ouvert une enquête pour « violences avec usage d’une arme ». « Je pense qu’on veut maintenant me dissuader de parler à la presse », livre Élio D., âgé de 77 ans, dont le témoignage tardif a relancé l’enquête qui s’acheminait vers un non-lieu. Cet ancien « du milieu » a confié le nom de deux possibles commanditaires et la plaque d’immatriculation d’un des probables tueurs de Robert Boulin.
Je pense qu’on veut maintenant me dissuader de parler à la presse »
Le septuagénaire s’est fait canarder vers 1 heure du matin. « Mon chien s’est mis à aboyer pendant une demi-heure, raconte la victime. Je suis descendu et suis sorti en pyjama. Mon chien a pris quelqu’un en chasse dans l’obscurité. J’ai regardé partout et alors que je rentrais, un premier coup de feu a retenti dans mon dos. La balle est passée à 50 centimètres et s’est fichée dans le four à vapeur qui a complètement explosé sur la terrasse. Il y a eu un deuxième coup de feu puis un troisième. » Élio D., qui n’a pas été blessé, dit ne pas connaître d’ennemi ni d’avoir de contentieux avec personne. « J’ai fait tout de suite le rapprochement avec mon témoignage dans l’affaire Boulin », explique-t-il.
On approche de la vérité et il y a des gens encore vivants que cela dérange et qui risquent gros »
Plus de quatre décennies sont passées depuis la découverte du corps du maire de Libourne, dans un étang de la forêt de Rambouillet. Et un vieux témoin semble encore gêner pour être pris pour cible. « C’est tout de même effrayant de voir ces méthodes toujours en cours, relève Fabienne Boulin, la fille de l’ancien ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing. On approche de la vérité et il y a des gens encore vivants que cela dérange et qui risquent gros. »
La protection du témoin en question
Fabienne Boulin-Burgeat, native de Libourne, mène un combat pour que la justice mette au jour le « meurtre politique » de son père. Depuis plus de quarante ans, elle n’en est plus à un effarement près. Elle s’étonne aujourd’hui que Élio D., témoin clé, ne soit pas davantage protégé. « On affecte parfois de nombreux gendarmes pour la sécurisation d’hommes politiques et lui n’a personne […]. Il faut souligner son courage comme tous ceux qui contribuent à ce que la vérité sorte enfin », ajoute-t-elle.
Je suis un vieux Monsieur en fin de vie, on ne m’arrêtera pas »
Interrogé par écrit au sujet d’une possible protection du témoin, le parquet de Lorient ne nous a pas répondu. « Les gendarmes me disent qu’ils ne peuvent pas laisser une voiture en permanence devant chez moi, indique pour sa part la victime. Je n’ai pas peur. J’ai déjà dit ce que j’avais à dire à la justice. » L’homme compte bien continuer dans ses intentions d’éclaircir sur cette bien sombre affaire. « Je suis un vieux Monsieur en fin de vie, on ne m’arrêtera pas, dit-il. Mon avocate va demander un permis de détention d’arme pour que je puisse me défendre. »
En attente d’un nouveau juge d’instruction
L’autre sujet d’inquiétude pour la famille Boulin reste l’attente de la nomination d’un nouveau juge d’instruction dans cet épais dossier alors que la précédente magistrate en charge a été nommée en début d’année à un autre poste, au tribunal de grande instance de Nanterre. « Quelques semaines après mon témoignage, la juge a été mutée. Pour l’instant, je crois qu’il n’y a pas de juge d’instruction sur l’affaire. C’est un scandale », s’offusque d’ailleurs Élio D.
Indignation partagée par Fabienne Boulin, forcément, qui s’est attachée les services d’un nouvel avocat. « On me rétorque qu’un magistrat en binôme est missionné aussi, or il ne connaît rien du dossier, explique-t-elle. Il n’y a qu’un seul juge qui y travaille, tant qu’il le peut. Maintenant, nous attendons la nomination de ce nouveau juge en espérant qu’il ne mettra pas six ou huit mois à faire des choses. »
Certains cherchent à gagner du temps, à nous en faire perdre, pour que la vérité n’éclate jamais »
Pour Fabienne Boulin, le temps presse : « Certains cherchent à gagner du temps, à nous en faire perdre, pour que la vérité n’éclate jamais. »
Le corps de Robert Boulin, alors âgé de 59 ans, avait été retrouvé dans 50 centimètres d’eau. À l’époque, les enquêteurs avaient conclu à un suicide par noyade après ingestion de barbituriques. Ce qu’un rapport d’expertise médico-légale a mis à mal il y a, déjà, près de cinq ans.