Les négociations nippo-américaines concernant les tarifs douaniers imposés par Washington sur les importations japonaises semblent avoir abouti à un dénouement favorable. Les États-Unis ont consenti à réduire les barrières douanières, les faisant passer de 25 % à 15 %. Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent, difficile donc d’accueillir la nouvelle de façon positive tant que Donald Trump sera au pouvoir.

Mêmes réduits, les taux tarifaires restent un fardeau

Le 23 juillet, l’annonce d’un accord tarifaire, commercial et d’investissements entre Tokyo et Washington a mis fin à une période d’incertitude. Les calculs politiques internes du président Donald Trump ont probablement joué un rôle clé dans le développement soudain des discussions bilatérales sur les tarifs douaniers. Concrètement, le dirigeant américain souhaitait promouvoir ses progrès dans les négociations, tout en détournant l’attention du public sur ses propres scandales.

L’accord tarifaire qui sera ensuite trouvé entre Tokyo et Washington impose un taux de 15 % sur les importations japonaises vers les États-Unis. Cet accord constituant une amélioration par rapport au taux de 25 % initialement appliqué sur les exportateurs japonais, les cours des actions à la Bourse de Tokyo sont montés en flèche. Cependant, ne perdons pas de vue le fait qu’un taux de 15 % reste une augmentation significative pour de nombreuses industries. Les exportateurs automobiles japonais se verront désormais imposer des droits de douane de 15 %, sensiblement différents des 2,5 % en vigueur avant le deuxième mandat du président américain…

En date du 31 juillet, un institut de recherche affilié à l’Université de Yale a estimé le taux moyen des droits de douane imposés par les États-Unis à 18,3 % . Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis 1934. Le Budget Lab a évalué le fardeau supplémentaire sur les consommateurs américains à 2 400 dollars. Dans la mesure où les entreprises décident de reporter le fardeau des droits de douane sur les consommateurs, cette nouvelle n’augure rien de bon pour l’économie globale, et le Japon n’est pas une exception. Étant donné l’imprévisibilité de l’administration Trump, les entreprises peinent elle aussi à établir des projets à moyen, et à long, terme, les incitant à la prudence en ce qui concerne les investissements en capitaux, axés sur la croissance.

En termes relatifs, la compétitivité du Japon avec d’autres pays exportant vers les marchés américain ne faiblira pas, le taux des tarifs négociés restant le même que celui imposé à l’Union européenne et à la Corée du Sud. Le taux de change actuel se situant autour des 140 yens par rapport au dollar (début août), un niveau historiquement bas d’appréciation du yen comparable aux années 1970, les entreprises japonaises devraient pouvoir absorber, dans une certaine mesure, l’impact des 15 % de droits de douane.

Par ailleurs, au fil des époques, les entreprises nippones ont eu tendance à se retrousser les manches, à faire preuve de persévérance en cas de difficultés économiques et à éviter de reporter le coût des droits de douane sur les consommateurs américains. Et ainsi, ce pourraient être les sous-contractants nationaux japonais qui supporteront in fine le fardeau de ces barrières douanières.

Les entreprises européennes et américaines qui commercialisent leurs produits directement sur le marché américain ont également fait preuve de prudence en termes d’augmentation des prix. Cependant, elles tendent à revoir leur façon de faire et poussent de plus en plus leurs prix à la hausse, cherchant à satisfaire leurs actionnaires et à être rentables. Il n’est assurément pas souhaitable pour les entreprises de pratiquer des hausses soudaines de prix et de s’attirer les foudres de leurs clients.

Cependant, si une augmentation soudaine des prix, d’où une perte de consommateurs, serait problématique, je pense que les entreprises japonaises doivent surveiller de près la situation par rapport à leurs concurrents et envisager un report progressif des coûts sur les consommateurs afin que les Américains finissent eux aussi par comprendre et ainsi ressentir l’impact de ces politiques.

