A la raffinerie de Syzran, dans la région russe de Samara, c’est désormais entre deux explosions qu’on tente de faire tourner la production. Dans la nuit du 30 août, une nouvelle frappe de drone kamikaze s’est abattue sur cette installation stratégique située à proximité de la Volga. Quinze jours plus tôt, ce site capable de raffiner jusqu’à 8,5 millions de tonnes de pétrole par an avait déjà été victime d’une première attaque des forces ukrainiennes. Puis d’une deuxième, le 24 août. Aux quatre coins de la Russie, de tels bombardements se sont multipliés sur les raffineries pendant tout le mois d’août. Au total, plus d’une dizaine d’installations ont été touchées – dont certaines, à l’instar de Syzran, plusieurs fois.

Au point de commencer à sérieusement éroder les capacités de raffinage des Russes. En seulement un mois, celles-ci ont fondu d’au moins 20 % selon la Maison-Blanche. Soit plus d’un million de barils par jour – un niveau presque équivalent à la consommation quotidienne de l’Espagne. « Les raffineries constituent l’un des points faibles de la Russie, relève Oksana Ishchuk, spécialiste de l’énergie et directrice exécutive de l’institut ukrainien Centre for Global Studies Strategy XXI. Les recettes provenant des exportations de pétrole et de gaz représentent entre 50 et 60 % du budget fédéral russe. » Autrement dit, une ressource essentielle pour financer son effort de guerre et une cible de premier choix pour les Ukrainiens. Sur la dizaine de raffineries touchées, au moins cinq d’entre elles – à Syzran, Saratov, Volgograd, Kuibyshev et Novokuibyshevsk – ont été contraintes d’interrompre complètement leur production au cours du mois.

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Le calendrier de ces frappes ne doit rien au hasard. « Le mois de septembre est traditionnellement une période où la demande en produits pétroliers est élevée, note Oksana Ishchuk, à Kiev. Cela s’explique par une hausse des besoins du secteur agricole en raison des récoltes. » Avec, en bout de course, des effets sur les prix à la pompe. Le 20 août, le quotidien économique russe Kommersant a relevé que l’AI-95 et l’AI-92, les deux principaux carburants en Russie, avaient atteint en bourse un « record » de 82 253 et 72 510 roubles par tonne (environ 876 et 772 euros) – soit, depuis le début de l’année, une hausse de près de 50 % pour le premier, et 40 % pour le second.

Nouveaux moyens de frappe

Pour tenter de juguler la flambée, le Kremlin a prolongé le 27 août l’interdiction des exportations d’essence jusqu’au 30 septembre pour les producteurs. Il n’empêche, dans certaines régions périphériques – comme l’Extrême-Orient russe ou les territoires ukrainiens occupés -, le carburant commence à se faire rare. Et les files d’attente devant les stations-service, à s’allonger. Chose rare, le 2 septembre, les autorités d’occupation de la région de Kherson ont admis des « pénuries d’essence ». De même un peu plus à l’Est, dans la région occupée de Lougansk.

A l’heure où les forces ukrainiennes ont été contraintes de céder du terrain sur le front ces derniers mois, ces bombardements constituent pour Kiev un moyen de frapper Moscou au portefeuille. Et porter des coups à son économie déjà mal en point. En toile de fond, la question de l’impact de ces frappes sur une inflation russe persistante, dont le taux annuel s’élevait à 9,2 % en juillet. « Pour l’instant, la répercussion sur la hausse générale des prix reste limitée, nuance Oksana Ishchuk. Mais on ne peut pas exclure que cela change si ces frappes devaient se poursuivre. »

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Ce n’est pas la première fois que les raffineries russes se retrouvent dans la ligne de mire des Ukrainiens. En 2024, Kiev avait déjà multiplié les attaques – mais avec moins d’efficacité. « A cette époque, les Ukrainiens ne pouvaient envoyer qu’un nombre limité de drones, retrace le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. Aujourd’hui, ils ont accru leurs moyens de frappes et amélioré leurs capacités de ciblage. » A en juger par les récentes déclarations de Volodymyr Zelensky, la tendance n’est pas près de s’inverser.

Le 21 août, le président ukrainien a ainsi annoncé la production en masse, dès le début de l’année prochaine, d’un nouveau missile de croisière, baptisé « Flamingo ». D’une portée de 3 000 kilomètres, l’engin serait capable de transporter une charge explosive de plus de 1 100 kilos et de se déplacer à 950 km/h. « Ils seront bien plus puissants et difficiles à intercepter que les drones actuels, jauge le général Richoux. La situation risque de se compliquer pour les Russes dans les prochains mois. » Selon la presse ukrainienne, son constructeur prévoit d’ores et déjà d’en produire jusqu’à 200 par mois d’ici à octobre. Comme le prix de l’essence, les raffineries russes n’ont pas fini de flamber.

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