Chaque année, Paréidolie confie une carte blanche à une institution partenaire. En 2025, ce sont les Musées de Marseille, en collaboration avec Fotokino, qui présentaient Portraits de Marseillais·es tatoué·es. En écho à cette carte blanche, l’artiste Jimmy Richer – que l’on retrouve régulièrement en Occitanie et qui présente actuellement Étranges pulpes à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon – proposait des performances tatouées.
Portraits de Marseillais·es tatoué·es.
Depuis plusieurs mois, quatre illustrateurs et illustratrices – Nine Antico, Simon Roussin, Bonnefrite et Zoé Jollive – accompagnés par l’autrice Annabelle Perrin, ont esquissé les portraits de Marseillais·es tatoué·es. Ensemble, ils ont collecté images, voix et récits, offrant une lecture sensible et plurielle du tatouage à Marseille, en lien avec ses multiples connexions méditerranéennes.
Certains de ces portraits, réalisés au fil du projet, sont accrochés dans l’exposition « Tatouage. Histoires de la Méditerranée » actuellement présentée au Centre de la Vieille Charité.
Portraits de Marseillais·es tatoué·es. dans l’exposition « Tatouage. Histoires de la Méditerranée » au Centre de la Vieille Charité
Leur présence a suscité rencontres et récits parmi les visiteurs et visiteuses. Tour à tour légers, poignants ou graves, ces portraits s’ancrent dans les quartiers de la ville et reflètent des parcours individuels et collectifs, au croisement des générations et des cultures. Ils prolongent ainsi l’exploration historique menée dans l’exposition et inscrivent l’héritage millénaire du tatouage méditerranéen dans le présent. Un recueil rassemblant l’ensemble des portraits paraîtra en septembre 2025, publié par Fotokino à Marseille.
Huit de ces portraits tatoués, accompagnés de leurs histoires, étaient accrochés à l’entrée de Paréidolie 2025.
Simon Roussin – Lucie, 37 ans, le tourbillon de la vie – Portraits de Marseillais·es tatoué·es – Pareidolie 2025
Lucie, 37 ans, le tourbillon de la vie
Lucie est moqueuse. Petite, elle chambrait déjà son père sur le magnifique indien des plaines qu’il arborait sur le bras. Son héros rentrait tout juste d’un voyage aux États-Unis et y avait laissé quelques plumes. Sans le savoir, il lui apprend que la peau vaudra toujours mieux qu’un cahier et que toutes les encres n’ont pas la même intensité. Ancienne étudiante des Beaux-Arts, peintre amoureuse des gens couchés, elle envisage son corps comme un bloc-notes, où elle empile ses obsessions sur le bras droit des reproductions de tableaux aimés, sur la jambe gauche 50 nuances de tigres, ailleurs le bazar organisé. Difficile de ne pas remarquer les fleurs qui pullulent un peu partout sur son épiderme, elles poussent au gré du temps et à mesure qu’elle sculpte son corps: grâce au tatouage, elle apprend à l’aimer. À ses yeux, Il devient plus harmonieux, plus joyeux, plus sensuel encore. En réalité, Lucie est en mutation. Son corps est en mouvement, l’ancien prénom d’un amoureux se transforme en part de pizza, un acte sexuel peut en cacher un autre et quand elle se rase une partie de la tête, un vortex apparaît. C’est peut-être son tatouage le plus impressionnant, une espèce de tornade qui lui tourne autour de l’oreille et se prolonge dans le cou. L’exercice du tatoo est une spirale familiale qui emporte tout sur son passage, 30 ans après l’indien, son père continue le voyage, il vient d’inscrire sur son bras: « Cheyenne de vie » I Lucie lui tenait la main.
