Au Havre, pendant un an, Fanny Gadan a filmé deux collégiens unis par leur goût pour la pêche à la ligne. Elle en tire un documentaire touchant diffusé sur France•tv, nourri de ses échanges avec eux sur leurs rêves ou leurs difficultés scolaires. La réalisatrice Fanny Gardan  : « Deux garçons de 14 ans confrontés à une femme trentenaire qui tient une caméra et les questionne, ça ne va pas de soi. »

La réalisatrice Fanny Gardan  : « Deux garçons de 14 ans confrontés à une femme trentenaire qui tient une caméra et les questionne, ça ne va pas de soi. » Marja productions

Par Samuel Gontier

Publié le 04 septembre 2025 à 19h30

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Dans le décor titanesque du port du Havre, deux collégiens unis par une même passion s’adonnent à la pêche à la ligne. Avec Soren et Karving en eaux libres, son premier film en tant que réalisatrice, Fanny Gadan signe le portrait attachant de deux adolescents et tisse une belle ode à l’amitié. La diplômée de l’École nationale supérieure d’art Paris-Cergy, option cinéma, confie avoir « toujours eu envie de réaliser des films documentaires ». Mais c’est seulement après le Covid et des expériences dans l’art vidéo et la fiction qu’elle décide de s’y consacrer, tout en se considérant comme « autodidacte ».

La rencontre avec Soren et Karving est le fruit de sa découverte du Havre il y a quelques années. « Son architecture, son histoire, notamment celle des travailleurs du port, m’ont fascinée. » À force d’arpenter la cité et de nouer des contacts, elle découvre au port de pêche les deux ados en train de vendre du maquereau à la sauvette. Très vite, Fanny Gadan se met à les filmer, une relation de confiance s’établit. « Deux garçons de 14 ans confrontés à une femme trentenaire qui tient une caméra et les questionne, ça ne va pas de soi. Mais ils avaient envie de faire partager leur passion commune, la pêche. Le film s’est nourri d’un intérêt réciproque. »

Au fil de plus d’un an de tournage, « ils se sont livrés à moi, j’ai suivi leur ouverture, raconte la réalisatrice. Soren et Karving sont à l’âge où l’on commence à produire un récit de soi, de son rapport à la famille, à l’école ». Fanny Gadan a su le saisir en se plaçant « à hauteur de leur regard ». Elle choisit de garder au montage ses interactions avec ses modestes héros : ses questions, leurs regards caméra, une demande de Soren de filmer tel endroit qu’elle exécute. « La relation filmeur/filmé, le rapport à la caméra font partie de ce qui se joue. La force du documentaire pour questionner le réel nécessite que le réalisateur existe. » Fanny Gadan assume d’être une protagoniste de son documentaire tout en respectant la pudeur des ados. Une démarche qu’elle préfère entreprendre seule, à la caméra et au son, pour préserver l’intimité de sa relation avec Soren et Karving.

Soren et Karving sont très éveillés à leur sensorialité. La contemplation, l’attente, la manipulation de petits objets… La pêche est une pratique très riche.

Fanny Gardan

Loin du film à thèse sur l’adolescence, ce compagnonnage au long cours fait surgir avec délicatesse de multiples thèmes. Comme les deux collégiens doivent se plier à l’échéance du brevet, apparaît le rôle des femmes dans l’éducation des enfants au sein de familles monoparentales. Pour Soren, souffrant de TDAH (trouble de l’attention et hyperactivité) — qui marginalise beaucoup de ses semblables dans le système scolaire —, la pêche fait figure de thérapie que sa mère encourage. Cette activité les relie, lui et Karving, à « un univers très masculin dans lequel ils rencontrent des personnes de tous âges et de tous milieux », note la réalisatrice, désireuse de faire connaître « une réalité sociale qui peut échapper à beaucoup » : l’univers de la pêche, dont elle vante « la gratuité et l’autonomie qu’elle induit. Soren et Karving sont très éveillés à leur sensorialité. La contemplation, l’attente, la manipulation de petits objets… C’est une pratique très riche ».

Un an après la fin du tournage, Soren et Karving sont toujours amis, soudés par la pêche, surpris d’être reconnus dans la rue après la diffusion de leur portrait sur France 3 Normandie. De son côté, Fanny Gadan travaille à un film sur des chibanis, travailleurs algériens retraités dans un foyer de Saint-Denis. L’histoire d’amour du (toujours) modeste héros qu’elle a choisi pour fil rouge et la force de son premier documentaire laissent espérer qu’il trouvera un diffuseur à la mesure de son talent.

Soren et Karving en eaux libres, mercredi  23.05 sur France 3.

Découvrir la note et la critique

“Soren et Karving en eaux libres” : les rêves de vie de deux ados mordus de pêche

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