C’est un film qui est probablement n°1 des conversations dans les cours de récréation et également n°1 des vues sur Netflix dans de très nombreux pays du monde entier depuis des semaines, ce qui en fait tout simplement le film le plus vu de la plateforme depuis sa création : j’ai nommé KPop Demon Hunters, sorti le 23 août 2025. Alors si vous n’êtes pas vous-même muni d’enfants vous n’en avez peut-être pas entendu parler ; ce titre barbare désigne un film d’animation américain, inspiré de récits coréens, mais en fait inspiré d’à-peu-près tout ce qui est susceptible de surexciter un jeune de moins de quatorze ans. À l’image de son titre barbare, c’est un mélange de ce qui a fonctionné le mieux ces derniers temps, un film hyperbole, un film maximalisé, dont le pragmatisme fascine autant qu’il répulse.
L’histoire ? Celle d’un groupe de pop coréen nommé “Huntrix” : trois jeunes chanteuses coréennes ultra célèbres qui sont aussi en secret des chasseuses de démons. Elles ont hérité d’un don ancestral, celui de repousser les mauvaises âmes en diffusant de bonnes ondes parmi leur immense masse de fans, des ondes qui finissent par former une sorte de bouclier protecteur invisible au-dessus des humains. Seulement voilà, les démons ont une nouvelle stratégie : envoyer un boy’s band tout aussi séduisant pour saper la popularité des Huntrix, récupérer les âmes de leur public, et asseoir leur domination sur le monde.
Manga, histoire d’amour, Reine des neiges, Miyazaki…
Apparemment c’est donc une sorte de mashup entre deux options archi porteuses : la chasse au démons, et la comédie musicale adolescente. Une idée plutôt amusante, voire même un peu jolie sur le papier, celle de repousser les méchants avec de la musique qui enchante et fédère les âmes. Sauf qu’elle est complètement abandonnée, ou plutôt brouillée par le nombre effarant de stimuli visuels, sonores, musicaux et publicitaires qui parasitent la narration. Si la première scène de combat, qui oppose les trois jeunes filles à une bande de démons, a quelque chose de la comédie musicale – la musique est à l’intérieur du récit et sert son évolution -, elle se trouve ensuite réduite à des moments qui fonctionnent exactement comme les petites vidéos que regardent les fans dans le film. Cette confusion entre le genre musical et le clip est sans doute le signe le plus fort de l’inconséquence totale du produit.
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Et si vous aimiez la K-pop sans le savoir ?
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On se retrouve donc face à un produit bourré lui-même d’autres produits, comme un paquet de bonbons multicolores pour enfants compulsifs. Le film a beau être apparemment sorti du cerveau de personnes humaines, notamment sa réalisatrice canadienne d’origine coréenne, c’est exactement comme si on avait demandé à une intelligence artificielle de composer un film à partir de tout ce qui a le mieux marché auprès des enfants ces quinze dernières années. Pêle-mêle : une histoire d’amour impossible, du burlesque de manga, du féminisme pour les nuls, la tresse de la Reine des Neiges, un tigre magique comme un ersatz de Miyazaki, Rihanna à la mi-temps du Super Bowl, des chorégraphies TikTok, des nouilles instantanées, etc.
Comme si dans le fond, le récit, l’image, ou le placement de produits, c’était pareil : tout est nivelé et a le même statut dans la fabrication d’un film dont apparemment le mode de réception tout tracé est de l’ordre – pur et simple – de la consommation. De ce point de vue il est assez fascinant de découvrir le discours élaboré par Sony et les réalisateurs du film qui en appellent eux à l’inverse, à la spiritualité de leur culture et à des traditions littéraires et mythologiques immémoriales, alors qu’on a surtout l’impression de gober en une heure trente de temps – ressenti trois – une grande louche pas très digeste de pur air du temps.