Cagne Canine (Zoé Jollive, dit) – Nadia, 45 ans, tout sur ma grand-mère – Portraits de Marseillais·es tatoué·es – Pareidolie 2025
Nadia, 45 ans, tout sur ma grand-mère
Nadia se souvient très précisément de sa première déclaration d’amour. À 6 ans, elle adresse une missive anonyme à sa directrice d’école. La prof ne saura jamais que la lettre venait d’elle. Nadia, en revanche, comprend qu’il faudra composer entre son identité et sa sexualité. Née dans une famille d’origine marocaine, de culture musulmane, elle est la seule de ses sept frères et sœurs à ne pas trop fréquenter la mosquée. À l’ombre des jeunes filles en feu, elle soigne son art de la dissimulation. À 36 ans, une amie lui reproduit sur l’avant-bras un assemblage des tatouages amazighs que sa grand-mère, la bien nommée Mouy Khallouka, arborait sur le visage et le corps. Un enchevêtrement de triangles et un croissant de lune comme un hommage à ce personnage fantasmagorique et marquant, une badass un peu radine, crainte et respectée. Et même si c’est une autre déclaration d’amour, pas question de s’afficher. Quand elle va au bled, elle transpire dans de longues chemises qui ne dévoilent jamais ses bras. Même sa maman, tant aimée, n’a jamais aperçu ce tatouage. Tellement secret que Nadia elle-même n’a pas terminé de le déchiffrer. Aujourd’hui encore, elle fouille les archives pour comprendre les origines de ces dessins, un rôle d’enquêtrice qui lui convient… c’est enfin elle qui pose les questions !
Nine Antico – Tony, 41 ans, gros poisson – Portraits de Marseillais·es tatoué·es – Pareidolie 2025
Tony, 41 ans, gros poisson
Entre le tatouage et Tony, ça avait mal commencé. À 20 ans, il se rend dans un salon rue des Bergers pour se faire une raie manta dans le dos. Né à Marseille du côté d’Air-bel, les fonds marins font partie intégrante de son quotidien, fou de sports nautiques et des calanques où il passe une partie de sa vie. Problème, le patron absent ce jour-là est remplacé au pied levé par un ami moins doué que lui… L’affaire est ratée, une alle est plus épaisse que l’autre, le masque mahorais au centre de la bête semble porter un appareil dentaire ! Tony refuse de payer et l’auteur du méfait finira la gueule en biais. Plus tard, un autre tatoueur arrange le gros poisson, Tony apprend à l’aimer. Une domestication qui fait écho à son enfance, lorsque son papa qui l’a élevé seul l’emmenait pêcher toute la journée. Moïse que tout le monde appelait Maurice, né à Oran, était un personnage inoubliable, à l’ancienne, du genre à devenir ami avec le patron d’une banque braquée vingt ans plus tôt. Depuis sa mort en 2022, Tony se rend trois fois par semaine sur la Corniche, tout près de l’hélice où son père avait l’habitude de poser sa canne à pêche. Collé à l’hommage à ceux qui ont traversé la Méditerranée en 1962, il se remémore le passé et fait marcher la machine à remonter le temps. À cet endroit où voltigent encore les cendres de son père, il fomente son prochain tatouage: une photo de sa main dans celle de son père. Celui qui héritera de cette mission n’aura pas intérêt à se louper.
Jimmy Richer, tarot du rameau d’or et tatouages éphémères
Pendant toute la durée du salon, Jimmy Richer a partagé sa vision personnelle de la cartomancie autour de son tarot du rameau d’or. Selon un protocole défini pour la performance, un tirage de cartes était proposé à chaque participant·e ; la dernière carte tirée était retenue comme motif d’un tatouage « à l’aveugle ».
Dans le cadre du partenariat avec les Musées de Marseille, Jimmy Richer a également été invité par le Musée des Beaux-Arts à puiser cet été dans les collections permanentes pour concevoir une série de tatouages éphémères inspirés des chefs-d’œuvre du musée. Il a ainsi repris et détourné les titres d’une dizaine d’œuvres – Le Ravissement de sainte Madeleine devenant par exemple Le Ravissement du Mécène – pour proposer un écho satirique au contexte du Salon.
En savoir plus :
Sur le site des Musées de Marseille
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Sur le site de Fotokino
Lire le dossier de Jimmy Richer sur ddaoccitanie.org
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