Paris Match : Angela Merkel a longtemps été le visage de l’Allemagne, puis ce fut le tour d’Olaf Scholz. Aujourd’hui, les Français vous découvrent. Comment débute le nouveau tandem franco-allemand ?

Friedrich Merz : Emmanuel Macron et moi, nous nous connaissons de longue date et entretenons une relation étroite. Je peux même dire que nous sommes maintenant amis. Le fait d’être invité au fort de Brégançon m’a touché. J’ai eu plaisir à voir la résidence d’été de votre président. Développer le lien avec la France fait naturellement partie de ma mission, mais il y a en plus une dimension personnelle. J’apprécie d’accomplir tout cela avec lui.

Vous incarnez une Allemagne conservatrice et libérale. Vous vous référez beaucoup au premier chancelier de l’après-guerre, le ­chrétien-démocrate Konrad Adenauer.

Sur mon bureau, j’ai une photo où l’on voit Konrad Adenauer et Charles de Gaulle ensemble. Nous devons être leurs héritiers.

Votre position face à la Russie vous rapproche du président français. Angela Merkel avait un tout autre ton. Était-elle naïve, à vos yeux ?

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Non. Nous nous sommes tous trompés sur Vladimir Poutine. Il est vrai que, pour ma part, j’ai toujours été sceptique. Mais, moi aussi, j’aurais dû prendre plus vite la mesure de la menace, et cela bien avant 2022, bien avant son attaque contre l’Ukraine. En 2014, quand il a envahi la Crimée. Et peut-être déjà en 2008, quand il s’en est pris à la Géorgie.

Vladimir Poutine a un lien personnel avec ­l’Allemagne. Il a vécu à Dresde avant la chute du mur. Il parle parfaitement allemand. Si le temps de renouer arrive, l’Allemagne ­aura-t-elle un rôle privilégié ?

Un jour, nous l’espérons, nous vivrons de nouveau en bon voisinage avec les Russes. Hélas, nous en sommes très loin, en raison du pouvoir de Poutine, à cause du système de kleptocratie qui s’est approprié l’État russe. Pendant des années, nous serons confrontés à ce régime autoritaire. Rappelons l’ampleur historique de ce qui se passe : en attaquant l’Ukraine, Poutine s’en est pris au deuxième pays le plus grand du continent européen par sa superficie !

Pouvez-vous cependant reparler avec Moscou ?

Si cela sert à quelque chose, je le ferai. Les précédentes expériences ont montré que c’était inutile. Il a frappé encore plus durement les civils. Mais l’objectif est de revenir à un ordre et à un respect mutuel. À l’époque de la réunification allemande, tout n’était pas facile, néanmoins nous avons pu travailler avec Mikhaïl Gorbatchev. C’est l’équilibre que nous avons connu ensuite après la chute de l’URSS, en 1991, et jusqu’en 2022. Poutine ne respecte plus cet équilibre. Nous aspirons à le retrouver.

Votre père fut prisonnier pendant la guerre, à l’âge de 17 ans. Il est resté des années captif en Union soviétique. Le souvenir de l’Europe en guerre a-t-il déterminé votre engagement ?

J’ai commencé ma carrière politique au Parlement européen. C’est à ce moment-là que j’ai connu et partagé l’espoir d’une Europe nouvelle. La chute du mur en 1989, la perestroïka de Gorbatchev, tous les bouleversements qui ont suivi, je les ai vécus en étant au milieu d’autres Européens, et pas seulement à travers mes lunettes d’Allemand. Jacques Delors présidait alors la Commission européenne. C’était un homme de grande valeur. Notre génération va connaître de nouveaux bouleversements, que j’aimerais vivre de la même façon, en Européen.

Vous avez réussi un coup de maître à la Maison-Blanche en apportant à Donald Trump le certificat de naissance de son grand-père, Friedrich Trump, né en Bavière puis émigré aux États-Unis. Croyez-vous qu’il existe une méthode pour charmer Trump ?

J’ai une certaine expérience des Américains. Cela aide. Ayant travaillé jadis dans deux grandes entreprises américaines, je suis familier de ce qu’on appelle le “small talk” aux États-Unis, un certain art de la conversation pour tisser une relation. Cela m’a facilité la tâche pour entrer en contact avec Donald Trump. J’ajoute que je parle assez bien anglais. Il est évidemment sensible à tout cela.

Il a toujours eu une dent contre l’Allemagne, et surtout contre les voitures allemandes ! Cette fois, il semblait amadoué.

Peut-être. Mais ce ne sont que des conditions préalables. Cela ne garantit en rien que nous puissions réussir dans l’affaire des droits de douane et par la suite.

Faut-il avouer que la Commission européenne a échoué ? 450 millions ­d’Européens sont moins bien traités que 40 millions de Canadiens et 130 millions de Mexicains ! Bruxelles et Ursula von der Leyen n’ont pas réussi à établir un rapport de force.

La donne de départ était difficile. Mais je vais être franc avec vous. Emmanuel Macron et moi nous sommes dit qu’il fallait accepter ce résultat, même s’il reflète notre faiblesse et notre dépendance. À nous deux de travailler maintenant ­d’arrache-pied, pour devenir plus puissants, et pour pouvoir traiter d’égal à égal avec les Américains.

Si Louis XIV n’avait pas révoqué l’édit de Nantes et chassé tant de protestants, voilà plus de trois siècles, vous ne seriez pas là.

Oui, ma mère venait d’une famille huguenote. Vous voyez, l’histoire contribue à me relier à la France.

Je vous ai entendu parler français à Brégançon avec Emmanuel Macron. Vous vous débrouillez bien. Vos prédécesseurs ne le parlaient guère.

J’ai en France beaucoup de souvenirs qui font remonter en moi des émotions. Nous passions nos vacances ici. Durant plusieurs étés, nous nous sommes rendus sur la côte atlantique. La toute première fois que je suis venu, j’étais jeune, c’était en Auvergne, dans le cadre d’un échange scolaire. Le Puy-en-Velay, quelle beauté ! C’est pour cela aussi que j’aime la France.