Ils avaient d’abord cru apercevoir une peluche, ou un gros chat. Le 18 septembre 2019, des habitants d’Armentières, dans la banlieue nord-ouest de Lille, ont pourtant été confrontés à un véritable fauve. L’une d’entre eux, Sylvie Drelon, raconte dans la Voix du Nord que sa fille l’a appelée en fin d’après-midi, en panique, pour lui dire de rentrer illico à la maison. Une bête est en train de faire les cent pas le long des fenêtres du dernier étage de sa maison. «On entendait ses bruits de pas, ça faisait “boum boum”», retrace dans le quotidien régional cette employée comme agent d’entretien. L’animal s’avère être une jeune panthère noire de moins d’un an. «Un gros matou», comme l’appelle Sylvie Drelon, qui pèse tout de même une trentaine de kilos. Et, a priori, l’animal âgé d’un peu moins d’un an, n’est pas vraiment dans son habitat naturel. «Louise», de son petit nom, vient de s’échapper de chez des voisins.
Après un branle-bas de combat général, la panthère noire est finalement capturée le soir-même, à l’aide de fléchettes hypodermiques tirées par un vétérinaire. Après presque six ans jour pour jour, ses anciens propriétaires comparaissent jeudi 4 septembre devant le tribunal correctionnel de Lille pour détention sans autorisation d’une espèce non domestique. Nordine B. et Nawel T. risquent jusqu’à trois ans de prison et 150 000 euros d’amende.
«Il y a beaucoup de zones d’ombre dans ce dossier», relève aujourd’hui auprès de Libé Me Xavier Bacquet, avocat de la Fondation 30 millions d’amis, qui est partie civile dans ce procès. Comment cette panthère est-elle arrivée à Armentières ? D’où vient-elle ? Est-elle issue d’un trafic ? Qui ont été ses propriétaires successifs ? Dans quelles conditions a-t-elle été retenue captive ?
D’autant plus que l’affaire a connu plusieurs rebondissements : moins d’une semaine après sa capture et son placement en quarantaine au zoo de Maubeuge, le félin disparaît. Son enclos est forcé dans la nuit du 23 au 24 septembre 2019. Louise est volée. Elle y attendait son transfert auprès de l’association Tonga Terre d’accueil, à Saint-Martin-la-Plaine (Loire) – un refuge qui recueille les animaux sauvages issus du trafic et de cirques.
Les enquêteurs ne retrouvent sa trace que des mois plus tard, aux Pays-Bas. Le directeur d’un sanctuaire pour félins de la ville d’Anna Paulowna, dans le nord du pays, expliquera à France 3 Hauts-de-France avoir «été contacté en janvier 2020 par une personne de nationalité française qui [lui] a signifié qu’un de ses amis se baladait avec une panthère et qu’il ne savait plus s’en occuper». Ce dernier «voulait la déposer au sanctuaire, mais en étant assuré qu’il ne se ferait pas arrêter». Robert Kruijff réceptionne le félin – qui s’appelle désormais Akilla – et prévient ensuite les autorités françaises. Des analyses ADN démontrent qu’il s’agit bien du même animal.
« Je savais évidemment qu’il est interdit de détenir une panthère et j’allais en rendre compte un jour. Mais pour moi, c’était loin… »
— Nordine B., à la Voix du Nord en novembre 2019
Le principal mis en cause dans cette affaire, Nordine B., s’était présenté de lui-même à la police quelques jours après que sa panthère a été aperçue sur les toits d’Armentières. En novembre 2019, il donne une interview au journal la Voix du Nord et déclare son amour pour sa bête.
Il raconte avoir acheté pour une somme encore inconnue ce «gros bébé affectueux qui ne demandait que des câlins», à l’âge de trois ou quatre mois, parce qu’il était «mal en point». D‘après son récit, le fauve avait des «trous dans le pelage» et «n’avait plus de griffes» : «Je savais évidemment qu’il est interdit de détenir une panthère et j’allais en rendre compte un jour. Mais pour moi, c’était loin…» Contacté ce mercredi 3 septembre en amont du procès, son avocat a refusé de s’exprimer.
D’après la Voix du Nord, Nordine B. a déjà eu affaire à la justice par le passé, notamment pour braquage et pour une autre affaire impliquant un animal sauvage. En l’occurrence un sapajou à poitrine jaune – un singe brésilien. Il avait, lui aussi, été récupéré dans la rue après s’être échappé d’un appartement à Mons-en-Barœul (Nord) en 2016, là où habitait la mère du suspect. Toujours selon le quotidien nordiste, lors des perquisitions menées chez Nordine B. dans le cadre de l’affaire de la panthère d’Armentières, les policiers ont retrouvé plus de 100 000 euros de bons au porteur, ainsi que des munitions et des véhicules volés dans un box lui appartenant à Mons-en-Barœul.
Le procès de Nordine B. et sa compagne Nawel T. concernant la détention sans autorisation de la panthère Louise était initialement prévu en janvier. Il a été reporté à la demande des avocats des prévenus. Le principal mis en cause ne s’était pas présenté à l’audience : s’il avait produit un certificat médical attestant de son incapacité à se déplacer, il était surtout au même moment en garde à vue dans le cadre d’une affaire de stupéfiants, relate France 3.
La Fondation 30 millions d’amis espère la condamnation jeudi des deux anciens propriétaires de la panthère, «pour mettre en avant le fait que les animaux sauvages n’ont rien à faire en détention captive», souligne son avocat. Selon Me Xavier Bacquet, cette audience aurait une vertu «pédagogique» : «Il est urgent d’endiguer une tendance préoccupante à la détention d’animaux sauvages par des particuliers, qui se dessine depuis plusieurs années, certainement encouragée les réseaux sociaux et leur lot d’influenceurs irresponsables».