Il y a un an et demi déjà, je rédigeais mon premier
article concernant Liberty Media et le rachat du championnat MotoGP
par l’entreprise américaine. Je n’ai pas été tendre avec les
nouveaux propriétaires, car, d’après moi, la F1 ne s’est pas
transformée dans le bon sens depuis qu’ils ont la main dessus.
Cependant, comme toute chose en ce bas monde, ce n’est pas tout
noir pour autant. Le succès mondial de la Formule 1 dernièrement
montre bien que de bons choix ont été faits, et ce, même du point
de vue du spectateur. Dans cet article, il sera question d’une idée
actuellement appliquée en Formule 1 qui devrait aussi l’être en
MotoGP.
Back to the USA
Il y a un point sur lequel Liberty
Media a fait de l’excellent travail : rendre les États-Unis
fous de Formule 1. Quand vous voyez les tribunes du GP
des USA automobile, et que vous les comparez aux gradins dégarnis
que l’on a sur le même circuit en MotoGP, ça fait peur. C’est là un
tour de force magistral, car les États-Unis n’ont jamais réellement
été passionnés par la F1 depuis la création du championnat en 1950.
Le pays de l’Oncle Sam a toujours préféré l’Indycar (CART
et ses dérivés), et, bien sûr, la NASCAR.
Nul
doute que Marc Marquez sera l’une des pierres angulaire de la
communication à la nouvelle ère. Photo : Michelin Motorsport
Cependant, des choix aussi incompréhensibles que ridicules ont
réduit l’influence de la NASCAR au fil des années. Devant ce très
gros marché inexploité, Liberty Media a tout fait pour créer un
engouement sans précédent pour les Grands Prix de Formule 1 aux
USA, alors qu’aucun pilote américain n’est présent aux
avant-postes. Le groupe General Motors, par le biais de Cadillac,
fera ses débuts lors de la saison prochaine et surfe sur cette
dynamique. Mais comment s’y est pris Liberty Media pour
réaliser ceci, en ne partant de rien, ou presque ?
Explications en quelques points.
Premièrement, il y a eu la série Netflix Drive to
Survive, parue début 2019. Si l’on a tendance, de mon point de
vue, à surestimer l’impact de ce programme, il faut
reconnaître que ça a été l’étincelle. Tout cela était – et
reste – très américanisé, typiquement conçu pour plaire au public
d’outre-Atlantique, avec les défauts que cela comporte.
Deuxièmement, et c’est ce que sous-estime beaucoup de
monde : il y a eu un changement radical dans la politique de
communication. À l’époque Ecclestone, on ne trouvait quasiment
aucune caméra embarquée, aucune vidéo qui nous plongeait dans les
coulisses, aucun contenu original. Depuis, la F1 a adopté cette
approche typiquement américaine – commune depuis des décennies en
basketball et en football américain –, qui consiste à mettre le
spectateur au centre du spectacle. Cela passait, bien sûr, par
l’augmentation de la visibilité sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, il est extrêmement aisé de s’abreuver de Formule 1, et
je sais que la DORNA travaille actuellement sur ce
point.
Troisièmement, et dernièrement, Liberty Media a rendu la F1
« cool ». Dans les années 2000, quand on disait
qu’on suivait la F1 ou le MotoGP, les gens nous regardaient un peu
bizarrement. Désormais, se passionner pour la Formule 1
est devenu cool, tendance. En revanche, le jugement des autres
n’a pas changé sur le MotoGP, qui reste, malgré des chiffres très
corrects, un sport de niche – je suis désolé de le dire. Même en
France, combien connaissent Fabio Quartararo ? Combien savent
à quoi il ressemble ? Mais alors, comment les
Américains ont-ils réussi cette transition ? En
touchant des cibles jusqu’ici inatteignables, je parle notamment
des femmes de moins de 24 ans, soit le public qu’il faut se mettre
dans la poche pour démocratiser quelque chose aux yeux de la
société. Ce rajeunissement global de la discipline a conquis les
USA, et les influenceurs du pays, majoritaires sur les réseaux
sociaux, ont ensuite persuadé l’Europe.
Résultat des courses : on se retrouve actuellement avec
trois Grands Prix aux États-Unis, un à Austin, un à Miami, et un à
Las Vegas. Trois marchés énormes qui parlent aux jeunes,
principalement – notamment Miami, la capitale américaine de
l’influence depuis la fin de l’ère Los Angeles. Je ne dis pas qu’il
faut copier ce modèle, bien sûr, car il est assez extrême et
critiqué des anciens fans de Formule 1, justement, car le sport
n’avait jamais eu autant d’importance là-bas. Mais pour
nous, c’est différent, nous sommes légitimes.