Grandes lignes de l’Accord stratégique nippo-américain sur le commerce et les investissements

  • Le taux tarifaire de base sur les importations japonaises est maintenant de 15 % (contre 25 % avant négociations).
  • Le Japon investira 550 milliards de dollars (soit 80 000 milliards de yens) aux États-Unis.
  • 90 % des bénéfices réalisés sur les investissements resteront aux États-Unis.
  • Le Japon augmentera immédiatement ses importations de riz américain de 75 %.
  • Les normes automobiles américaines seront appliquées au Japon.
  • Les deux pays plancheront sur un nouvel accord pour l’achat de gaz naturel liquéfié de l’Alaska.
  • Le Japon accepte d’acheter davantage d’équipements de défense américains (à hauteur de plusieurs de milliards de dollars par an).

Source : Fiches d’informations de la Maison-Blanche (23 juillet 2025)

Des ambiguïtés demeurent

Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’Accord stratégique nippo-américain sur le commerce et les investissements n’est encore qu’à ses balbutiements, et est loin d’être complet. Les détails finaux doivent être travaillés, si bien que les autorités japonaises devront rester déterminées et s’attendre à des négociations houleuses.

Des différences de perception entre Washington et Tokyo ont déjà fait surface. Par exemple, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a annoncé que l’accord avec le Japon sera réexaminé tous les trois mois, prévenant que si Donald Trump n’est pas satisfait de son évolution, il pourrait se raviser et réaugmenter les droits de douane pour les faire passer à 25 % sur les automobiles notamment, une nouvelle pour le moins inattendue Tokyo.

D’importantes zones d’ombre entourent la promesse du Japon d’investir 550 milliards de dollars dans l’économie américaine. Si le gouvernement américain s’attend à ce que les entreprises japonaises investissent immédiatement leurs propres capitaux, les autorités japonaises insistent sur le fait que cet engagement ne représente qu’une « ligne de crédit », fournie par les institutions financières affiliées au gouvernement.

In fine, ce que le président Trump veut, c’est faire bonne figure dans son pays, et il s’attache à donner l’impression qu’il gère de main de maître les relations étrangères. Il est nécessaire que Tokyo exploite cette situation et approche l’administration d’une façon qui favorisera ses intérêts. Par exemple, les entreprises japonaises et le gouvernement devront faire leurs preuves et montrer à l’administration Trump leur engagement pour ce nouveau cadre de travail, notamment en incluant dans les 550 milliards de dollars des investissements auxquels les entreprises japonaises auraient de toute façon consenti. Par ailleurs, il est important de comprendre que l’administration Trump ne va probablement pas prendre la décision d’augmenter les droits de douane avant les élections de mi-mandat en novembre 2026, en raison de potentiels effets inflationnistes sur l’économie du pays.

Toutefois, il faut rester prudent, le président Trump étant quelqu’un de très versatile. Il lui reste trois ans et demi avant la fin de son mandat. Tokyo doit se préparer à ce qu’il ne prenne pas de décisions politiques posées et continue de mener son gouvernement sur une base coercitive. Pendant son premier mandat, il était entouré par des conseillers considérés comme raisonnables et qui mettaient un frein à ses politiques les plus excessives. Cette fois-ci, il a choisi des personnes qui lui sont loyales, plus enclines à donner leur accord à des politiques extrêmes. Peu sont désireux ni même capables de contrôler ses impulsions.

L’indépendance de la Réserve fédérale menacée

Des politiques commerciales irréfléchies pourraient ne pas entraîner la perte du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. Cependant, sa force relative va probablement s’affaiblir à mesure que l’écart avec l’euro, la deuxième monnaie, se resserrera. Après la crise financière globale de 2008, l’économie américaine s’est reprise avec une productivité accrue, notamment dans le domaine de l’industrie numérique, entraînant une appréciation du billet vert. Mais cette fois-ci, les efforts de l’administration Trump pour protéger les industries lourdes et à forte intensité de capital, par le biais de sa politique économique étrangère, mettent à mal les forces de l’économie américaine, ce qui accélérera le déclin relatif du dollar.

