Octobre 2024. Dans le cadre du projet de renouvellement urbain du quartier Dravemont à Floirac, le bailleur Aquitanis procède à la démolition des 17 logements du Clos des Vergnes. Le mot « déconstruction » semble cependant plus adapté à la manœuvre, quand on voit les Compagnons bâtisseurs, entreprise d’insertion, empiler les 400 m² de tuiles de l’édifice, avant de les nettoyer et de les empaqueter. Via une convention de don, 2 880 d’entre elles (soit l’équivalent de 12 palettes) sont parties quelques semaines plus tard à Bassens, sur les boxes techniques du siège de Coop & Bat, coopérative d’éco-constructeurs. Le reste a été stocké par Aquitanis sur sa plateforme de réemploi Nestor à Floirac.

Julie Grabot, maître d’ouvrage du chantier du siège de la coopérative Coop & Bat, lors de la récupération des tuiles floiracaises.

Julie Grabot, maître d’ouvrage du chantier du siège de la coopérative Coop & Bat, lors de la récupération des tuiles floiracaises.

Y. D.

La coopérative a aussi récupéré des sanitaires et des volets de la résidence Laffue, déconstruite par Domofrance à quelques centaines de mètres de là. Les pavés sous la pergola arrivent, eux, d’un chantier de Pessac via la plateforme de stockage du démolisseur privé Valodem. Un concentré de pratiques vertueuses et bientôt incontournables, au regard de l’état des ressources et du climat, poussant au maximum le curseur de l’économie circulaire et le réemploi. Et qui sont l’objet d’une charte d’engagement, récemment signée par huit acteurs de la construction et de l’aménagement à l’échelle de la métropole bordelaise.

Mettre en place des réflexes

Si la Fabrique de Bordeaux Métropole (Fab), une société publique locale chargée de la mise en œuvre du programme « Habiter, s’épanouir », et sa Base du réemploi à Mérignac ont été aussi des pionniers sur la rive gauche, les nombreux enjeux et chantiers de renouvellement urbain de l’autre côté de la Garonne sont le cadre d’expérimentations devenues progressivement culture, système et réflexes. Dans le quartier Palmer à Cenon, Domofrance « démolit/reconstruit » des centaines d’habitations : « Dans les logements déconstruits, nous avons récupéré lavabos, douches, éviers, baignoires et WC que nous avons confiés à l’entreprise Favre, spécialement formée, explique Fred André, directeur des projets de réhabilitation. Les visiteurs de l’appartement témoin ne se sont absolument pas aperçus que ces éléments étaient issus du réemploi. »

De ces appartements, 900 m linéaires de garde-corps seront réutilisés, ainsi que 95 % des faux plafonds des coursives. Idem pour ce qui est la résidence Henri-Sellier sur le Bas-Cenon (deux tours sur trois démolies) ou encore les déconstructions des résidences Laffue et Montand à Bassens. Les matériaux déposés (béton, bois, poutres) attendent, à quelques centaines de mètres sur la plateforme d’activités InnoGaronne, d’intégrer la construction de nouveaux logements tout aussi bassenais.

« Économie circulaire et réemploi ne sont pas une option, ils sont une solution »

La démolition d’un des deux bâtiments du collège Jacques-Ellul à La Benauge en avril.

La démolition d’un des deux bâtiments du collège Jacques-Ellul à La Benauge en avril.

Y. D.

15 opérations pilotes

« Nous expérimentons cette démarche sur 15 opérations pilotes », renseigne Oriane Hommet, cheffe de projet en économie circulaire au Grand Projet des Villes (GPV) rive droite, groupement d’intérêt public accompagnant quatre villes du territoire (1) sur et autour des projets de renouvellement urbain. Cinq projets urbains et un gisement de 920 000 tonnes de matériaux issus des chantiers, doivent ainsi être mis en corrélation avec les 25 000 logements à construire dans les vingt années à venir. Depuis 2020, au sein de la démarche Réemploi, Bordeaux Métropole, Aquitanis, Mésolia (avec récemment l’appui de l’Établissement public foncier) et le cabinet d’études Neo-eco s’attellent à valoriser les matériaux issus de ces chantiers en passant par des circuits courts.

Des portes du collège Jacques-Ellul seront réutilisées pour la bibliothèque éphémère.

Des portes du collège Jacques-Ellul seront réutilisées pour la bibliothèque éphémère.

Neo-eco

De l’école Albert-Camus à Floirac à la résidence Madeline à Bassens, de la cité Grédy à Cenon à la galerie commerciale de Floirac-Dravemont, diagnostic, inventaire et plan de réemploi sont déclinés sur ces 15 sites. Dans le quartier de la Benauge à Floirac, l’ancien collège Jacques-Ellul a aussi valeur d’exemple. Sur la première moitié tombée à la fin du printemps, faux plafonds, sanitaires, radiateurs, luminaires, portes ou bois d’un préau ont été stockés dans la base vie du chantier. Ils intégreront la réhabilitation de la seconde partie de l’établissement, conservée quelques années pour accueillir la bibliothèque du quartier, le guichet France services et la maison du projet urbain Joliot-Curie.

Sur la partie déconstruite du collège, un programme de logements à venir.

Sur la partie déconstruite du collège, un programme de logements à venir.

Y. D.

Partager les outils

Le GPV a édité à l’usage des professionnels un « Guide des matériaux de réemploi et écoproduits en filière locale », un « Guide juridique de réemploi des matériaux de construction à l’attention des artisans ». À cet égard, la Chambre des métiers et de l’artisanat sensibilise ceux de la rive droite quant à ces enjeux depuis décembre 2024. « Leviers, contraintes, expériences : il est fondamental que tous les outils soient partagés », souligne Oriane Hommet. Et Maxime Derrien, le directeur du GPV de se projeter : « Économie circulaire et réemploi ne sont pas une option, ils sont une solution. Et il faut préserver du foncier pour accueillir les acteurs de cette filière promise à une nouvelle phase : l’industrialisation. »

(1) Bassens, Cenon, Floirac et Lormont.