Un pays
à reconquérir. Photo : Michelin Motorsport
Le plus gros défi de Liberty Media en MotoGP
Après ce long préambule, passons au vif du sujet. Qu’est-ce qui
cloche en MotoGP ? Les États-Unis, troisième pays le plus
peuplé au monde, sont totalement ignorés par la DORNA. Ce qui est
fou, c’est qu’on avait de l’avance sur la Formule
1 : les Grands Prix motos ont connu d’immenses
champions américains, bien plus que sur quatre roues. Dans les
années 1980 et 1990, le sport était carrément dominé par les
représentants de l’Oncle Sam. On pense naturellement à Kenny
Roberts, Freddie Spencer, Eddie Lawson, Kevin Schwantz,
Wayne Rainey, John
Kocinsky, Pat Hennen… et j’en passe.
Selon moi, le changement a eu lieu à la fin des années 1990,
lorsque la politique de DORNA a vraiment pris effet. Le sport est
devenu espagnol, à tel point qu’une véritable culture motocycliste
s’est créée en péninsule ibérique. En 2025, l’Espagne n’est pas un pays qui pèse
tellement sur la face du globe, mais pourtant, il domine largement
l’un des plus importants sports motorisés du monde. Et
ça ne va pas du tout. Si vous croyez, à tout hasard, que
l’influence espagnole va s’atténuer prochainement, laissez-moi vous
dire que vous vous trompez royalement. Regardez les
nationalités de ceux qui dominent en Moto3, et dans les plus
petites catégories de promotion. J’en avais déjà fait un
article, mais je crois que jamais l’Espagne n’a été aussi
forte, bien plus encore qu’au début des années
2000 !
Nous nous retrouvons, parfois, avec des pilotes qui ne parlent
pas l’anglais, mais uniquement l’espagnol. Les autres nationalités
historiques disparaissent peu à peu, mais eux se renforcent. Où
sont les Italiens depuis le retrait de l’équipe VR46 en catégories
inférieures ? Où sont les Français, où sont les
Anglais ?
C’est précisément ce que doit changer Liberty Media si les
décisionnaires veulent faire passer le MotoGP dans une autre dimension. Il faut
« dé-nationaliser » le MotoGP, exactement comme ils l’ont
fait avec la F1 qui était « trop » anglaise dans les
années 2000 et 2010, Fernando Alonso s’en plaignait assez. Pour le
rendre mondial, il faudra à la fois arracher ses racines
espagnoles, et planter quelques graines aux États-Unis, un
pays essentiel pour le développement et la popularisation d’une
mode.
Maximo
Quiles, David Alonso (né à Madrid), Manuel Gonzalez, Aron Canet,
Alvaro Carpe, José Antonio Rueda… tous sont espagnols. Photo :
Apsar Team
Pour cela, on peut imaginer une nouvelle série – la première
parue sur Amazon Prime n’avait pas eu l’effet escompté –, et une
présence accrue sur les réseaux sociaux. Plus que ça, il faudrait
multiplier les événements là-bas, alors que, ces dernières années,
les démonstrations ont davantage été réservées à l’Asie du Sud-est.
Pour couronner le tout, ajouter au moins un autre GP américain au
calendrier, et, peut-être, songer à quitter le COTA qui n’a
produit qu’une seule belle course en 13 années
d’exploitation. Les USA regorgent de circuits magnifiques,
alors, qu’attendons-nous pour équilibrer la balance ?
Conclusion
La présence de quatre tracés espagnols au calendrier
contre un en Amérique du Nord me paraît absolument incompatible
avec la volonté de se développer. Qu’on le veuille ou non,
il faudra toucher ce pays d’une manière ou d’une autre pour créer
un effet de mode, avec de nouvelles cibles dans le viseur. Et pour
ce point précis, le spectateur pourrait en bénéficier,
ce qui n’est pas le cas de toutes
les décisions de Liberty Media prises en F1 jusqu’à
maintenant.
Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de cette analyse.
Dites-le-moi en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur,
et pas de l’entièreté de la rédaction.
Et en
MotoGP, Acosta et Aldeguer pourraient parfaitement incarner la
prochaine rivalité au plus haut niveau. Photo : Michelin
Motorsport
Photo de couverture : Michelin Motorsport