Le policier qui avait ouvert le feu sur Zyed B., le 7 septembre 2022 à Nice, devra-t-il en répondre devant la justice? Trois ans après le drame, il en prend le chemin. Les juges d’instruction ont ordonné son renvoi devant la cour criminelle départementale des Alpes-Maritimes pour « violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Une décision encore susceptible d’être contrecarrée.

Les deux magistrats instructeurs ont rendu leur ordonnance de mise en accusation le 1er août dernier. Et leur conclusion va à l’encontre de celle du parquet de Nice. En mai 2024, il avait requis un non-lieu pour Michel G., le policier adjoint qui avait ouvert le feu avec son Sig Sauer, considérant qu’il avait agi dans le cadre légal. Tel sera l’enjeu du potentiel procès à venir.

Scène en deux temps

L’affaire avait défrayé la chronique, bien avant la mort de Nahel M., le 27 juin 2023 à Nanterre, qui avait suscité plusieurs nuits d’émeutes dans l’Hexagone. À Nice aussi, un policier avait tué par balle un jeune automobiliste à l’issue d’un refus d’obtempérer, sous les yeux de témoins qui avaient filmé la scène. Mais les circonstances sont bien différentes.

Ce mercredi 7 septembre 2022, à 16h15, un brigadier de police et son adjoint patrouillent sur la voie Mathis (voie rapide) à bord d’une Renault Megane. Ils repèrent un SUV Hyundai Tucson qui slalome dangereusement entre les véhicules. Ils l’enjoignent de s’arrêter à la hauteur du tunnel Grinda. Mais le conducteur, Zyed B., assure avoir oublié ses documents. Il redémarre brusquement, manquant de renverser les policiers. Ceux-ci braquent leurs armes, sans en faire usage.

« Pas d’autre choix »


Laurent Martin de Frémont, secrétaire départemental d’Un1té police 06, avait défendu avec vigueur la réaction de son collègue aussitôt après le drame. Photo archives NM.

La suite s’écrit à la sortie de voie rapide, à la hauteur du 11 avenue Henri-Matisse. Après avoir pris tous les risques, le SUV fait demi-tour et vient percuter la voiture de police à deux reprises. Michel G. se positionne à la hauteur de la portière conducteur, arme tendue à bout de bras. Il lui ordonne de sortir, sans succès. Au moment où Zyed B. redémarre, Michel G. fait feu. La balle transperce le thorax du conducteur.

Les vidéos amateurs de la scène sont aussitôt viralisées sur les réseaux sociaux. Elles montrent que Michel G. ne se trouvait pas sur la trajectoire du SUV au moment de tirer, contredisant sa version. Se sentant pourtant en danger de mort, le jeune policier avait tiré « instinctivement ». Selon lui, il n’avait « pas d’autre choix ».

« Une fraction de seconde »

« Dans ces situations-là, c’est avant tout le ressenti du policier qui doit être pris en considération, insiste son conseil Me Laurent-Franck Liénard, spécialisé dans la défense des forces de l’ordre. Ce policier avait manqué d’être percuté une première fois. Une deuxième fois, il a vu la voiture repartir, même si elle ne le pouvait pas techniquement. Dans une fraction de seconde, il a estimé – à mon avis à bon droit – qu’elle risquait de causer des dégâts. Là, le policier a pris la pire décision de sa vie. C’est terrible, de tirer sur quelqu’un… »

Me Sefen Guez Guez, l’avocat de la famille de Zyed B., a une tout autre lecture du dossier. « Le policier tire à 1,50m de la victime, alors que la cible n’est pas en mouvement. Il tire une seule balle, directement dans la poitrine du jeune Zyed. Il s’était entraîné au tir le jour même. Il savait parfaitement ce qu’il faisait, avec une arme nécessairement létale. » Si bien que, pour la partie civile, l’intention homicide pourrait être retenue. Conduisant ainsi à un procès pour meurtre.

« Une première étape »

Les magistrats instructeurs ont écarté cette version. Pour eux, le policier a « tiré dans le cadre d’une interpellation très particulière, où il a pu légitimement considérer devoir agir rapidement, ayant face à lui un individu ayant démontré sa dangerosité ». Pour autant, à leurs yeux, il ne peut invoquer l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure: il a visé le conducteur, et non le véhicule, lequel ne présentait alors pas un danger direct.

Me Guez Guez salue « une première étape importante, dans ce dossier où le policier a tout fait pour contester sa responsabilité ». Pour Me Liénard, son client a « très mal vécu » la décision des juges. « C’est très, très lourd pour lui, depuis l’instant où il a tiré. Humainement, c’est insupportable! »

L’avocat a interjeté appel de la décision. La décision finale est entre les mains de la chambre d’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

La famille de Zyed veut « être reconnue en tant que victime »

« Pour la famille, c’est une décision satisfaisante, qui replace le dossier au cœur du débat judiciaire », réagit Me Sefen Guez Guez en son nom. L’avocat de la partie civile est satisfait de la décision des juges instructeurs, qui rejoint à son sens les conclusions de l’IGPN – « elle avait considéré, elle aussi, qu’il n’y avait pas à invoquer la légitime défense ».

« Notre objectif, c’est d’aller au procès assez rapidement. Les faits sont plutôt simples », explique le pénaliste niçois. Dans cette affaire clivante où la police a été montrée du doigt, « la famille attend que l’on puisse pleinement reconnaître leur qualité de victime. La France serait grandie. Il n’y aurait pas pire injustice que d’éviter un procès! Et celui-ci doit conduire un débat public autour de la formation des policiers ».

« Un coup de massue » pour les policiers

« C’est un véritable coup de massue pour tout le monde: pour lui, pour nous, pour tous ceux qui bossent avec lui », réagit, dépité, Laurent Martin de Frémont, secrétaire départemental du syndicat Un1té police 06. « Trois ans plus tard, alors qu’on partait sur du non-lieu, le collègue se fait renvoyer devant la justice. C’est d’autant plus incompréhensible que nous le connaissons. Nous savons qui il est, pourquoi il en est arrivé là. »

Le syndicaliste policier fulmine contre une « société des valeurs inversées. Un collègue, en vertu de l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, a utilisé son arme parce que sa vie et son intégrité physique étaient menacées, comme celles d’autrui. Tout ce qu’on retient, c’est qu’un flic a tué un homme! Et ça, c’est dramatique pour les forces de sécurité, qui ont l’impression qu’on fait leur procès. Ceci aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous. »