À cette situation s’ajoutent la volatilité du marché pour les bons du Trésor américain et une possible augmentation à long terme du coût de la dette. En effet, en avril, des inquiétudes concernant les droits de douane décrétés par Donald Trump ont entraîné une multiplication des ordres de vente des bons du Trésor américain. Le président Trump menace une nouvelle fois l’indépendance du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale (Fed) des États-Unis en exerçant une pression sur cette dernière afin d’abaisser ses taux d’intérêts, apparemment pour stimuler l’économie.

Cependant, les conséquences à long terme d’une telle situation pourraient être désastreuses. Si la Fed cède aux exigences de l’administration Trump et baisse les taux d’intérêts au-delà de ce requiert la situation économique, la confiance dans le dollar s’effondrera et l’inflation augmentera encore plus vite que maintenant. Les ordres de vente de bons du Trésor se multiplieront, les taux d’intérêts à long terme augmenteront et l’économie tombera dans un cercle vicieux de stagnation.

En retour, il y a le risque qu’une pression à la hausse sur les taux d’intérêts ne se propage sur le marché des bons du gouvernement japonais. Le mandat de Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, se termine en mai 2026. Tous les yeux seront rivés sur son successeur.

Un pendule qui n’est pas près de revenir

Malgré la tourmente politique et économique déclenchée par le président Trump, la popularité du Parti démocrate n’a pas pour autant augmenté. Il n’est pas impossible, loin de là, qu’un nouveau président républicain soit élu en 2028. Si ses politiques seront probablement plus raisonnables que celles de Donald Trump, elles seront sans doute en ligne avec l’America First, qui s’oppose au commerce de libre-échange.

Un spécialiste américain des relations internationales note qu’une génération tout entière (près de trente ans) après la Première guerre mondiale a été nécessaire pour que les États-Unis dépoussièrent enfin leurs tendances America First. Et ce n’est que comme ça que le gouvernement américain a pu s’engager pleinement dans la création de l’ordre d’après la Seconde Guerre mondiale, notamment en jouant un rôle actif pendant la Guerre froide. La population pourrait avoir besoin de tout autant de temps pour comprendre que l’America First est une erreur, encore cette fois-ci.

Par conséquent, les autres pays ne peuvent pas simplement ignorer les défis imposés par les droits de douane ou être dans l’expectative d’un revirement politique. Les récents compromis avec les États-Unis ne sont que passagers. Si Washington n’inverse pas de manière significative le cours de la situation dans un avenir proche, le reste du monde conclura que nous avons atteint une « nouvelle normalité » et commencera à élaborer d’autres stratégies.

Dans le cas du Japon, Tokyo continuera de reconnaître l’importance économique et sécuritaire des États-Unis, mais multipliera les efforts comme jamais pour éviter une dépendance excessive.

Le Japon coopérera plus étroitement avec des pays avec qui il aura construit une relation de confiance, tels que l’Europe et d’autres pays asiatiques. Il suivra une stratégie en deux étapes, qui sépare les relations avec les États-Unis de celles avec ses partenaires de confiance.

En même temps, quelle que soit l’attitude du président Trump, il est crucial que le Japon continue à affirmer l’importance du système de libre-échange en tant que question de principe. Cela peut servir de base fondamentale pour la diplomatie et au renforcement de la construction des liens de coopération avec des pays autres que les États-Unis.

La popularité du sentiment d’anti-mondialisation, au centre des politiques de l’administration Trump, est enracinée dans des disparités économiques qui se creusent aux États-Unis. Si les disparités auxquelles le Japon est confronté ne sont pas du même niveau, il n’en reste pas moins qu’elles continuent de s’aggraver. Contrairement aux États-Unis, le Japon manque de ressources naturelles, est à peine auto-suffisant au niveau de l’alimentation et connaît un déclin démographique rapide. Difficile donc de même commencer à penser à adopter une politique anti-mondialisation ou « Japan First ». Bien au contraire, cette situation politique déformée aux États-Unis devrait servir de leçon, une situation dont d’autres pays pourront tirer nombre d’enseignements.

(Photo de titre : une scène des négociations commerciales entre le Japon et les États-Unis tirée du compte X de Dan Scavino, conseiller du président Trump, le 23 juillet 2025. Jiji)