Sa désignation sonne comme une petite déflagration au sein d’un vignoble bordelais frappé par la crise. Michel-Eric Jacquin, membre du collectif Viti33, représentant la contestation face à la gouvernance en place depuis des années, vient d’être élu dans un mouchoir de poche aux commandes du puissant syndicat des Bordeaux/Bordeaux Supérieur. Représentant désormais une part considérable des viticulteurs girondins, le vigneron de Croignon (château Lartigue-Cèdres) dit ne pas vouloir « la révolution » mais « une sacrée évolution. » L’une de ses premières ambitions fait pourtant l’effet d’une petite bombe : le président vise de faire passer sous le label d’Indication géographique protégée (IGP) une grande partie des Bordeaux génériques (rouges, blancs et rosés), actuellement en AOC (appellation d’origine contrôlée) et pesant plus d’un million d’hectolitres, sur les quatre produits dans le Bordelais en 2024.
Vous prenez la tête d’un syndicat viticole dans un contexte économique extrêmement difficile. Comment le vivez-vous ?
J’ai malheureusement l’impression de prendre la tête d’un convoi funéraire. Notre état d’esprit, aujourd’hui, est de sauver un maximum d’entreprises. Les appellations que je préside concentrent le plus de souffrances, de disparitions d’exploitations et d’hectares de vignes arrachés. En dix ans, de 2014 à 2024, nous sommes passés de 2 300 adhérents à 1 600. Ces chiffres montrent l’ampleur du rétrécissement du nombre de domaines produisant du Bordeaux.
Comment comptez-vous sauver des exploitations ?
Il faut créer les conditions d’une reconquête des marchés. Aujourd’hui, notre système est basé sur le contrôle et la défiance. Nous produisons des bons vins mais il est essentiel de concevoir des vins qui plaisent, retrouver le chemin des consommateurs.
C’était déjà l’ambition de la précédente gouvernance avec la création du claret notamment…
Le claret n’est qu’un seul produit, il nous faut des dizaines de nouveaux produits. Et ce n’est pas au syndicat de tout baliser. Nos entreprises sont capables de créer des vins adaptés à leurs clients ! Il faut donc leur redonner de la liberté. Voilà pourquoi nous souhaitons faire passer les Bordeaux, d’appellation d’origine contrôlée (AOC) en Indication géographique protégée (IGP). Pour les consommateurs, cela ne changera rien. En revanche, au niveau de la liberté de production, l’IGP permettra de créer de nouvelles choses, de les adapter. L’idée serait de conserver l’AOC pour les Bordeaux supérieur et les crémants, un label qui leur est adapté et de passer les Bordeaux en IGP.
Concrètement, que pourrez-vous décliner comme nouveaux produits avec ce label ?
Il peut nous offrir une bien plus grande liberté dans nos productions, tout particulièrement nous ouvrir un catalogue de plusieurs dizaines de cépages ce qui serait une plus-value considérable.
Comment comptez-vous faire passer cette réforme ?
Cela passera par un premier grand chantier au sein de notre syndicat. Je souhaite revenir sur sa gouvernance en limitant notamment le nombre de mandats du président. Est-ce que ce sera pour quatre ans, cinq ou six ? Je ne sais pas, le conseil d’administration décidera. Je veux également que toutes les entreprises donnent leur voix. La seule façon d’entendre tous les adhérents serait d’organiser des consultations directes sur certaines questions cruciales. Celle sur le passage à l’IGP en fera partie.
Quelles autres orientations souhaitez-vous prendre ?
Face à la déconsommation de nos vins et à une terrible concurrence, il nous faut un marketing qui donne soif. À l’heure actuelle, notre service le plus important au sein du syndicat s’occupe de la technique. Demain, je pense que ce sera la communication. Le CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, NDLR) la gère pour nous aujourd’hui. Par nos cotisations volontaires obligatoires (CVO, NDLR), nous représentons plus de 40 % des revenus du CIVB. Même si je veux absolument préserver cette institution et continuer à travailler avec elle, je souhaite aussi que le syndicat des Bordeaux gère la totalité de sa communication avec les budgets qui lui sont alloués.
Où en est la constitution de votre bureau ?
C’est en cours….
Votre élection s’est jouée à très peu. Est-ce que vous aurez suffisamment de latitude au sein du conseil d’administration pour mener votre politique ?
Une équipe me soutient. On y retrouve le collectif Viti33 dont je fais partie, la Coordination rurale ou la Confédération paysanne et je n’ai pas encore contacté les autres syndicats. Je veux aussi des femmes, des coopérateurs, des indépendants… Il va falloir trouver un équilibre mais je sens beaucoup d’énergies autour de moi et une grosse envie d’évolution.