Par
Morgane Macé
Publié le
2 sept. 2025 à 19h30
« Je ne vais pas me taire, je vais aller au bout » déclare Elio Darmon, témoin dans l’affaire Robert Boulin, ancien ministre du travail dont la mort est survenue en 1979, expliquée à l’époque par un suicide, qui ressurgit depuis deux ans, instruite par le parquet de Versailles. Le témoin à l’origine de la réouverture de ce cold case vit dans le Morbihan et a été victime de coups de feu à son domicile dans la nuit du vendredi 29 août 2025 à Brandérion (Morbihan). Il est certain qu’il s’agit là de la monnaie de sa pièce et loin d’être intimidé, est décidé à faire d’autres révélations prochainement sur les circonstances de la mort du ministre.
Une affaire politique en toile de fond
« Je vais aller jusqu’au bout » assure Elio Darmon, témoin clef ayant fait ressurgir l’affaire politique de la mort de l’ancien ministre du travail Robert Boulin survenue en 1979, expliquée à l’époque par la thèse du suicide, auquel n’a pourtant jamais cru sa fille Fabienne Boulin.
Elio Darmon a révélé avoir entendu parler les exécutants du passage à tabac du ministre ayant viré au drame. Les intéressés auraient en effet évoqué ce jour-là l’exécution ratée d’une commande ordonnée par Charles Pasqua et d’autres membres du RPR à l’époque.
La bévue serait telle que la séquence de violences à l’encontre du ministre se serait soldée par son arrêt cardiaque impromptu et que les hommes de main auraient ensuite jeté son corps dans un étang de la forêt de Rambouillet.
Le témoin Elio Darmon affirme avoir entendu cette conversation au club libertin le Roi René, couru à l’époque des hauts dignitaires de l’État et du monde du showbiz.
Les personnes impliquées évoquaient selon lui lors de cette conversation l’accident en question redoutant la réaction de leur chef Charles Pasqua.
L’explication de ce scénario : Robert Boulin dérangeait les membres du RPR de l’époque, à ce moment là en pleine ascension et promu dans le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing, le clan ennemi de la droite française qui était divisée.
D’où, d’après lui, cette commande qui s’est révélée funeste.
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Agressé à son domicile : les faits
Rencontré à son domicile de Brandérion, le mardi 2 septembre, Elio Darmon raconte la séquence des coups de feu dont il a été victime, quelques mois après son dernier témoignage en janvier 2025 sur cette affaire en cours d’instruction.
Il revient sur les faits, lui qui doit sa vie à son chien de 4 ans qui a flairé la présence de ses agresseurs, l’ayant réveillé aussitôt en aboyant à 1 h 15 du matin dans la nuit du 29 août.
Je dormais profondément, mon chien dormait devant la porte et s’est mis à aboyer de manière inhabituelle sentant une présence. Il m’a réveillé et s’est dressé sur ses pattes sur la moitié de la porte d’entrée vitrée.
Elio Darmon, victime des coups de feu
Elio Darmon victime de la fusillade du vendredi 29 août 2025 à Brandérion (Morbihan) à 1 h 15 du matin. ©Morgane Macé
Elio Darmon est aussitôt sorti et le chien s’est mis à courir plusieurs mètres plus loin sur le chemin situé au milieu d’une zone boisée devant chez lui.
Le chien a mis du temps revenir :
« Dehors il n’y avait pas d’éclairage, je n’ai rien vu et une fois de dos en rentrant chez moi sur mon palier, trois coups de feu ont retenti ».
Four dont la vitre a été détruite le 29 août 2025 lors de l’agression au domicile d’Elio Darmon à Brandérion (Morbihan). ©Morgane Macé
L’un d’eux a terminé sa trajectoire à 50 centimètres d’Elio Darmon, abîmant son four qui était entreposé sur sa terrasse.
Je n’ai pas vu la personne qui a tiré, elle devait être à une dizaine de mètres. Le four a été esquinté et des traces de décharge de fusil sont visibles sur un autre appareil de cuisson et des caisses en plastique qui étaient entreposées sur ma terrasse.
Elio Darmon, victime de l’agression
Rentré précipitamment dans sa maison en entendant retentir les tirs, Elio Darmon a ensuite composé le 17, puis les gendarmes de Lorient sont arrivés 15 minutes plus tard.
Trace marquée par les gendarmes de Lorient (Morbihan) intervenus au domicile d’Elio Darmon lequel a été victime de coups de feu sur le pas de sa porte dans la nuit du vendredi 29 août 2025 à 1 h 15 du matin à Brandérion. ©Morgane Macé
Trois coups de feu ont été tirés au total, les traces de deux d’entre eux ont été retrouvées par les gendarmes et lui, mais pas de troisième trace en revanche.
Trois douilles ont été également récupérées sur le sol puis mises sous scellé par les gendarmes qui ont fait des croix sur le sol, indiquant leur emplacement ce qui peut donner des indications sur l’orientation des tirs.
« Je ne vais pas me laisser trucider »
Sa porte d’entrée est à moitié en verre, des coups de feu peuvent la briser. Elio Darmon a en conséquence fait demander l’autorisation de détenir une arme chez lui pour se protéger :
Je ne vais pas me laisser trucider. Mon avocate Najwa El Haïté a écrit ce matin au procureur de la République pour demander l’autorisation de détention d’arme indiquant que je suis en danger de mort.
Elio Darmon, victime de l’agression
Les gendarmes ont réalisé le test de paraffine pour vérifier qu’il n’avait pas de poudre ou des résidus de poudre sur les mains, « mais je n’ai pas tiré. J’ai déposé plainte le lendemain de la fusillade ».
Croix au sol où a été retrouvée l’une des douilles ayant servi au tir le vendredi 29 août 2025 devant le domicile d’Elio Darmon, un témoin clef dans l’enquête sur le cold case Robert Boulin. ©Morgane Macé
Elio Darmon vit dans une impasse débouchant sur une voie ferrée, où les seuls voisins ayant pu être témoins de la scène sont partis de leur résidence secondaire.
« Il y a forcément eu un repérage fait quand ils sont partis, dans les huit derniers jours ayant précédé la fusillade, car autrement les agresseurs auraient été repérés » déduit-il.
Des personnes impliquées dans « une affaire d’État »
Il est convaincu que son passé explique cette agression et les gendarmes lui ont proposé de retirer sa plainte afin qu’il soit protégé :
Je ne changerai pas mon témoignage d’une virgule, il y a une affaire d’État à l’arrière-plan, cette fusillade n’est pas gratuite, elle est liée à l’affaire Boulin, suivie au plus haut niveau dans laquelle j’ai témoigné il y a deux ans et en janvier dernier.
Elio Darmon, victime des coups de feu
Deux ans auparavant lors de son premier témoignage, la précédente juge en charge du dossier s’apprêtait ainsi qu’il le relate, à prononcer un non-lieu à la demande du procureur de la République de Versailles de l’époque : « elle m’avait dit au téléphone, quand je lui ai tout révélé, »il est minuit moins 5 dans le dossier » » car à quelques minutes près, elle signait ce non-lieu.
Des interrogatoires à Vannes
Une journée d’interrogatoire s’est par la suite déroulée à la caserne de gendarmerie de Vannes pour l’entendre.
« J’avais fait remonter l’information par un ami gendarme de Rennes, et ensuite la cellule DIANE en charge des cold case est venue à Vannes pour m’entendre.
Huit gendarmes m’ont reçu pendant une journée d’interrogatoire avec des croissants et du café. Ils m’ont présenté des photos et j’ai reconnu des personnes impliquées dans cinq autres crimes non élucidés liés à des règlements de compte pour lesquels les personnes mises en cause sont toujours vivantes donc j’évite d’en parler.
Elio Darmon, victime des coups de feu
« Seul mon ami gendarme à Rennes me connaissait et me faisait confiance et les gendarmes ont dû vérifier mes déclarations pour vérifier que je n’étais pas mythomane » raconte-t-il.
Sur les planches avec les photographies qui ont été montrées à Elio Darmon figuraient ceux qu’il avait entendus quelques jours après la mort du ministre dans le fameux club libertin le Roi René, lors d’une conversation :
« Il s’est avéré que ces gens étaient fichés au grand banditisme. Ils sont morts depuis mais il reste autour d’eux des gens vivants du cercle de l’époque qui veulent me faire taire ».
Des révélations à venir
En danger de mort aujourd’hui, Elio Darmon est déterminé à faire d’autres révélations : « je vais tout dire en conférence de presse à la mi-septembre, j’attends d’avoir l’autorisation de détention d’arme ».
Les révélations qu’il compte faire mettent en cause des personnes encore vivantes impliquées dans l’affaire Robert Boulin.
On m’a conseillé de ne pas en parler mais j’ai plutôt intérêt à le faire. Des fusillades il y en a partout en France, pourquoi ne dirais-je rien ? Il y a une censure à l’œuvre.
Elio Darmon, victime des coups de feu
Le témoin clé de cette affaire pourra peut-être permettre de faire état de la vérité sur les circonstances de la mort de l’ancien ministre.
Le collègue d’un parrain
A 78 ans aujourd’hui, avant de se retirer des affaires, « je blanchissais pour des voyous dans des boîtes de nuit et des achats de brasseries. J’achetais des affaires au black » avoue-t-il, il a longtemps officié pour des truands dont un célèbre :
J’ai un passé derrière moi, c’est la raison pour laquelle les gendarmes m’ont trouvé un peu trop calme après la fusillade et j’étais calme en effet. Je ne suis pas impressionnable, j’ai été 20 ans dans le grand banditisme à Paris j’ai travaillé avec Francis Le Belge un parrain, une pointure dans le milieu. Je suis retraité aujourd’hui et n’ai rien à me reprocher, bien sûr j’ai eu des procédures dans ma vie mais je n’ai pas de sang sur les mains.
Elio Darmon, victime des coups de feu
Il est aujourd’hui dans l’attente d’une confrontation avec les personnes qui d’après lui ont tiré dessus le 29 août.
« La juge d’instruction en charge de l’affaire m’avait accordé celle-ci par le passé mais a été nommée ailleurs comme par hasard juste après. Les choses sont restées dans l’attente ensuite, mais depuis le 25 août, un nouveau juge a été nommé à sa place, ma demande va pouvoir être réexaminée » annonce-t-il.
Ainsi, si l’enquête est toujours dans le secret de l’instruction, l’affaire reste à suivre dans l’éventualité où cette demande est obtenue et si Elio Darmon est autorisé à détenir une arme, car il compte médiatiser les noms de ceux qu’il accuse d’avoir participé à la brutalisation de l’homme politique.
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